TYNDALE
et la traduction de la Bible en anglais King James
Par FRANÇOIS-JEAN MARTIN1
La version de la Bible en anglais, King James, a été produite en Angleterre en 1611. Nous venons donc de fêter le 400ème anniversaire de cette traduction. Elle a été extrêmement influente dans l’élaboration de nombreuses langues, de la littérature, des métaphores et des idiomes par son utilisation pour d’autres traductions. Il y a aussi de grandes controverses et polémiques autour de cette version de la Bible. Il est impossible aussi de retracer l’histoire de cette version sans parler de celle de Tyndale.
WILLIAM TYNDALE
« Je défie le pape et toutes ses lois, et si Dieu me prête vie, je ferai qu’en Angleterre le garçon qui pousse la charrue connaisse l’Écriture mieux que le pape lui-même. »
Ainsi s’exprimait William Tyndale à Cambridge, vraisemblablement en 1522. Et il tint parole. Brillant érudit, il parlait l’hébreu, le grec, le latin, l’anglais, l’italien, l’espagnol et le français. Tyndale avait rencontré Erasme et découvert son Nouveau Testament grec-latin. Saisi par le message de l’Écriture, il s’était mis à le traduire en anglais. D’abord, il rechercha la protection de Tunstall, évêque de Londres, mais lorsque ce dernier apprit ses intentions, il lui refusa l’accès à son palais. À cette époque trouble, les autorités ecclésiastiques emprisonnaient et condamnaient même au bûcher les possesseurs des écrits de Luther et refusaient toute autre version que la traduction en latin de la Bible : la Vulgate. Comment alors poursuivre cette tâche en Angleterre ? En 1524, Tyndale quitte sa patrie qu’il ne reverra plus. Il achève sa traduction à Hambourg et la remet à un imprimeur. Des ouvriers trop bavards en informent le prêtre Cochlaeus, qui s’apprête à mettre la main sur l’édition. Tyndale se précipite à l’atelier, saisit ses précieux manuscrits et les emporte à Worms. Son Nouveau Testament y paraîtra en 1525.
Cependant, Cochlaeus a alerté l’évêque de Londres ; Tyndale sait donc que les précieux volumes seront saisis à leur arrivée en Angleterre. Pour déjouer l’étroite surveillance qui s’exerce dans les ports, les Nouveaux Testaments sont cachés dans des ballots d’étoffe ou des barils de vin. Beaucoup d’exemplaires sont néanmoins confisqués.
Leurs destinataires sont astreints à défiler à cheval, le visage tourné vers la queue de l’animal, et portant ostensiblement le livre défendu ; ils devront le jeter eux-mêmes au feu devant tous, et faire pénitence. Mais les efforts de l’évêque de Londres sont voués à l’échec. Ce traitement public fait connaître à tous l’existence d’une version en langue anglaise et comme la Parole de Dieu est toujours plus ardemment désirée, chacun veut prendre connaissance de l’ouvrage proscrit et s’ingénie à l’obtenir au mépris des menaces.
Un bûcher (autodafé) que l’évêque de Londres organise plus tard, devient une publicité inespérée pour la deuxième édition du Nouveau Testament Tyndale, imprimé cette fois en petit format, pour faciliter la dissimulation des volumes et mieux échapper aux perquisitions. L’homme mortel ne peut lutter contre le Tout-Puissant ni s’opposer à ses plans ! La Parole divine se répand de plus en plus en Angleterre.
Mais les adversaires de la Bible ne désarment pas. Ils tendent un piège à Tyndale. Trop confiant, le traducteur accepte une invitation à un repas chez de prétendus amis ; on met la main sur lui et on l’enferme au château de Vilvoorde en Belgique. Mais Dieu n’abandonnera pas Son serviteur, qui bénéficiera alors d’une extraordinaire faveur – un miracle, – il obtiendra en prison le matériel nécessaire à la traduction de l’Ancien Testament en anglais.
