Martin Luther (1483-1546)

 

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par Pierre WHEELER

 

 

« Nous nous réclamons de la Réforme » dit une confession de foi évangélique. Notre Mission Evangélique est « protestante » parce qu’elle suit « les grandes lignes de la Réforme du XVIe siècle », lit-on ailleurs. Nombreux sont les évangéliques qui se réfèrent à la Réforme. Aussi n’est-il pas inutile de rappeler et de reconnaître l’oeuvre et le témoignage laissés par Martin Luther, le grand réformateur allemand, en cette année où l’on commémore le 450ème anniversaire de sa mort.

 

 

Martin Luther et la Parole de Dieu

 

Le plus important travail et le plus grand mérite de Luther a certainement été de remettre la Bible à sa place dans l’Eglise et dans la société. A travers les siècles, l’écho du marteau employé pour clouer ses 95 thèses sur la porte de l’église de Wittenberg s’entend encore1. Et pour cause : l’une de ses thèses proclamait que « la véritable mesure (dans le sens de trésor) de l’Eglise est le très saint Evangile de la gloire et de la grâce de Dieu » et dans une lettre adressée à Spalatin en janvier 1521, Luther annonçait : « Le monde est conquis par la Parole (de Dieu) ; et, par la Parole, l’Eglise est servie et reconstruite ».

 

De la Diète de Worms, toujours en 1521, la réponse de Luther résonne encore, lorsqu’il affirmait : je ne puis changer ma prédication « si l’on ne me convainc par les témoignages de l’Ecriture, ou par des raisons décisives… Je suis dominé par les Saintes Ecritures que j’ai citées, proclame-t’il, et ma conscience est liée par la Parole de Dieu. Je ne peux ni ne veux me rétracter en rien, car il est dangereux d’agir contre sa propre conscience. Me voici, je ne puis autrement. Dieu me soit en aide. Amen. »

 

 

La Réforme fut une époque charnière

 

Cependant, même s’il n’y avait pas eu Martin Luther, il y aurait eu inexorablement la Réforme. D’abord parce que ce réveil spirituel, le plus grand que le monde ait connu depuis le temps des apôtres, était dans le plan éternel de Dieu. Ensuite parce que l’Esprit de Dieu travaillait dans d’autres coeurs et préparait d’autres hommes à prendre position contre les excès ecclésiastiques de l’époque.

 

« Le frère Martin » est simplement l’instrument dont le Seigneur s’est servi pour attaquer de front les hérésies du siècle, en particulier les indulgences vendues pour reconstruire la basilique de St. Pierre à Rome (par Michel-Ange). Ce moine augustinien allemand, docteur en théologie, demeure sans nul doute, le prophète de la Réformation.

 

La Réforme fut en quelque sorte l’enfant spirituel de la Renaissance. Celle-ci avait débuté en Italie et arriva dans le nord de l’Europe quelques décennies plus tard, où elle devint religieuse, grâce à des humanistes tels que John Colet, Didier Erasme, Thomas More et tant d’autres. L’édition du premier Nouveau Testament bilingue en grec et en latin par Erasme y a beaucoup contribué, mais Erasme n’a fait que mettre en terre une semence.

 

Si Dieu ne l’avait pas fait germer et fleurir par Luther, la graine aurait pourri sur place, comme en Italie : ce pays n’a pas vécu une Réforme spirituelle, mais seulement une Renaissance culturelle. Luther s’est servi du Nouveau Testament d’Erasme pour transmettre la Bible en langue allemande, et ce fut l’éclosion d’une vie nouvelle pour ceux qui l’acceptèrent.

 

Mais l‘esprit de la Réforme existait aussi dans d’autres pays Européens. En France par exemple, Lefèvre d’Etaples traduisit la Bible en français depuis la Vulgate, sans toutefois se séparer du catholicisme. Cependant, Guillaume Farel et Jean Calvin avaient heureusement été saisis autrement par la Parole de Dieu pour provoquer une renaissance spirituelle si nécessaire, sans quoi il est douteux que la doctrine de la Réformation ait pu prendre racine dans notre sol de France.

 

 

Pourtant, la vraie Réforme fut anabaptiste

 

Pour nos assemblées, qui sont des églises professantes – en contraste avec les églises traditionnelles multitudinistes – la vraie Réforme biblique est celle que les historiens appellent « radicale », ou « dissidente », ou encore « anabaptiste ». Les chrétiens qui ont promulgué cette Réforme-là ont beaucoup souffert pour leur foi. Oui, même de la part des Réformateurs ! Ulrich Zwingli, le réformateur suisse, ne s’est pas opposé à leur mise à mort ! « Ils ont péché par l’eau, par l’eau ils périront » fut son argumentation (une référence à leur « rebaptême » par immersion et à la noyade, peine capitale qu’on leur infligeait). En effet les Réformateurs, excellents théologiens dans bien des domaines, le furent moins à nos yeux en ecclésiologie.

 

La Réforme anabaptiste sut aller un peu plus loin, capter la vision biblique de l’Eglise. Elle en définit trois premiers aspects : l’Eglise doit être une assemblée de professants, vrais enfants de Dieu. Deuxième point : ses membres professent, ou confessent leur foi, par le baptême, l’immersion, qui n’est pas un sacrement « régénérateur ». En troisième lieu, l’Eglise doit être séparée de l’Etat.

