Conte de Noël
De l’étoile à la croix
par Annick Waechter
Sarah ne comprend pas pourquoi personne ne lui a expliqué ce qui s’est passé. Tout le monde en a parlé, mais trop fort, trop vite, en criant ou chuchotant, et pas un adulte n’a pris le temps de s’agenouiller pour s’adresser à elle ! Bien sûr, elle a vu la lumière, comme un soleil qui explose en pleine nuit ; elle a aperçu entre ses doigts, tremblante, un homme tout brillant et lumineux aussi, qui annonçait qu’un bébé était né, le fils de Dieu ; ensuite plein, tout plein d’autres personnes ont entonné des chants impressionnants et très beaux. Après quoi le soleil est parti, et la nuit est restée, muette.
Essayant de suivre les grands, Sarah allonge le pas tant qu’elle peut. Mais ses idées se brouillent, le sommeil la gagne, et elle se demande si le bébé de Dieu ressemblera à une boule de soleil avec une couronne, des jambes, tout doré…
Moïse sent la main de sa fille devenir toute molle, et il a tout juste le temps de la rattraper avant qu’elle ne s’endorme debout. C’est ainsi qu’il la dépose, plus tard, dans la paille d’une crèche très ordinaire, tout près d’un petit enfant comme un autre, et pourtant si exceptionnel.
Rachel regarde dans le vide, les joues pâles, les yeux secs d’avoir trop pleuré. Quand elle se lève, ses jambes et ses bras bougent comme par habitude. Elle cuisine pour son mari, range, nettoie, mais elle est morte. Morte ce jour affreux où les soldats sont entrés chez elle, avec l’ordre de tuer les garçons de moins de deux ans. Son poing appuyé sur son ventre, les mâchoires serrées, elle revit pour la énième fois sa tentative désespérée pour cacher son petit Jérémie dans un recoin de la chambre ; mais l’enfant avait pleuré, effrayé par les soldats, et ceux-ci s’en étaient emparé. Sous ses yeux, elle avait alors vu mourir son fils ; et la vie l’avait quittée elle aussi.
Quand bien plus tard on lui dit qu’Hérode désirait ainsi tuer un enfant nommé Jésus, le Fils de Dieu annoncé par les prophètes, né quand cette étoile étrange était apparue, Rachel tressaillit ; dans un effort immense, elle murmura d’une voix étranglée : Jérémie était aussi né sous cette étoile… il aurait eu trois ans maintenant.
Jacques court à toutes jambes sur le chemin poussiéreux ; il saute par-dessus le seau du puits, escalade les trois marches qui longent la maison d’Elie, pour arriver tout essoufflé dans la cour de Marie. Il s’arrête net, reprend son souffle comme il peut, et cherche des yeux Jésus dans l’atelier de Joseph, certain qu’encore une fois son copain est en train d’aider son père.
Jésus est l’ami de Jacques depuis longtemps ; à y réfléchir, Jésus est l’ami de tous, ce qui n’est pas la seule chose particulière avec lui. Il est gentil, doux, poli, mais aussi rigolo, il connaît plein de choses mais ne cherche pas à épater ni à se vanter. En plus il ne repousse jamais Jacques, qui cherche pourtant souvent à se mettre en avant.
Quand Jésus aperçoit son copain, il lui sourit, l’invite à entrer, et lui montre la table qu’ils sont en train de polir. Le coeur soudainement serré, Jacques est heureux de connaître Jésus, persuadé qu’ils resteront amis pour la vie.
Pierre a les pieds mouillés, et il n’aime pas ça. Ses vêtements dégoulinent depuis la taille pour finalement faire une grosse flaque sur le bois du bateau. Heureusement, l’eau est calme désormais, et il peut rester tranquille dans son coin. Pour revivre l’instant incroyable où il a marché sur les eaux vers Jésus, ses yeux dans les siens : il se rappelle la puissance qui émanait de son regard, de son visage, tout entier tourné vers lui ; et sa bouche qui lui souriait presque en lui parlant. C’était comme si Jésus le portait, s’ils ne formaient qu’un…
Mais pourquoi ? Pourquoi avoir détourné ses regards de Lui ? Oui, la tempête faisait rage, le vent hurlait, les vagues étaient devenues folles de hauteur ; et Pierre a eu si peur quand il a pris conscience de ce qui lui arrivait, si peur ! Il pleure amèrement, le visage dans ses mains, étouffant ses sanglots tant la honte le submerge. Alors il sent une main forte, pesante, mais douce qui lui serre l’épaule. Il la reconnaîtrait entre toutes, cette main que Jésus lui avait tendue quelques minutes auparavant pour le sortir des flots. Et quand ses yeux croisent ceux du Maître, c’est encore et toujours un message d’amour et de pardon qui le bouleverse. Plus tard, arrivés sur l’autre rive, Pierre aide Jésus à descendre de la barque ; puis il le suit.
Marie ferme la porte, et se retrouve chez elle, seule. Voilà des années que Joseph est mort, et plusieurs mois que son fils l’a quittée. Ses autres enfants ont fondé une famille, et Marie a le temps de se souvenir. Jésus aurait eu 34 ans, demain. Quand l’ange l’avait quittée, Marie s’était demandée si elle n’avait pas rêvé. Mais Joseph lui avait confirmé les choses, et Jésus était né : quelle naissance étrange, avec toutes ces personnes qui venaient adorer un bébé, aussi Sauveur fut-il ! Et dans une étable en plus !
Ensuite il a grandi, si sage, trop sage parfois quand elle-même n’était pas parfaite ! Mais même dans ces moments-là, il savait lui montrer de l’amour et l’encourager.
Un jour, Jésus était parti pour parcourir la région, accompagné de ses amis. C’est vrai qu’il lui montrait toujours autant d’affection, mais déjà, Jésus était moins son fils que le Sauveur. Quand il a été crucifié, elle a souffert comme mère, terriblement, mais il ne lui appartenait plus, elle le sentait, elle le savait : ce n’était pas le fils de Marie qu’on avait tué, mais le Fils de Dieu ; son fils est mort, celui de Dieu est vivant !
Comme c’est étrange ! Ainsi, demain, elle fêtera avec d’autres la naissance du Sauveur, non celle de son bébé : on ne se souviendra pas de ses premiers pas, ni de ses sourires, … mais on évoquera sa vie, sa mort à la croix, sa résurrection, son message de salut. Parce que c’est Jésus-Christ. Pas seulement son fils.
Jésus observe toute la terre, et chacun. Lui qui sonde les coeurs et les pensées, à qui rien n’est caché, est là, juste à côté. Quand vient décembre sur la planète bleue, les créatures de Dieu s’affairent de ci de là, et les enfants de Dieu également. Et Jésus accompagne ses frères dans chaque endroit, pleurant avec ceux qui souffrent, se réjouissant avec ceux qui chantent.
Son message reste toujours le même, son regard d’amour et de pardon perdure à jamais : il tend la main à ceux qui le rejettent, à ceux qui le renient, à ses frères qui l’oublient, et à ceux qui l’adorent.
Et s’il pleure parfois, c’est en pensant qu’il reste bien peu de traces de son passage sur terre.
A.W.