On a retrouvé la lettre que Tyndale adressa de sa cellule au gouverneur de la ville, le marquis de Bergen :
« Je souffre gravement du froid, et je suis affecté par un catarrhe perpétuel, qui s’est beaucoup développé dans mon cachot humide. J’aurais besoin d’un habit plus chaud, car celui que je possède est très mince. Mon manteau est complètement usé, mes chemises sont déchirées ; il me faudrait également un pardessus plus épais. De même, je sollicite de votre part la permission d’avoir une lampe le soir, car il m’est fastidieux de m’asseoir seul dans les ténèbres pendant les longues veilles de l’hiver. Mais ce que je vous demande par-dessus tout, et ce que je sollicite de votre clémence en tout premier, c’est une Bible hébraïque, une grammaire hébraïque et un dictionnaire hébreu, afin que je puisse passer mon temps à étudier. »
En traduisant, Tyndale accomplit sa tâche, étant assuré du secours constant du St-Esprit. Comment pourrait-il la mener à bien sans cette aide, alors qu’il travaille dans des conditions presque inhumaines, dans un donjon humide, exposé aux courants d’air et infesté de vermine, et que sa santé est déjà gravement compromise ? Ce n’est pas sans douleurs qu’est enfantée la Bible anglaise, cette Bible qui, pendant quatre siècles, se répandra plus qu’aucune autre sur la surface du globe.
TYNDALE SUR LE BUCHER
Condamné par Charles Quint, Tyndale monte sur le bûcher le 6 octobre 1536. Ceux qui assistent à son supplice entendent sa dernière prière, prononcée au moment où les flammes lèchent déjà son visage : « Seigneur, ouvre les yeux du roi d’Angleterre… »
Cette ultime requête sera exaucée deux ans plus tard. Les amis de Tyndale ont recueilli sa traduction faite en prison ; ils la complètent et la font imprimer. Il aurait été beaucoup trop dangereux d’indiquer le nom du traducteur sur la page de garde ; aussi cette édition est-elle désignée comme la « Bible de Matthieu » (Matthew’s Bible), selon le prénom de l’imprimeur.
En 1538 donc, un exemplaire de cette édition est remis au roi Henri VIII. Bouleversé par la beauté du texte et la profondeur de son message, le monarque, qui s’est déjà distingué par ses actes d’indépendance à l’égard du pape, passe outre une nouvelle fois les interdictions ecclésiastiques et décrète que cette Bible doit être lue par tous ses sujets. Exauçant la prière de Tyndale sur son bûcher, le Seigneur avait ouvert les yeux du roi d’Angleterre.
La version de King James
Cette première mesure officielle de tolérance à l’égard de l’Écriture sainte profita à d’autres éditions de la Bible anglaise qui sortirent de presse à la même époque. Le succès de ces versions de la Bible fut éclipsé par une quatrième, la « Bible de Genève » (Geneva Bible, 1560), qu’éditèrent des chrétiens réfugiés dans la ville de Calvin. Ils avaient fui les persécutions ordonnées par Marie Tudor, dite la Sanglante (1553-1558). Cette édition se répandit très largement en Angleterre, dès le moment où la liberté religieuse fut rétablie sous Elisabeth 1ère (1558-1603). Durant un demi-siècle, elle joua un rôle déterminant dans la propagation de la foi et l’édification des croyants, au point qu’on en oublia presque totalement la version de Tyndale. Cependant, la Geneva Bible avait une particularité : son texte était abondamment commenté. Or, plusieurs annotations, rédigées sous le coup de la persécution, contestaient le principe de l’autorité. Il était recommandé aux fidèles de ne pas se soumettre aux rois et aux gouvernements si ces derniers entravaient le libre exercice de leur foi.
En 1603, le roi Jacques VI d’Écosse occupe le trône d’Angleterre, sous le nom de Jacques 1er. Malgré l’éducation presbytérienne qu’il avait reçue, son caractère autoritaire le poussait à préférer le régime épiscopal, et il persécuta les dissidents. Cette accession marque la formation du Royaume-Uni de Grande- Bretagne. Or, le souverain craint que les notes ajoutées à la Geneva Bible ne sapent son autorité auprès de ses sujets, ce qui le conduit, en 1607, à prendre une initiative historique : il charge 54 savants et ecclésiastiques de Londres de procéder à une révision du texte sacré, et d’en préparer une édition qui pourra être recommandée et confirmée du sceau royal.
