Couple chrétien et divorce
DE LAURENT CLÉMENCEAU PASTEUR DE L’EPE DE VILLEFONTAINE
Comment la Bible aborde-t-elle la question du mariage et du divorce ?
Les Églises s’intéressent beaucoup à la question du mariage et du divorce. De manière surprenante, la Bible ne s’arrête sur ces questions que dans un nombre très limité de textes.
On constate par ailleurs que plusieurs des rares textes qui évoquent le divorce ne cherchent pas à légiférer en détail à ce propos. Ainsi, dans l’Ancien Testament, le texte de Deutéronome 24 présuppose l’existence du divorce dans la société juive et a surtout pour vocation de préciser qu’une épouse divorcée deux fois ne pourra pas revenir à son premier mari. Le même plaidoyer est possible pour les textes du Nouveau Testament. Par ailleurs, si le nombre des textes consacrés à la question du mariage et du divorce est limité, la façon de comprendre ces textes, même en milieu évangélique, est loin d’être unanime.
Quelle serait selon vous une définition biblique du divorce ?
La Bible ne présente pas explicitement de définition du divorce : le regard qu’on aura à ce propos se déduit de la définition qu’on lui prêtera à propos du mariage. C’est un des points où les regards chrétiens ne sont pas toujours unanimes. Pour ma part, la méditation de Genèse 2 et d’autres passages me fait voir dans le mariage une alliance engageant un homme et une femme, alliance validée par l’autorité publique de la société en question, et par laquelle ils conviennent de vivre ensemble, et notamment de s’unir sexuellement. Le divorce correspondrait alors à la rupture de cette alliance.
Quelles sont les situations qui ouvriraient la possibilité d’un divorce ? Et d’un remariage ?
Des passages comme Luc 16.17 ont parfois été compris comme impliquant que le lien marital, aux yeux de Dieu, ne peut pas être brisé : cela expliquerait que Jésus parle d’adultère dans une situation de remariage. Ceux qui comprennent de cette manière ne peuvent envisager de divorce et, a fortiori, de remariage, mais seulement une séparation (« de la table et du lit », pour reprendre l’expression traditionnelle). Mais ce n’est pas la seule lecture possible, et il faut notamment tenter de l’accorder avec des passages bibliques qui semblent présenter les choses autrement.
Si on lit Matthieu 5.31, on doit par exemple faire le constat que Jésus envisage au moins une exception à cela : l’immoralité sexuelle, l’adultère. Le « lien conjugal » peut donc bel et bien être rompu.
1 Corinthiens 7.10-17 paraît ouvrir aussi à cette possibilité dans une autre situation, le cas d’un couple constitué où l’un est devenu chrétien après le mariage : si le non-chrétien ne veut pas continuer la relation avec son conjoint devenu chrétien, le chrétien est invité à ne pas s’accrocher à ce mariage.
On devra ensuite se demander si les textes bibliques ainsi rassemblés cherchaient à faire un inventaire regroupant toutes les situations possibles. Les avis sont ici partagés.
Certains posent a priori l’idée que la Bible se veut exhaustive et que nous n’avons pas à faire des ouvertures qu’elle ne fait pas. D’autres plaident que Jésus, comme Paul, se prononce dans un contexte très particulier et qu’il ne cherche pas à proposer un inventaire complet des situations où le divorce pourrait être envisagé comme un moindre mal. Le fait même que Paul ait rajouté une nouvelle exception à ce qu’avait dit Jésus peut être compris dans ce sens.
Les premiers interrogeront alors les seconds : pratiquement, si on dépasse ce qui est envisagé explicitement par les textes, comment faire le tri entre situations « acceptables » et celles qui ne le sont pas ? Où fait-on passer la limite entre ce qui est légitime et ce qui ne l’est pas ?
Les seconds demanderont aux premiers s’il est possible de rester indifférent et catégorique devant des situations de violence conjugale dangereuses, qu’elles soient d’ordre physique ou psychologique ; devant des situations de maladie psychique, de dégradation forte de la santé de quelqu’un qu’on aime, mais avec qui on ne peut plus vivre… Si le divorce correspond à un échec (et est vécu comme tel), a-t-il aux yeux de Dieu un statut tel qu’il serait impossible à envisager et qu’il constituerait un péché, et un péché impardonnable ?
Quel regard portez-vous sur l’attitude des Églises et des chrétiens concernant cette question du divorce/remariage ?
Une enquête personnelle auprès d’une cinquantaine d’Églises de la région lyonnaise et de leurs responsables montre une diversité étonnante dans l’attitude des Églises sur cette question.
Pour certains, la question principale à se poser face à une demande d’accompagnement au remariage est de savoir si le divorce a eu lieu avant ou après la conversion. S’il a eu lieu avant la conversion, un remariage est envisageable ; sinon, non.
D’autres, à l’inverse, abordent le couple qui veut se constituer presque comme un couple « ordinaire », et sont surtout soucieux de s’assurer que le passé a pu être géré au mieux.
La majorité des personnes interrogées témoignent d’une évolution qu’on pourra, en fonction de ses convictions personnelles, qualifier de plus ouverte ou de plus laxiste à cet égard. « Par le passé, dit quelqu’un, je n’aurais fait de la place à aucun divorcé. »
Plusieurs aussi, constatant au sein de leur famille d’Églises des politiques diverses (pas uniquement sur la question de l’accompagnement des divorcés d’ailleurs), m’ont dit qu’ils souhaitaient rester anonymes. Cela fait apparaître combien la question reste sensible.
L’accompagnement, qu’il soit porté par les responsables de l’Église ou par les membres de la communauté, est bien sûr délicat.
De l’extérieur, on a parfois l’impression que le divorce est envisagé par le couple avec davantage de légèreté que par « le passé ».
Pourtant, pour la plupart des couples qui traversent des difficultés, il semble qu’un divorce est rarement envisagé de gaieté de coeur et qu’il reste vécu comme un échec et comme la démarche à laquelle on a fini par se résigner en désespoir de cause, dans le souci de rechercher le moindre mal. En particulier quand on est habité du sentiment de désobéir à Dieu, sentiment accentué par un sentiment de honte et d’échec par rapport aux autres membres de la communauté.
Ceux qui sont témoins de la situation et qui, par la force des choses, n’en ont souvent qu’une image très incomplète peuvent avoir du mal à être accueillants ou à manifester une simple attention ou une écoute bienveillante. Ils sont déjà embarrassés, tristes et perplexes : leur volonté de fidélité à Dieu ou la gêne qui les habitent les amènent parfois à prendre de la distance pour éviter de se trouver mêlés à ce qu’ils qualifient de « péché d’autrui ». Mais le rôle principal des chrétiens dans ces situations est-il de faire le tri entre « le bien et le mal », le légitime et l’illégitime ?
Tout cela peut contribuer à un isolement dommageable, là où précisément une plus grande sensibilité pourrait permettre d’envisager des pistes utiles :
- parler à d’autres quand on sent des problèmes venir, sans attendre ; • éviter de penser « tout de suite » en termes de divorce ;
- envisager une médiation ou un conseil conjugal ;
- séparation provisoire…
Ces situations douloureuses nous conduisent sur le terrain délicat de l’articulation de convictions relatives autant à la sainteté de Dieu qu’à la réalité de la grâce qu’il manifeste. Elles nous renvoient aussi à notre propre fragilité.
Propos recueillis par Thierry SEEWALD (Suite : article ‘Divorcé et remarié’)