Conférence 3:
De la parole aux actes –
La dimension sociale de la mission
Par Matthieu GANGLOFF1 – Texte condensé par Françoise Lombet
Parler de travail social de l’Église, c’est mettre en cohérence ce que nous professons – l’amour de Dieu pour les hommes – avec des actes. Le « travail social » dans cet article regroupe « les actions qui visent à répondre aux dysfonctionnements qui se produisent au sein d’une société humaine et qui affectent ses composantes les plus fragiles, en particulier les personnes et les populations qui souffrent de la pauvreté et/ou sont victimes d’injustices »2.
Déjà dans l’Ancien Testament, par la Loi donnée à Moïse, Dieu démontre un intérêt particulier pour les plus faibles. Qu’il s’agisse des pauvres (Dt 15.4, 7-11) ou de la veuve et de l’orphelin, mais aussi de l’étranger (Ex 22.21-25, Dt 24.17- 22), les populations les plus fragiles sont objets d’attention et de soins particuliers. Ainsi, pendant la moisson, on devait laisser aux pauvres les bords des champs et les glanures3 (Lv 19.9- 10, Dt 24.17-22). La loi interdisait au créancier de réclamer des intérêts à un pauvre, ou de lui prendre son vêtement (Ex 22.22-24, Dt 24.12-13). Il existait même une dîme spéciale pour le pauvre, le lévite, l’immigré, la veuve et l’orphelin. Le livre des Proverbes affirme que ceux qui prennent soin des pauvres sont bénis de Dieu (Pr 14.21, 31 ; 19.17 ; 22.9 ; 28.8 ; 31.20), et à l’inverse met en garde ceux qui se cachent les yeux face aux besoins. Les prophètes vont dénoncer les dérives et injustices sociales.
Dans le Nouveau Testament, Jésus n’est pas venu établir un règne de justice sociale, mais son intérêt pour les plus fragiles est manifeste (voir l’évangile de Luc) et Jésus s’intéresse à tous. Il guérit un mendiant aveugle, mais aussi la fille d’un responsable de la synagogue et le serviteur d’un officier romain. Les disciples vont prolonger cet intérêt pour tous (Ac 6, Ga 2.9-10, Jc 2.17).
Le débat qui opposait la prédication de la foi et l’action humanitaire est certainement dépassé de nos jours. Il est évident qu’il faut dire le message de la croix. C’est Jésus-Christ qui sauve. Aucune action sociale, fûtelle professionnelle, ne pourra jamais sauver personne du péché (Rm 10.14). Néanmoins, William Booth, fondateur de l’Armée du Salut, disait qu’il n’est pas possible de partager l’Évangile à quelqu’un qui a les pieds mouillés et qui a faim. Il faut des paroles et des actes : c’est une question de cohérence (Jc 2.17). Puisque nous sommes disciples de Jésus- Christ, notre vie est nécessairement marquée par l’amour de Dieu et de notre prochain (Ép 2.8-10, 1 Jn 3.16-18).
On peut agir socialement à différents niveaux
Un chrétien, même seul, peut réfléchir et agir, même dans une association déjà existante. L’Église locale peut se mobiliser ou bien travailler avec d’autres Églises au sein d’un même territoire. La mise en réseau permet de tirer profit des compétences de chacun. Imaginons encore une action globale au niveau de l’union d’Églises, voire du CNEF. Certains projets comme le Défi Michée, des associations comme le SEL oeuvrent de façon très large4.
L’observatoire des inégalités en France indique qu’« entre 2004 et 2013, le nombre de personnes pauvres a augmenté d’un million… un tournant dans l’histoire sociale de notre pays depuis les années 1960 »5. Le défi du social est immense et les domaines d’actions quasiment illimités, mais nos ressources humaines, matérielles s’épuisent très vite. Par ailleurs, nous n’avons pas toutes les compétences, et il est nécessaire de s’informer, de se former et de s’entourer de personnes capables.
Quel public ? Quelle forme d’action ?
Notre action sociale doit être réfléchie pour durer dans le temps. Faire une enquête de terrain est un préalable indispensable : discuter, écouter le fonctionnement des partenaires qui agissent au quotidien. Il est alors possible de trouver des vides et d’apporter notre contribution ou d’insérer notre projet dans le tissu associatif de la ville. Le travail social existe en France, il nous faut respecter ce qui se fait.
