Un conte pour Noël1

 

Le Noël du bon roi

 dons

 

II était une fois… un roi.

 

 

Son royaume n’était pas très grand, mais son peuple possédait de grandes richesses. La terre était bonne, les cultures florissantes, et une mine inépuisable de diamants énormes faisait de ce pays un petit paradis. Tout le monde y vivait heureux. La guerre n’y existait pas, tout simplement parce que les gens étaient bons les uns envers les autres, et que chacun était content de ce qu’il possédait.

 

 

Un jour, les astronomes du royaume sonnèrent la cloche la plus grosse du château, celle qui ne retentissait qu’en cas de situation grave et importante. Tous les habitants du royaume se réunirent donc autour des mages, suspendus à leurs lèvres. Le premier mage prit alors la parole :

 

« Cette nuit est apparue une étoile magnifique dans le ciel, une étoile plus brillante que les autres et qui correspond à ce que prévoit la tradition religieuse : une étoile annoncera la naissance du roi des Juifs. Nous sommes d’accord mes collègues et moi-même, pour reconnaître en cette étoile celle dont il est question dans les récits transmis par nos pères, de génération en génération. »

 

Alors, les sages du royaume intervinrent à leur tour. Si cette naissance était annoncée si fidèlement depuis des temps immémoriaux, elle devait être très importante. Peut-être serait-il souhaitable d’envoyer des présents, afin d’honorer ce nouveau roi ? Et qui, mieux qu’un roi, pourrait accomplir cet hommage royal ?

 

La foule acclama cette proposition, et l’on équipa le roi de ses plus riches vêtements. Le chameau sur lequel il monta était chargé de nombreux cadeaux, tous plus somptueux les uns que les autres. C’est ainsi qu’il partit, seul, avec ses présents.

 

Le roi était un bon roi, mais n’était pas habitué à voir un monde moins beau et moins bon que celui de son royaume. Aussi, quelques kilomètres à peine après son départ, à la vue d’une femme couchée au bord de la piste qui le menait en Judée, une femme malade et grelottant de fièvre, enleva son manteau de soie rouge, brodé d’or, et en recouvrit la malheureuse.

 

Et plus le bon roi avançait vers la Palestine, plus il distribuait autour de lui les cadeaux préparés pour le roi des Juifs. Aveugles, orphelins, boiteux, paralysés, tous les malheureux qui se trouvèrent sur son passage reçurent des gestes d’amour et d’encouragement, l’un des diamants, l’autre des pièces d’or. puis des vêtements, et finalement son chameau.

 

Tant et si bien que le bon roi arriva à Jérusalem, près de Bethléem, à pied comme un pauvre : il avait tout donné, plus rien dans ses habits et son équipement ne le distinguait d’une personne ordinaire ; qui aurait pu dire, en le voyant, qu’il s’agissait d’un roi ?

 

Alors qu’il se promenait dans Jérusalem, à la recherche de renseignements sur le lieu de naissance du roi des Juifs, il vit un pauvre jeune homme avec de grosses chaînes aux mains, et aux pieds. Il s’agissait d’un prisonnier qu’on emmenait dans un cachot. Le visage du jeune homme était si triste que le bon roi lui demanda ce qu’il avait fait. Il répondit qu’il avait volé de la nourriture, quelques fruits et du pain, pour son petit frère qu’il avait à sa charge ; ses parents étant morts trois années auparavant, il regrettait ce geste, mais qu’aurait-il pu faire d’autre ? Sans travail, pas de salaire ! Et son petit frère avait tellement faim.

 

Le bon roi fut si triste en entendant son récit qu’il voulut l’aider. Doucement, il se mit à parler aux gardes, à leur dire que le jeune homme n’y pouvait rien… et il finit par leur proposer de prendre la place du prisonnier : il n’avait personne à charge et son peuple payerait rapidement son amende, dès que le procès aurait lieu. Les soldats, peu habitués à ce genre de proposition, ne savaient que dire. Puis jugeant que dans un cas comme dans l’autre, ils ramèneraient un prisonnier, que personne ne le saurait, et que le crime n’était pas grand, ils mirent les chaînes au bon roi qui les suivit.

 

C’est ainsi que le roi se retrouva dans une cellule, au fond d’une immense prison.

 

Les jours passèrent, et personne ne vint pour l’emmener devant des juges. Ses geôliers ne savaient rien, ne disaient rien, et les mois s’écoulèrent. Rien. Les années aussi passèrent. Personne ne se souvenait de cet homme, arrêté il y a si longtemps. Seul, oublié dans son cachot, le bon roi vieillissait de plus en plus.

 

Lorsque le prisonnier eut beaucoup de rides, des cheveux blancs comme le coton, une grande barbe, le chef de la prison mourut. Son remplaçant visita tous les cachots et retrouva, par hasard, le très, très vieux roi, triste et seul. Quand le chef de la prison entendit son histoire, il le libéra sur-le-champ.

 

Le bon roi sortit donc enfin de sa prison, marchant à l’aide d’un bâton ramassé dans des broussailles. Il était loin le temps où, jeune et riche, il aidait chacun des pauvres qu’il rencontrait. Le pauvre, c’était lui désormais.

 

Comme il traversait la ville, à pied sur le sol poussiéreux, il vit une grande foule qui se dirigeait vers une colline. Le bon roi interpella un enfant et lui demanda la cause de ce tumulte. Le garçon lui répondit : « Un homme dit qu’il est le roi des Juifs! »

 

Le coeur du bon roi se mit à battre plus vite : il allait enfin, après toutes ces années perdues, pouvoir approcher le roi des Juifs. En suivant la foule tant bien que mal, ébloui par le soleil et boitant péniblement, il entendit de plus en plus de cris violents. Il lui sembla comprendre « A mort ! A mort ! »

 

Mettre à mort le roi des Juifs ! Comment était-ce possible ? Tout tremblant, il hâta sa marche autant que ses faibles jambes le lui permettaient. Il avait peur de ce qu’il allait trouver, peur d’arriver trop tard. A force d’obstination, bousculant les gens à gauche, à droite, il arriva devant… une croix ! Dessus il était écrit : « Celui-ci est le roi des Juifs ».

 

Le bon roi en eut le coeur brisé. Il se mit à pleurer, agenouillé devant la croix. Plongé dans ses pensées, c’est à peine s’il entendit ce roi crucifié parler au bandit cloué sur une autre croix, à côté de lui. Le roi mourant lui disait : « En vérité, je te le dis, aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis. »

 

Et le bon roi comprit.

 

Il comprit pourquoi Jésus, le roi des Juifs, souffrait sur cette croix : pour sauver les hommes, tous les hommes, et lui aussi, et les emmener dans son paradis.

 

Alors il se releva, regarda Jésus cloué sur la croix, et le visage transfiguré, murmura : « Je ne suis pas arrivé trop tard ! »

 

Transcrit par Annick Waechter


NOTE

 

1. : Ce conte est inspiré d’une très ancienne légende russe. Il se racontait autrefois, à Noël, dans les Eglises Orthodoxes.