200 bougies pour
les Écoles du dimanche1
Par ANNE RUOLT2
Il y a 200 ans, le 7 août 1814, le pasteur Laurent Cadoret (1770-1861) ouvrait la première École du dimanche de France, dans son Église, à Luneray. Précurseur du Réveil, ce catholique né à La Havane – son père était dans la marine marchande – était venu au protestantisme en Angleterre dans une Église dissidente. Formé à la théologie au séminaire de Gosport, dirigé par David Bogue (1750-1825), le cofondateur de la mission de Londres (LMS), Cadoret a ensuite été secrètement un agent de cette mission en France. Sous l’impulsion de Bogue avec l’aide déterminante d’un Anglo-Normand, Durell (1790-1861), il espérait lancer le mouvement depuis la Normandie. Mais l’opposition de quelques paroissiens libéraux a très vite mis un terme à cet élan, jusqu’à pousser leur pasteur à démissionner. C’est depuis Bordeaux et Toulouse que le mouvement français allait rayonner et s’étendre dès 1815, avec le soutien financier… des protestants anglais !
Que signifie ce soutien missionnaire des Anglais ? Que peut-on dire de l’objet des premières Écoles du dimanche en France ? Qu’ont-elles apporté aux protestants qui venaient de recouvrer la liberté de culte et d’éduquer leurs enfants selon leur tradition religieuse ?
L’École du dimanche, fer de lance de la Mission intérieure en France
Rappelons que c’est Robert Raikes (1736-1811) qui, en 1780, a eu l’idée de créer des écoles, ouvertes le dimanche, pour y scolariser a minima les jeunes ouvriers pris en semaine par le travail et livrés à euxmêmes en quittant l’usine. Les premières monitrices étaient rétribuées pour apprendre à ces jeunes à lire, à écrire, un peu à compter, et à lire la Bible. Il s’agissait bien d’écoles. Elles étaient distinctes du catéchisme. Ce n’est qu’à partir de 1785, que les familles protestantes commencèrent à envoyer leurs enfants dans ces Écoles populaires qui adoptèrent très tôt le modèle d’éducation lancastérien3, d’où le nom de moniteur, donné aux enseignants.
La France était alors pour les Anglais une terre de Mission. En 1802, Bogue avait séjourné à Paris accompagné d’autres émissaires de la LMS, pour mener une enquête sur la diffusion de l’Évangile en France. Lortsch rapporte qu’après trois jours de marche à Paris, ils n’avaient pas trouvé de portion des Écritures. Mais le concordat interdisait à un étranger d’être ministre du culte en France. Imprimer des Bibles en Angleterre était possible, mais peu de pères de famille savaient encore lire. Après la révocation de l’Édit de Nantes, l’obligation de scolariser les enfants dans une école tenue par des prêtres avait dissuadé les parents protestants d’envoyer leurs enfants à l’école. L’école buissonnière, au sens originel du terme (clandestine, derrière les buissons), était devenue très vite trop dangereuse. Si on ne lisait plus la Bible, c’était autant par manque de littérature que faute de savoir lire.
À ses débuts en France, l’École du dimanche a été le fer de lance de la Mission intérieure. Elle enseigne les enfants en marge du culte, souvent en leur demandant d’expliquer le sens du message entendu. Mais sa première fonction a été d’apprendre aux enfants à lire, à écrire, un peu à compter. À l’École du dimanche, on apprenait bien sûr à lire et à comprendre les récits bibliques, la Bible étant la boussole indiquant le Nord à tout homme, autant pour sa vie quotidienne que pour sa foi. Explication-compréhension- réflexion sont les trois maîtres mots de la pédagogie selon le pasteur Chabrand (1780-1863). Le point d’orgue était de faire comprendre, mais encore, écrit-il en 1817, de « procurer du plaisir ». Ces écoles ont participé au Réveil dans l’Église et ont été à l’origine du renouveau des écoles protestantes.
ILLUSTRATION D’UN MAGAZINE 1849
Un premier Comité des Écoles du dimanche (CED) a été fondé en 1826. Suite à une enquête lancée en 1827 auprès des pasteurs des Églises réformées, des notables protestants décidèrent de créer en 1829 la Société d’Encouragement pour l’Instruction primaire parmi les protestants de France (SEIPPF). Ce n’est qu’en 1852, sous l’impulsion du méthodiste Jean-Paul Cook (1828- 1886), que la Société des Écoles du dimanche (SED) a été fondée. Sa vocation était essentiellement d’évangéliser et d’enseigner l’histoire biblique, par le moyen de publications destinées à former les moniteurs et les parents. Cette société originellement interdénominationnelle a été dissoute officiellement le 17 janvier 2003 (J.O. du 08/03/2003).
Les liens étroits tissés entre la SEIPPF et la SED ont conduit en 1881 à la création des Écoles du jeudi, pour pallier le retrait de l’enseignement religieux du programme des écoles avec la loi Ferry.
