Veillée Cévénole (3)
Par François-Jean Martin
Ces veillées cévenoles permettaient aux protestants de se retrouver et c’est là que se retransmettait1 la force de la foi protestante autour de la Bible et des témoignages des héros de la foi. Cette transmission était essentielle pour les enfants et les jeunes, elle donnait l’identité et soudait les communautés.
Aujourd’hui, non pour exalter des hommes mais pour nous souvenir de nos racines protestantes et pour exalter leur Maître et le nôtre qui est fidèle aux siècles des siècles, je vous propose un de ces témoignages2. Bonne soirée !
Le chant des Psaumes3
Le Pré aux Clercs à Paris est une ancienne promenade, longue d’un kilomètre environ, située entre la rue de Seine et l’hôtel des Invalides. Elle appartenait à l’Université. Aucun lieu public n’était plus fréquenté aux quatorzième, quinzième et seizième siècles. Comme, son nom l’indique (clercs = écoliers), elle servait de rendez-vous aux étudiants qui s’y livraient à des jeux de toutes sortes. Mais on y rencontrait aussi, le soir, durant la belle saison, nombre de personnes appartenant à la noblesse et même à la cour. Sous Henri II, au printemps de 1558, les échos du Pré aux Clercs, habitués à retentir des chansons plus ou moins légères de la jeunesse des écoles, durent être singulièrement étonnés par d’autres ac- cents. Les Psaumes traduits par Marot, très répandus déjà, venaient d’être mis en musique par Goudimel. Un soir, quelques étudiants commencèrent à les chanter. Bientôt entraînés par leur exemple, beaucoup de leurs camarades se joignirent à eux. C’était la première fois que l’on entendait une musique à quatre parties. L’effet en fut prodigieux. Ces mélodies sacrées, d’une harmonie si sobre et si pure, ces voix sonores et fraîches, vibrant d’enthousiasme, firent une impression profonde sur la foule qui, sentant passer sur elle un souffle nouveau, se prit à les imiter.
Alors ce fut, plusieurs soirs de suite, un vrai concert avec d’interminables processions sur la vaste promenade. Le Tout-Paris de l’époque était en émoi. Les maisons du quartier, les murs de clôture, les moindres éminences se couvraient de monde. Chacun voulait voir et entendre, et tous s’étonnaient que l’Eglise n’accueillît pas avec faveur ces cantiques si graves et si beaux.
C’en était trop pour le clergé romain. Ces réunions inoffensives, où régnaient l’ordre et le calme, lui portaient ombrage. Il osa prétendre qu’elles tendaient à l’émeute. Quelques ennemis de la Réforme furent dépêchés en hâte vers le roi qui se trouvait au camp d’Amiens. Ils lui affirmèrent que jamais le trône et l’autel n’avaient couru pareil danger, que les hérétiques répandus en armes dans Paris y semaient la révolte, et que, s’il voulait sauver l’Eglise et le royaume, il fallait y aviser sans retard ! Henri II le crut, prit peur, et ordonna de sévir ; le Parlement interdit les chants comme séditieux. Toutefois, certains juges, favorables en secret à la Réforme ou honteux du rôle tyrannique qu’ils jouaient, donnèrent à entendre que c’était là simple mesure de prudence et qu’on pouvait continuer à se promener, voire même à chanter, pourvu qu’on ne chantât ni trop fort, ni de façon à exciter des troubles.
Le jour suivant, quelques voix seulement se firent entendre sous les ombrages de la promenade. Mais ce n’était qu’une courte accalmie. Le jour de l’Ascension, il y eut une nouvelle explosion d’enthousiasme. Du sein de la foule, plus nombreuse que jamais, des cris ironiques s’élevèrent d’abord à l’adresse des chanteurs qui restaient bouche close : « Voilà donc, disait-on, des évangélistes de trois jours ! » Aussitôt, ceux-ci, secouant toute crainte, entonnèrent de nouveau, et d’un élan indescriptible, les hymnes sacrés. Et tandis que la majorité des assistants se montrait charmée comme toujours, leurs ennemis, écumant de rage, parlaient de faire un mauvais parti aux magistrats qui n’empêchaient pas ce scandale. N’était-ce pas, en effet, chose scandaleuse entre toutes, que de chanter en français ce que prêtres et moines chantaient en latin ?
Sur ces entrefaites parut un édit royal qui ordonnait à tout venant de dénoncer les chanteurs, sous peine d’être déclaré coupable du même crime. Plusieurs personnes, jetées en prison, furent relâchées ensuite.
En rappelant ces souvenirs, il me semblait entendre les voix vibrantes du Pré aux Clercs qui, si bien, captivaient et entraînaient les masses. Et je me suis pris à comparer le présent au passé, nos chants d’aujourd’hui aux chants d’autrefois. Pourquoi, libres de toute entrave, ne savons-nous plus enlever ainsi les psaumes de David ? Qui nous mettra au coeur le feu sacré des anciens jours ? Qui réveillera parmi nous la fibre huguenote ?
Esprit, viens des quatre vents, souffle sur ces morts, et qu’ils revivent ! (Ez 37.9)
NOTES
1. En occitan
2. Nous avons gardé volontairement le style et les vieux mots du passé pour rester dans l’atmosphère
3. Ce texte est un résumé adapté d’une histoire intitulée « Un coin de Paris » paru dans les Nouvelles veillées cévenoles, J-T.et L. Martin, Société des publications morales et religieuses, Toulouse, 1897