Puis il est bon de rédiger le projet et prévoir les moyens financiers, sujet parfois tabou, mais réalité indispensable ! Ce n’est pas parce que le travail est fait par des chrétiens, croyant à la toute puissance de Dieu, que nous devons être négligents.
Ensuite, il convient aussi d’avancer avec les responsables de l’Église, car un projet durable ne doit pas dépendre de notre seule présence. Une fois le projet établi, on en parle aux partenaires sociaux pour le tester et le lancer. Quand il sera en plein fonctionnement, l’évaluation sera indispensable6.
L’action sociale comporte de nombreux pièges :
1. Si l’obéissance à Dieu, la pratique de la justice, le soin des pauvres peuvent être des signes de l’authenticité de la foi, ils ne contribuent pas à notre salut, à effacer nos péchés et ils ne nous acquièrent aucun mérite devant Dieu. Cela n’est pas forcément évident pour le bénévole qui vient aider.
2. On a très vite fait de déresponsabiliser les personnes que nous souhaitons aider. Le but de toute action sociale n’est pas de rendre les gens dépendants de notre action ou de notre Église, mais de les aider réellement à avancer.
3. Il faut réfléchir au but : aider les gens ou les évangéliser de façon camouflée ? Nous voulons partager notre foi au moment opportun, mais il ne faut pas instrumentaliser l’action que nous menons. Et quelle possibilité a un bénéficiaire de dire non quand il est dans la survie et en attente d’une aide matérielle ?
4. À l’inverse, il ne s’agit pas de cacher les raisons de notre action sociale : nous agissons parce que Jésus-Christ a transformé notre vie. Et nous pouvons le dire dans nos projets et dans notre manière de nous présenter. Certains voudraient aujourd’hui faire disparaître toute conviction religieuse de l’espace public. Nous n’imposons rien, mais si notre action est bien menée elle donne de la crédibilité à notre parole.
5. Autre difficulté possible, parmi les bénévoles, certains auront envie de bénéficier de l’aide apportée. Il est recommandé de mettre en place un système de règles de fonctionnement à appliquer strictement.
6. L’action sociale est aussi un terrain fortement politisé avec des enjeux de pouvoir et des enjeux économiques. On parle de charity business. Si l’action marche, attention à la récupération politique potentielle !
7. Face à la détresse humaine, on peut être accablé par la tristesse, par tant de misère, tant de difficultés. Notre espoir ne repose pas sur les changements que nous pourrions apporter, il est en Christ. Et nous voulons persévérer parce que son amour nous renouvelle.
Malgré tout cela, la dimension sociale de notre mission en tant que chrétiens est indispensable. Notre présence chrétienne dans le monde fait pleinement partie de notre service du Christ et de notre prochain. Les activités les plus humbles – dans le domaine professionnel comme dans la vie familiale ou sociale – sont intégrées dans notre vie de disciple, et notre confession du nom du Christ va de pair avec une vie transformée vécue au sein du monde réel. Notre engagement dans le domaine social provient de notre désir de cohérence avec notre foi en un Dieu bon, juste, souverain et qui s’intéresse à l’existence humaine sous toutes ses facettes7.
NOTES
1. Matthieu Gangloff est pasteur à La Rochesur- Yon
2. Hillion D., « Action sociale », in Dictionnaire de théologie pratique, éd. Excelsis, 2011, p.74
3. L’histoire de Ruth permet de réaliser que ces lois permettaient effectivement de protéger les populations les plus fragiles.
4. http://www.selfrance.org, http://www.defimichee.fr. On pourra consulter également le site du CNEF (http://www.cnef-solidarite.fr) et constater la multiplicité d’actions sociales portées par des évangéliques.
5. http://www.inegalites.fr/spip.php?article270
6. Sur le démarrage d’un tel projet, on tirera profit de la lecture de Pownal A., « Le lancement d’une action diaconale dans l’Église locale », in Les Cahiers de l’École Pastorale, 3e trimestre 2014, n° 93.
7. Bases bibliques pour construire une réflexion sur l’engagement des protestants évangéliques dans le domaine social, document CNEF, 2014, p.4