Dieu prend le temps de « former » ses serviteurs
WE DE FORMATION REF À MONTMEYRAN (26)
Par Thierry Seewald
La fac de philo ou un CAP agricole, des filières pour servir Dieu ?
Actes 7.22 nous apprend que Moïse fut instruit dans toute la sagesse des Égyptiens, et il était puissant en paroles et en oeuvres. Moïse sait qu’il est hébreu, sans doute par son contact avec sa mère qui a été sa nourrice, et il a quelques connaissances concernant le Dieu d’Abraham ainsi que de la culture et des coutumes des Hébreux. Mais il a principalement été éduqué à la cour du pharaon, dans une philosophie païenne, une culture idolâtre. Cette éducation ne l’empêche pas de réaliser que l’esclavage de ses frères est injuste. Et Dieu le choisit et l’appelle pour libérer le peuple. Il aurait pu choisir Aaron, ancré dans la tradition et la religion des Hébreux, à l’aise dans la prise de parole. Moïse, lorsqu’il revient confronter le pharaon, n’a pas un statut bien meilleur qu’Aaron l’esclave, lui qui se reconnaît hébreu. Qui plus est, il est le meurtrier d’un Égyptien.
Mais Dieu a voulu que le libérateur d’Israël ait un solide bagage philosophique acquis dans le monde. On notera en passant que Dieu fera de même en choisissant Paul, formé dans une des meilleures écoles pharisiennes, comme principal docteur pour poser les fondements de la foi.
David, lui, était berger. Mais de son apprentissage sur le terrain, avec des bêtes, il sait tirer beaucoup plus : Quand je gardais les moutons de mon père et qu’un lion ou même un ours survenait pour emporter une bête du troupeau, je courais après lui, je l’attaquais et j’arrachais la bête de sa gueule ; et si le fauve se dressait contre moi, je le prenais par son poil et je le frappais jusqu’à ce qu’il soit mort. Puisque ton serviteur a tué des lions, et même des ours, il abattra bien cet incirconcis de Philistin comme l’un d’eux, car il a insulté les bataillons du Dieu vivant. Puis David ajouta : L’Éternel qui m’a délivré de la griffe du lion et de l’ours me délivrera aussi de ce Philistin. (1 S 17.34-37) Berger, il a acquis des connaissances qu’il sait appliquer à d’autres situations, mais il a aussi appris à voir la main de Dieu agissant autour de lui et cela lui donne confiance.
Contrairement à Aaron, Moïse connaît le système, son mode de pensée, ses rouages ; il est plus à même de s’adresser à lui, de le confronter. Les philosophies de ce monde, sa moralité (et même ses méthodes agricoles pour en revenir à David) connaissent bien des dérives. Il en est de même pour les sciences « exactes », la technologie ou les sciences humaines.
Si l’on veut comprendre le monde dans lequel nous vivons, pour en retenir ce qui est bon, comme Moïse et Paul ont pu prendre de bonnes choses dans la pensée égyptienne ou la théologie pharisienne, ou pour dénoncer les dérives, construire quelque chose de plus juste, ou tout simplement y vivre et y travailler, se former est essentiel. Rien n’est plus dommageable à la foi chrétienne que d’avoir des positions tranchées sur des sujets auxquels on ne connaît rien. David aurait-il participé au clonage de Dolly, la première brebis clonée ? Je ne sais pas. Joseph aurait-il semé du blé transgénique pour minimiser les effets de la sécheresse ? S’il avait été influencé par la culture américaine, oui, s’il était français, sans doute non. Moïse aurait-il participé à la « guerre de libération » de l’Irak ? Là encore, son lieu de naissance aurait grandement influencé son choix.
Trop souvent, nos choix sont influencés par la culture ambiante, comme ceux de nos concitoyens. Mais si nous voulons vraiment être sel de la terre, il nous faut des chrétiens formés dans tous les domaines de la vie, mais avec une formation qu’ils feront passer par le tamis de la Parole de Dieu pour en retenir ce qui est bon Éclairés par la Parole et l’Esprit, ils feront des apports constructifs
. Pour l’historien Herbert Butterfield , même l’Histoire et ses vicissitudes ne peuvent être comprises si l’on n’est pas chrétien. Et l’on sait l’importance et l’impact de la pensée d’un Jacques Ellul, par exemple, sur certains politiques.
Avoir des diplômes ne suffit pas : les chemins difficiles de la vie
Alors que Moïse a achevé son éducation au palais de Pharaon, il se sent prêt à être le bras armé de l’Éternel pour délivrer les Hébreux : Il pensait que ses frères comprendraient que Dieu voulait se servir de lui pour les libérer. Mais ils ne le comprirent pas (Ac 7.25). Après l’épisode où Moïse doit s’enfuir pour avoir tué un Égyptien et s’installe en Madian vient cette phrase laconique : Le temps passa (Ex 2.23).
