Le supplice de la croix
Par Gavin SUTHERlAND
Syrie, mars 2014. Dans la ville de Raqqa au nord du pays : deux hommes sont crucifiés. Ainsi, près de 2000 ans après les évènements concernant Jésus, la crucifixion (ou le crucifiement) semble encore d’« actualité ». Cependant, d’où peut venir ce supplice affreux ? Quelles fonctions remplissait cette torture ? Quelles dérives humaines peut-on relever au cours de l’Histoire ?
Une origine lointaine, une méthode précise
Il s’agit tout d’abord d’une torture, d’une méthode d’exécution, empruntée aux Perses durant l’Antiquité et pratiquée, développée, par les Romains à partir du IIe siècle av. J.-C. et pendant plus de cinq siècles. Ainsi, lors de la révolte de Spartacus, 6000 esclaves furent crucifiés en 73- 71 av. J.-C. L’historien juif Flavius Josèphe témoigne de 500 supplices de la croix par jour lors des révoltes juives contre les Romains en 66 et 70 de notre ère. Les bourreaux avaient un entraînement sérieux, on l’a bien compris à la lecture effarante du nombre élevé de crucifixions pratiquées du temps des Romains ; la crucifixion était donc une action bien codifiée, réalisée rapidement et efficacement. Le tout ne prenait que quelques courtes minutes pour une équipe bien entraînée. De plus, ce « savoir-faire » pouvait s’adapter en fonction de la situation. On compte ainsi trois méthodes principales de crucifixion. La « crux simplex », « simple » poteau ou tronc d’arbre. Puis, la « crux immissa », une croix complète. Enfin, la plus utilisée, la « crux commissa », une croix en forme de « T » composée de deux parties. Une partie déjà plantée sur le lieu de l’exécution, le « stipes », et l’autre partie emmenée directement par le condamné, le « patibulum » (pesant entre 20 et 40 kilos). Les condamnés étaient attachés par des cordes ou des clous (pouvant aller jusqu’à 20 cm) aux mains et aux pieds.
Une mort lente et atroce
Au final, le malheureux supplicié n’avait le choix qu’entre deux positions : il se laissait aller en mettant le poids de son corps sur les clous plantés dans ses poignets et il s’asphyxiait rapidement. Ou pour respirer un peu, il appuyait sur les clous de ses pieds et se relevait de quelques centimètres, ce qui lui permet- tait de reprendre un peu son souffle, mais au prix d’un effort intense et épuisant ; et, bien sûr, tout cela accompagné sans interruption de la douleur atroce, de crampes incessantes dans tous les muscles, de la douleur des coups reçus pendant la flagellation, de la soif intense…
Un exemple historique récurrent
Le crucifiement (haritsuke) a été pratiqué au Japon durant la période troublée des « provinces en guerre » (XVe- XVIe siècle) On a souvent évoqué une influence consécutive à l’arrivée de chrétiens, mais cette pratique de supplicier des gens sur des cadres – plutôt que des croix – est plus ancienne et remonte au XIIe siècle. La symbolique chrétienne a été assimilée lorsqu’il s’agissait de supplicier des chrétiens au XVIe siècle. Le supplicié était ligoté à deux barres horizontales sur une poutre verticale et, une fois la croix érigée, le corps était laissé durant trois jours. Au XVIe siècle, le crucifiement tête en bas était courant. Il a existé une « variante » pour les chrétiens crucifiés : en bord de mer à marée basse pour que la marée montante les submerge jusqu’à la tête, supplice qui pouvait durer plusieurs jours. Le crucifiement était encore pratiqué au Japon dans la deuxième partie du XIXe siècle et lors de la 2nde Guerre Mondiale sur des prisonniers britanniques.
Une dérive possible contemporaine : le dolorisme
Ce supplice de la croix est donc bien ancré dans notre monde et on peut assister à des dérives concernant une théâtralisation du « chemin de croix ». On parle de dolorisme, c’est-à-dire de complaisance à la douleur pour marcher sur les traces du Christ et ainsi « améliorer » sa relation avec lui. Les Évangiles témoignent de ces mots prononcés par Jésus : « se charger de ou porter sa croix » (Mt 16.24, Mc 8.34, Lc 14.27) Comme souvent malheureusement, l’homme écarte un texte de son contexte pour en faire un prétexte douteux. Selon Pierre- Yves BRANDT, docteur en psychologie de la religion : « Le dolorisme mérite d’être interrogé […] Dans les Évangiles, le salut n’est pas dans la souffrance subie, mais dans la relation qui s’instaure entre Jésus et ceux qui le condamnent. Jésus indique la voie d’un profond retournement des forces destructives vers le moyen de communiquer à autrui le désir qu’il vive au-delà de ce qu’il met en oeuvre aujourd’hui. »
Pour conclure
Les douleurs innombrables et innommables que le Seigneur Jésus-Christ a subies à Golgotha doivent nous permettre de garder les yeux fixés sur lui. Son amour incommensurable qui découle de ce sacrifice, par ce supplice qui concernait les « pires condamnés à mort », est le fondement de notre foi et de notre relation avec Dieu au quotidien. Comme nous le rappelle Hébreux 10, ce sacrifice a été offert « une fois pour toutes ».
G.S.