J’ai vécu un harcèlement moral au travail
Servir : Tout d’abord, peux-tu nous présenter la situation ?
Je travaillais depuis 2 ans ½ – 3 ans dans une association où j’étais chargée de mission dans l’évènementiel. Un nouveau chef responsable du secteur est arrivé et nous étions 2 collègues à dépendre de lui. Je suis chrétienne depuis longtemps, mais ce milieu associatif est laïc.
Servir : Comment les faits ont-ils débuté et comment t’en es-tu rendu compte ?
La première année avec lui s’est bien déroulée puis ce chef a dû être hospitalisé à cause de graves conséquences de son diabète, une longue absence de plusieurs mois. À son retour, diminué par la maladie, il est devenu beaucoup plus exigeant, il avait besoin de tout contrôler pour faire mieux que les autres secteurs et prouver qu’il savait faire son job (alors qu’il n’était pas compétent pour ce poste, je l’ai su plus tard). Il en a découlé qu’il a voulu aussi tout savoir sur ma vie privée, par exemple il fallait raconter en détail nos vacances, mais plus loin encore sur ma santé. Il exerçait sans cesse une pression dans le travail et sur le plan personnel. Cela a joué sur la qualité de mon travail et j’ai commis des erreurs. Lui pointait toujours ce qui n’allait pas. Jamais de conseils, de réflexion pour gérer différemment les projets, l’organisation, les difficultés !
Servir : As-tu perçu un changement d’attitude, de paroles à ton égard de la part des autres collègues ?
Nous n’étions pas nombreux et il n’avait pas d’emprise, au début, sur ma jeune collègue nouvelle et inexpérimentée.
Par contre, il manipulait les bénévoles en leur racontant « toutes mes erreurs », et, à moi, il disait que ces collègues me critiquaient dans le dos. Les bénévoles sont devenus plus distants et prenaient la même attitude que le chef envers moi.
Servir : Comment le vivais-tu ? Qu’as-tu fait alors et comment le chef a-t-il réagi ?
J’avais de moins en moins envie d’aller au travail, me demandant quels reproches m’attendraient. Je me suis mise à douter de mes compétences. Je ne savais plus où j’en étais, toujours accablée négativement. J’étais atteinte psychologiquement, mais aussi physiquement (douleurs cervicales, fatigue). Le soir et les week-ends, je n’avais pas envie d’aller à l’Église à cause du surmenage et c’était difficile d’en parler à quelqu’un, compliqué à expliquer.
Jusqu’au jour où, après la réunion-bilan entre le chef et moi, la longue liste de reproches s’est terminée par le jugement tranchant : « Tu n’aurais jamais dû être embauchée ! Tu es une erreur de casting ! » Je suis allée voir les délégués du personnel et pour la première fois j’ai expliqué la situation subie depuis un an avec des preuves écrites (mails du chef). Les délégués ont pris les choses en main, et convoqué le chef. Celui-ci, tellement persuadé d’avoir raison, a écrit tout ce qu’il avait fait, révélant même avoir consulté mes bilans annuels passés avec la Direction et aussi avoir contacté mon médecin pour des explications sur ma santé, ce qui est totalement illégal !
Le processus s’est poursuivi malgré la lenteur de l’administration. La menace d’une procédure au Conseil de prud’hommes a fait bouger le CA pour démarrer un licenciement du chef. Celui-ci ne s’est pas présenté à la convocation suivante. Au retour d’un week-end, on a constaté qu’il avait vidé toutes ses affaires. C’était un abandon de poste !
Servir : Tu as dû être soulagée, mais pour autant est-ce que c’était réglé, fini ?
C’est vrai, j’étais soulagée qu’il soit parti, je ne pouvais même plus rester dans le même bureau que lui ! Mais le doute, le manque de confiance en moi, les relations avec certains, même si j’ai appris que les dénigrements étaient faux, ont duré.
Je n’avais parlé de cela à personne, ni à ma famille, ni à l’Église, sauf pour demander, sans précision, que l’on prie pour moi. Un jour, face au mur, et sans solutions humaines, j’ai tout remis à Dieu. À partir de là, je l’ai nettement vu, tout s’est retourné contre le chef !
Servir : Que s’est-il passé ensuite ?
Même si le travail me plaisait quelque chose était brisé. Je devais le quitter fin août, et j’ai recherché un autre emploi début juin à l’APEC.
Quinze jours après le départ du chef, dix jours après avoir postulé, j’étais embauchée comme prof pour la rentrée de septembre dans le privé !
Je suis consciente que Dieu a pris en main la situation et qu’il avait prévu des solutions appropriées qu’il m’a montrées après lui avoir tout abandonné.
Servir : Que ressens-tu vis-à-vis de cet ancien chef maintenant ?
Évidemment, je ne l’ai jamais revu. Il estimait tellement être dans son bon droit et n’avoir fait aucun mal qu’il n’a présenté aucune excuse, donc aucune reconnaissance de ma personne, ni des préjudices subis, ni de sa part, ni de la part de la Direction au travail, donc pas de pardon possible pour le moment.
Heureusement, Dieu a changé radicalement la situation. Je me suis reconstruite en changeant de vie, mais pas en pardonnant ou en reconstruisant sur ce qui a été détruit. Je suis passée à autre chose, mais la blessure est là. Je n’ai jamais pu revenir à mon ancien boulot même pour voir des collègues-amis. Le mal fait n’est pas réparé, il est surmonté autrement. Je suis libérée et je n’y pense plus.
Le changement de carrière s’est fait un peu brutalement, et tout n’a pas été facile la première année. Donc aujourd’hui, je suis plus détachée dans mon travail, je mets moins d’investissement personnel, émotionnel. J’essaie de surmonter les difficultés sur le plan professionnel sans me tourmenter.