La conquête israélite en Canaan
par Pierre Wheeler
Dans cette série d’articles qui nous entraîne au travers des découvertes archéologiques des civilisations du Moyen-Orient, l’auteur, Pierre Wheeler, nous conduit plus loin dans l’histoire d’Israël. Nous verrons ici quelques découvertes qui ont trait à l’approche, la conquête et la colonisation de Canaan.
Balaam le devin
Israël parvint en terre promise après un séjour de trois mois dans les plaines de Sittim, appelées aussi Moab, où il écouta le Deutéronome énoncé par Moïse juste avant sa mort.
C’est dans ce cadre que se déroule l’épisode de Balaam. Balak, roi de Moab, avait fait venir cet homme depuis les bords de l’Euphrate, pour maudire Israël qui campait alors sur son territoire, dans ces plaines de Sittim. L’homme devait être renommé en tant que prophète, et doté d’une puissance peu ordinaire. On craignait beaucoup ses malédictions et l’on s’attendait à ce qu’elles s’accomplissent. Les oracles qu’il rendait étaient si importants qu’on les copiait parfois pour en garder une trace. C’est ainsi que des archéologues ont trouvé l’un d’eux, sur un tout autre registre que ceux prononcés à rencontre d’Israël, tels que nous les lisons dans la Bible.
C’est en 1967 que des archéologues hollandais ont trouvé à Tell Deir-Alla en Jordanie de nombreux fragments d’un texte en araméen, écrits à l’encre noire et rouge sur un support de plâtre provenant d’une stèle ou d’un mur. Ces fragments datent d’une période intermédiaire i entre le VIIIe et le VIe siècle avant J.-C. Il s’agit peut-être d’un document conservé dans des archives ammonites. Le texte explique que Balaam a eu une vision pendant la nuit. Le lendemain le peuple accourt, en entendant ses pleurs, et il leur explique le jugement qui doit s’abattre sur le pays, jugement « ordonnant les ténèbres ».
Nous n’en savons pas plus, parce que les morceaux de plâtre trouvés par les deux responsables de la reconstruction du texte (Mlle Kierkhof et M. Van der Kooy), étaient si fragmentés qu’ils n’ont pas encore pu établir la longueur exacte d’une ligne d’écriture de ces colonnes. Mais plusieurs parties du puzzle ont été assemblées, entre autres, la portion donnant les détails cités plus haut, qui dit aussi que la prophétie a été donnée au nom de Balaam, fils de Beor, appelé dans cette inscription « le voyant des dieux ».
Ce que nous constatons, c’est que Balaam est décrit de manière identique dans ce texte et dans la Bible (Nombres 22, 23, 24 et 25). Il est égoïste, personnel, opportuniste et énigmatique.
Les murailles de Jéricho
Au moment de la conquête du pays de Canaan, Israël commence à se sédentariser. Ce fait accorde aux archéologues un peu plus d’espoir de trouver des indices historiques concernant Israël, car un peuple qui s’établit vit au contact de villes, où des traces de son passage subsistent plus facilement. Mais ce n’est pas toujours le cas. La Bible nous rapporte la chute des murailles de Jéricho, tombées sans coup férir devant les Israélites.
On pourrait supposer que Dieu a provoqué un tremblement de terre pour faire s’effondrer les murs, juste au moment où les soldats Israélites ont poussé leur cri de guerre ; mais la Bible ne donne aucune précision à ce sujet (Jos 6.20).
Or, les anciennes éditions de dictionnaires bibliques parlaient de la découverte des vestiges de ces murailles lors de fouilles effectuées sur le site de Jéricho par l’archéologue anglais John Garstang : (1930-1936). Plus récemment, à la suite de recherches plus complètes à Jéricho, Mlle Kenyon, à partir de 1952, a démontré que Garstang s’était trompé dans ses calculs. Alan Millard, professeur en langues anciennes sémitiques de l’Université de Liverpool (G.-B.) confirme les conclusions de Mlle Kenyon : les murailles de la ville de Jéricho du temps de Josué n’ont point été retrouvées.
Et pour cause : les vestiges de la ville, bâtie en briques faites d’argile séchée, ont été érodés pendant les quelques siècles d’abandon qui suivirent la prise de Jéricho par Josué (voir 1 R 16.34).
Les villes brûlées
Certains exégètes se prononcent pour une datation de l’Exode et de la conquête de Canaan au XIIIe siècle. On parle dans ce cas de « chronologie courte ». Ils pensent en avoir la confirmation par les résultats des datations des traces d’incendie trouvées dans certaines villes fouillées en Palestine, comme Béthel, Lakis et Hatsor. Ainsi l’incendie de Hatsor a été daté de cette période par l’archéologue Yigaël Yadin. Pourtant la Bible dit explicitement qu’Israël ne brûla aucune de ces villes, « à l’exception de Hatsor » (Jos 11.13).
La chose la plus sage serait peut-être de reconnaître que toute la période de la Conquête, et celle des Juges qui l’a suivie, était une période trouble, comme l’indique le premier chapitre du livre des Juges. Il se peut que Béthel, par exemple, fût alors incendiée (Jg 1.22), ainsi que d’autres villes. Mais la date de l’incendie Hatsor reste un problème pour ceux qui prônent « la chronologie historique longue » : un Exode au XV° siècle avant J.-C.
La Bible ne nous offre pas une histoire complète de ces évènements (la conquête et l’occupation du pays) mais fait état plutôt de points historiques saillants qui ont aussi une portée spirituels.
La religion cananéenne
Plus intéressante peut-être encore, est la découverte dans une de ces villes, Hatsor, des restes d’un sanctuaire. Une stèle de basalte de 60 cm de haut porte, sur l’une de ses faces, la gravure de deux bras aux mains orientées vers un croissant de lune, dans lequel se trouve une étoile. La statuette d’une personne aux bras tendus en avant représente un « baal ». Un fer de lance est gravé de quelques lignes fines, dites « astrologiques ». Un « bama » (haut lieu), mis à jour à Méguiddo (à 40 km de Hatsor) montre aussi que les Cananéens formaient un peuple très religieux.
Les quelques 400 tablettes mises à jour à Tell el-Amarna en Egypte, présentent un bon nombre de lettres envoyées par les rois cananéens à leur maître, le pharaon. Elles nous aident à mieux comprendre la situation politique en Canaan à cette époque. Il est aisé de constater que le polythéisme cananéen – belliqueux et sensuel – ne pouvait aucunement cohabiter avec le monothéisme d’Israël. D’où l’ordre de Dieu de faire disparaître ce polythéisme avec tous ses adeptes.
Cependant Israël n’a pas exécuté cet ordre à la lettre. Une longue lutte spirituelle interne s’ensuivit, dont les péripéties sont décrites dans les livres des Juges, de Samuel, des Rois et des Chroniques. Finalement, le syncrétisme, contre lequel ont tant lutté les prophètes de l’Eternel, prévalut. Israël a payé très cher sa désobéissance du temps de Josué : il fut exilé jusqu’en Assyrie et en Babylonie, et souffrit tout au long de son histoire.
Conclusion
Si l’archéologie ne fournit pas pour cette période des preuves incontestables confirmant le texte biblique, elle montre cependant que l’époque était fort troublée et nous révèle une atmosphère, un cadre et des noms semblables à ceux décrits par la Bible.
P.W.