Christopher Sinclair sur le mouvement évangélique
Propos recueillis par Reynald Kozycki
SERVIR : Votre travail universitaire vous a amené à faire des recherches sur le protestantisme évangélique en Alsace et publier un livre sur la question.
C. Sinclair : Oui, à partir des années 80, ayant pris conscience de la présence et de l’importance du christianisme évangélique, quatre groupes de recherche en sociologie religieuse1 ont commencé à collaborer ensemble. Ayant fait ma thèse de doctorat sur les évangéliques anglais, j’ai pu m’intégrer à cet effort de recherche. Dans ce cadre, j’ai dirigé la publication d’un livre collectif sur les évangéliques en Alsace et dans le monde2.
Pourriez-vous donner en quelques phrases les points forts que vous avez développés ?
Les médias français affirment souvent que le mouvement évangélique en France est une importation récente, venue de Grande-Bretagne et des États-Unis. Un des buts du livre est de montrer que les évangéliques d’Alsace ont des racines avant tout françaises, allemandes et suisses, remontant jusqu’à la Réforme du 16e siècle, même s’il est vrai que certaines églises ont été fondées par des missions anglo-américaines entre 1820 et aujourd’hui3. Un autre objectif est de montrer la croissance numérique des évangéliques en Alsace-Moselle, avec la création d’une cinquantaine de nouvelles églises locales depuis 1945, pour dépasser le nombre de 200 aujourd’hui.
Quels défis pensez-vous que le protestantisme évangélique français devra affronter dans les quelques années à venir ?
Cinq défis me viennent à l’esprit.
1.Poursuivre une évangélisation dynamique et créative, qui annonce Jésus-Christ comme le seul Sauveur, malgré une atmosphère de plus en plus relativiste.
2.Édifier des chrétiens solides et équilibrés, des couples et des familles où règne l’amour, des Églises locales unies et accueillantes, qui pourront résister dans notre société difficile, et même être des lumières pour nos concitoyens.
3.Continuer de s’engager sur le plan éthique, social et écologique (par exemple en soutenant des associations comme le SEL, le CPDH, A Rocha,…), et garder cela à sa juste place, c’est-à-dire sans que cela prenne la place de l’évangélisation.
4.Fortifier l’unité évangélique à travers le CNEF, et garder des positions théologiques claires, notamment sur la Bible, la Croix, le Salut, face aux dérives théologiques qui se multiplient.
5.Enfin, il me semblerait important qu’il y ait davantage de femmes dans les instances dirigeantes des CAEF et du CNEF, à la fois pour l’image que nous donnons à la société qui nous entoure, et pour ne pas laisser en veilleuse les dons d’organisation et de relation que le Seigneur accorde à des femmes.
NOTES
1. Ces quatre groupes sont : le Groupe Sociétés Religions Laïcités (CNRS, Paris) ; le Centre de Sociologie des Religions (Université de Strasbourg) ; le Centre Société Droit et Religions en Europe (CNRS, Strasbourg) ; et l’Observatoire des Religions en Suisse (Université de Lausanne).
2. SINCLAIR C., dir., Actualité des Protestantismes Evangéliques, Presses Universitaires de Strasbourg, 2002.
3. Dans leurs travaux, les chercheurs Sébastien FATH et Daniel LIECHTI ont pu démontrer les mêmes choses concernant les évangéliques dans le reste de la France. Voir : FATH S., Du Ghetto au Réseau, le protestantisme évangélique en France 1800 2005, Genève, Labor et Fides, 2005 ; et aussi les encarts très intéressants composés par Daniel LIECHTI dans les différentes éditions de l’Annuaire Evangélique.