Entrer dans le service de Dieu, que ce soit à plein temps ou comme membre d’Église engagé, ne signifie pas que notre formation soit terminée. Au contraire, souvent cela signifie qu’elle commence. Combien d’étudiants en théologie arrivent sur le terrain et sont surpris par ce que le ministère est vraiment. Ils ont appris à préparer un message en trois points, à consulter des commentaires pour préparer une étude biblique sérieuse. Ils ont un fondement solide dans la saine doctrine qui leur sert de garde-fou dans leurs réflexions, mais ce qu’attend d’eux une Église, ou ce que va impliquer pour eux le fait de devoir conduire une Église n’est pas souvent évoqué en cours.
Vivre le ministère va être la vraie formation. Quelqu’un disait un jour dans une prédication : « Si Dieu vous appelle à le servir quelque part, c’est qu’il a quelque chose à vous y dire ». On vient pour servir et enseigner, et on se retrouve à apprendre, et une assemblée locale sait parfois vous rendre cet apprentissage difficile.
La vie est notre vraie formation. La vie de couple va être un lieu important de formation ; peut-être ne pas trouver de conjoint sera aussi un chemin d’apprentissage. Être parent, la vie professionnelle et ses vicissitudes, les échecs, la maladie (la nôtre ou celle d’un proche), être confronté à la mort, et tous les autres aléas que la vie nous réserve, voilà les voies importantes que Dieu utilise ou permet pour notre formation.
David est un jeune garçon aux cheveux roux, aux beaux yeux et à la belle apparence (1 S 16.12), que Dieu a choisi et oint comme nouveau roi. Il a su gérer avec maturité l’inimitié de Saül, sans jamais rendre les coups, respectant celui que Dieu avait choisi avant lui et attendant le temps de Dieu. Il a sans doute une autre image de lui-même le jour où il se retrouve pris dans un adultère et un meurtre sordides. Résister aux attaques injustes de Saül à son égard était sans doute difficile, mais avec Bath-Schéba, le bel homme de Dieu, victorieux de Goliath, se découvre aussi médiocre et charnel que bien d’autres.
Puis viennent ses enfants. Que peutil ressentir lorsqu’il découvre que l’un de ses fils a violé sa demi-soeur ? Puis lorsqu’Absalom, le frère de celle-ci, va tuer le frère incestueux, s’enfuir, fomenter une révolte contre son père et finir avec trois pieux dans le corps, pendu par les cheveux dans un arbre ?
Peut-être s’est-il dit qu’il aurait dû être plus présent et impliqué dans l’éducation de ses enfants, qu’il aurait dû lire Les cinq langages de l’amour de Gary Chapman plus tôt, ou qu’il aurait dû amener Absalom chez un psychologue lorsque, enfant, il gérait déjà mal ses colères ? Et qu’a-t-il vécu, appris, lorsqu’il a senti sur lui le mépris de Mical (2 S 6.16), elle qui auparavant l’avait aimé et protégé ?
La vie nous apprend bien des leçons, Dieu nous forme à travers elle, et parfois cela fait mal.
La vie n’est heureusement pas toujours difficile
Mais Dieu n’est pas un Dieu qui prend plaisir au mal, et heureusement il nous forme aussi souvent par les simples circonstances de la vie, les occasions de rencontre, les multiples lieux d’apprentissage informel. Jésus, amenant avec lui ses disciples, est une bonne image de ce Dieu formateur qui utilise toutes les circonstances de la vie et les occasions qui se présentent pour nous faire réfléchir et avancer. Même de la nature, il apprend à ses disciples à tirer un enseignement : regardez comment poussent les lis des champs… (Mt 6.28)
David est le petit dernier d’une famille de huit garçons, dont chacun semble plus fort que le précédent et il a dû se faire sa place parmi des frères qui ne la lui laissent pas spontanément (1 S 17.28). Peut-être qu’avoir constamment ces sept frères qui le rudoient fait qu’il est moins impressionné par Goliath que d’autres.
Et les longues heures passées à garder les moutons l’ont poussé à s’intéresser à la nature, au sens de l’existence, à l’action de Dieu dans la création. Elles lui ont permis de développer, ou peutêtre même fait naître en lui, une âme de poète et de musicien. Cela a construit entre lui et Dieu une relation particulière de proximité, où il a appris à exprimer à son Père céleste les sentiments qui le traversaient. Et que serait notre Bible sans les psaumes de David qui découlent de ces apprentissages ?
Moïse, tout au long de sa vie, va apprendre à conduire le peuple. Son apprentissage commence lui aussi par des moutons, chez Jéthro, dans le désert, ce même Jéthro dont il saura écouter les sages conseils (Ex 18.17ss), alors qu’il aurait pu revendiquer son privilège de dépendre de Dieu seul, Dieu avec qui il est le seul à parler face à face. Il commettra comme nous tous des erreurs, qui l’empêcheront même d’entrer dans la terre promise, mais il en tirera des leçons utiles.
Dieu nous offre une multitude d’occasions de nous former, pour le ministère, pour la vie. Des formations parfois formelles et des moments où il faut juste savoir ouvrir nos yeux et notre entendement pour réfléchir. Des formations planifiées ou parfois imprévues. Des occasions où Dieu nous parle directement, d’autres où les circonstances nous construisent. Sachons nous former et nous laisser former à travers toutes ces opportunités.
T.S.
NOTES
1. Herbert Butterfield, Christianisme et Histoire, 1955
2. cf. article sur « Jésus formateur » dans ce numéro.