En se penchant sur les versions existantes, ces érudits redécouvrent la Bible de Tyndale et en reconnaissent toute la valeur. Elle représentera 80 ou 90 % du nouveau texte qui, en 1611, sortira de presse sous la désignation de Version Autorisée du roi Jacques. Au début, son succès sera relatif. Mais la qualité de ce chef-d’oeuvre ne tardera pas à s’imposer, éclipsant toutes les éditions existantes.
Pour certains, fêter les quatre cents ans de sa création semble exagéré à plus d’un titre.
Ainsi, dans l’Histoire de la Grande-Bretagne (Armand Colin, 1980), Roland Marx rappelle qu’à sa création en 1611, la Bible du roi Jacques est un symbole d’absolutisme et de répression. En effet, le roi (1603 – 1625) exige en 1604 « une seule doctrine et une seule discipline, une seule religion dans les dogmes et les rites ». Imposer une traduction unique de la Bible en anglais pour toutes les Églises participe à la construction d’une monarchie absolue. Le roi concentre alors tous les pouvoirs ! Dès 1610, Jacques I instaure donc une monarchie épiscopalienne : la fréquentation dominicale de l’Église paroissiale est obligatoire sous peine d’amende ! Comme des dissidents baptistes, congrégationalistes, presbytériens, puritains, et autres indépendants prétendent avoir le droit d’exister, les contrôles et la répression sont renforcés et aggravent les tensions. Fêter bruyamment l’anniversaire de la Bible « King James » n’est-ce pas, dès lors, un peu audacieux ?
Conclusion
En fait cette histoire nous apprend un principe important. Dieu n’agit pas seulement en dépit des circonstances adverses, mais aussi au travers d’elles. Dieu choisit de travailler par ces moyens afin de démontrer que le progrès de l’Évangile vient de lui plutôt que des capacités humaines. Tout comme Paul qui, dans l’épître aux Philippiens, n’est pas surpris que Dieu ait changé son emprisonnement et la jalousie de ses rivaux en moyens de faire avancer l’Évangile, soyons capables de discerner même au travers des adversités, la seigneurie du Christ à qui rien n’échappe. Bien que les traductions de Luther et d’Olivétan n’aient pas été faites en prison, elles ont été faites dans des périodes de persécution alors que leurs auteurs sont accueillis dans des refuges.
Il est vrai que cette version a été conçue comme un instrument de pouvoir mais, là encore, Dieu reste souverain et il a utilisé cette version de façon puissante. Pendant 350 ans, la Version Autorisée fut, dans les pays anglo-saxons, le best-seller en librairie. On peut dire que la Version Autorisée a modelé le langage et la mentalité de la nation britannique. Songeons un instant à l’extension de la langue de Shakespeare dans le monde, puis au nombre de missionnaires d’expression anglaise qui partirent sous toutes les latitudes pour traduire la Parole divine en dialectes indigènes, au départ de la Version Autorisée. Pensons aux innombrables commentaires, dictionnaires ou concordances de la Bible, conçus selon cette version : et rappelons-nous surtout ce que fut le christianisme en Écosse et en Angleterre, les pays de la Bible, puis aux Etats-Unis actuellement. C’est la Bible de Tyndale qui a édifié ces millions de croyants en leur communiquant le message divin. Par son moyen, le voeu du martyr de 1536 s’est accompli : « Le jeune garçon qui pousse la charrue connaît mieux l’Ecriture que le pape lui-même… »
F-J.M.
NOTE
1. Ce texte est un résumé de mon cours sur la Réforme protestante que je donne pour la formation des guides et conférenciers des villes et pays d’art et d’histoire. Ce cours est ponctué de portraits des réformateurs pour le rendre plus vivant. Ce travail a été fait à partir de nombreux ouvrages, nous citerons ici deux d’entre eux : pour le cadre général le Précis d’Histoire de l’ Église J.M. Nicole Ed. Institut Biblique Nogent sur Marne, 1972 et pour Tyndale, L’histoire de la Bible, J.H.Alexander, La Maison de la Bible, 1973