Le moniteur, une aide du pasteur
Les statuts rédigés par les Écoles du dimanche soulignaient l’importance des relations interpersonnelles. Les moniteurs étaient tenus de rendre visite aux enfants de leur groupe ainsi qu’à leur famille et d’en faire rapport au pasteur dont ils prolongeaient l’action. Une évaluation formative des progrès spirituels des jeunes était de rigueur. L’enseignement privilégié était la formation des moniteurs par les pasteurs, afin qu’ils soient capables de faire eux-mêmes la leçon au groupe d’enfants dont ils avaient la charge. C’est le modèle du questionnement pour ouvrir l’intelligence de l’enfant qui y était privilégié. L’enseignant devait chercher à « faire jaillir une source » dans l’élève, plutôt que de vouloir lui remplir la tête de versets appris par coeur, sans être compris.
La joie comme étendard
La joie marquait les écoles ainsi que ses fêtes. Une première fête était organisée en fin d’année. C’est celle qui a répandu la tradition du sapin de Noël en France. Le sapin symbolisait le croyant au feuillage toujours vert (Ps 1). Les bougies allumées rappelaient que Jésus était la lumière annoncée par Ésaïe (9.20). Cette fête était l’occasion de distribuer des récompenses, des cadeaux sous forme de « bons livres », et d’autres choses « utiles » comme des bas, des souliers, des canifs, des fruits, etc. La deuxième fête avait lieu en été. C’était une fête champêtre qui était l’occasion de jeux de plein air, d’un goûter et d’un message d’encouragement pour tous sans distinction entre les enfants.
Les deux fêtes réunissaient les enfants, les moniteurs ainsi que les parents. La première ayant un caractère d’évangélisation était plus largement ouverte vers l’extérieur.
Pédagogie active et pananthropique
LFF GAUTHEY, PORTRAIT À 40 ANS
L.-F.F. Gauthey (1795-1864) a systématisé la pédagogie de ces Écoles. Directeur de l’École normale de Courbevoie de 1846 à 1864, il y a formé les instituteurs protestants pour la SEIPPF. Ce pasteur vaudois, touché par le vent du Réveil de Genève, avait d’abord été nommé premier directeur de l’École normale du Canton de Vaud de 1834 à 1845. Dans l’héritage des idées pédagogiques de Comenius (1592-1670), Gauthey a promu un modèle d’éducation pananthropique (l’homme complet), ou l’activité de l’élève prime. À partir de l’image de l’homme type qui n’a pas commis de péché, le Christ, et de ce que Luc dit du jeune Jésus qui « croissait en stature, en sagesse, et en grâce devant Dieu et devant les hommes » (Lc 2.52), pour Gauthey, l’éducateur est tel un jardinier appelé à favoriser le développement des germes reçus de Dieu dans chacune de ces parties : le corps, l’esprit c’està- dire l’intellect, le coeur pris au sens de l’affect et des relations interpersonnelles et l’âme siège de la foi et de la morale. Nous apprendrons donc toujours sur la nouvelle terre ! Parce que l’éducation a un fondement créationnel, l’instruction publique bien qu’incomplète reste toutefois légitime et nécessaire à tout homme. Elle l’est au même titre qu’un mariage entre un homme et une femme non-croyants est légitime dans la théologie protestante, même s’il ne reconnait pas en Dieu sa source et son garant. Ce sont les lois Ferry qui ont sonné le glas de l’action lancée par la SEIPPF.
Instrument de Réveil d’hier et d’aujourd’hui
Instrument du Réveil au XIXe siècle, l’École du dimanche conserve toute sa mission aujourd’hui où nombreuses sont les personnes venant à la foi chrétienne, sans culture biblique, ne lisant pas la Bible aux enfants à la maison. Mais la diversification de ses actions menées au XIXe siècle encourage aussi à chercher à répondre aux besoins d’aujourd’hui. Alors, pourquoi ne pas « profiter » de la loi Ferry, qui accordait le jeudi libre – le mercredi aujourd’hui – pour offrir aux jeunes un cadre d’échanges et de réflexion chrétienne avec des adultes mûrs sur les questions que soulèvent la société comme l’école ?
CLASSE CHEZ MRS. MARY CRITCHLEY’S
A.R.
NOTES
1. Pour aller plus loin, accédez à une bibliographie sur http://histoire2pedagogie.overblog.com
2. Anne Ruolt (anne.ruolt@univ-lorraine.fr), ATER à l’Université de Lorraine, département des Sciences de l’Éducation et Enseignante à l’Institut Biblique de Nogent. Membre du laboratoire CIVIIC AE 2657, université de Rouen, chercheur associé au LISEC AE 2310.
3. Ce modèle d’enseignement mutuel est un modèle d’éducation entre pairs. Il s’est développé en Angleterre au XIXe siècle, au moment de la massification croissante de la scolarisation. Il consistait à former des groupes de niveau, dirigés non par des professeurs mais par des élèves plus avancés. Dans les Écoles du Dimanche ces moniteurs étaient formés par les pasteurs qui préparaient la leçon avec eux.
« Un disciple ne surpasse jamais son maître ;
mais, lorsque sa formation sera achevée, il lui sera en tous points semblable. »
Luc 6.40 (Parole vivante)