 

Or les Eglises luthériennes et réformées furent toujours attachées à l’Etat du pays où elles se trouvaient. Il s’agissait donc d’églises « nationales », bien qu’en France, François 1er n’ait pas reconnu officiellement la Réforme, ni les églises qui en étaient issues. Et si quelques princes allemands n’avaient pas soutenu Luther et si certains Conseils des églises n’avaient pas appuyé Zwingli, la Réforme aurait-elle eu le succès que nous connaissons ? En Angleterre, la « réussite » de la Réformation fut due en grande partie à un roi imbu de lui-même, Henri VIII. Mais le Seigneur s’en est servi car « le coeur du roi est un courant d’eau dans la main de l’Eternel. Il l’incline partout où II veut » (Pr 21.1).

 

 

L’anabaptisme plus vigoureux que jamais !

 

Il n’en reste pas moins que notre dette est grande envers les anabaptistes aujourd’hui ! Notre souhait est que leur exemple nous inspire encore. Ce mouvement, fondateur de nombreuses assemblées de type « mennonites » ou « frères », tel un fleuve spirituel, a persévéré, s’est développé et existe encore plus que jamais à la fin de notre XXe siècle. Sans conteste, il constitue l’aile marchante de Protestantisme. Les formes que prennent ces églises professantes sont multiples : baptistes, pentecôtistes, « libres » charismatiques, « frères », mais le fond reste le même : ces assemblées sont détachées de l’Etat et acceptent seulement comme membres ceux et celles qui confessent publiquement leur foi en passant par les eaux du baptême, après leur conversion à Dieu.

 

 

Attention aux exagérations du passé !

 

Par son indépendance et son individualisme, l’anabaptisme pouvait facilement tomber dans certains excès, d’autant plus que parmi ses troupes se trouvaient quelques fortes têtes. Vivant de leur expérience plutôt que de la Parole de Dieu, plusieurs visionnaires ont prêché un millénarisme extrême, disant que le Royaume de Dieu allait paraître dans telle ou telle ville. Ces éléments ont discrédité le réveil dissident, mais la riposte protestante et catholique, en écrasant par la force ces illuminés, fut tout autant indigne.

 

Plus tard, à leur tour, les armées protestantes et catholiques qui se trouvaient face à face sur le champ de bataille ont de nouveau jeté du discrédit sur le nom du Christ. Puissent ces exemples nous aider aujourd’hui à comprendre le danger de mêler religion avec politique, ainsi que de nous laisser aller à des expériences ou croyances exagérées. Les « raisons décisives » ou le « bon sens », dont parlait Martin Luther dans sa déclaration à Worms, sont toujours essentiels pour la compréhension de la volonté de Dieu.

 

 

Luther exagérait aussi !

 

Malheureusement, Martin Luther avait peu de place dans son coeur pour les anabaptistes. Peut-être le « bon sens » qu’il avait eu à Worms, lui faisait-il défaut alors qu’il en aurait eu besoin plus que jamais ? Il persécutait les anabaptistes, les accusant de priver leurs enfants non baptisés de la « grâce » (imaginaire) du sacrement du baptême. De plus, Luther saisissait mal l’importance de certains textes de la Parole de Dieu.

 

S’il appréciait la lettre de Paul aux Romains (avec raison, puisque grâce à elle la doctrine de la justification du pécheur perdu devant Dieu par la seule foi en la mort du Christ a été redécouverte), il stigmatisait la lettre de Jacques comme une « épître de paille » : il trouvait que Jacques insistait à tort sur la nécessité d’oeuvres dans la vie du croyant comme preuve de la foi qui sauve.

 

 

Martin Martel ?

 

Malgré ces lacunes, et bien d’autres encore, il n’empêche que Martin Luther fut l’artisan principal dans la main de Dieu pour réformer socialement et spirituellement une Europe septentrionale très malade qui gémissait sous le poids d’hérésies insidieuses. L’étude de sa vie montre que Martin Luther pourrait très bien être symbolisé par un marteau. Son travail de réformateur a débuté avec un tel outil, lorsqu’il clouait ses thèses sur la porte de l’Eglise de Wittenberg ! Par la suite, l’homme lui-même fut utilisé dans la main de Dieu, tel un marteau, afin de briser un système plusieurs fois séculaire, rebelle et résistant comme un roc2.

 

Heureusement que la massette qu’a été « frère Martin » fut à la fois suffisamment forte, mais en même temps raisonnablement maniable dans la main du Maître ouvrier, pour devenir l’homme de Dieu « propre pour convaincre et pour redresser », « adapté et préparé » à l’oeuvre qu’il devait accomplir.

 

Aussi lui restons-nous infiniment reconnaissants.

 

P.W.

 

 

DEUX AUTRES ANNIVERSAIRES

 

II y a 500 ans, en 1496 donc, Menno Simons naissait en Hollande. Influencé par les écrits des réformateurs Luther et Bucer, il quitta la prêtrise romaine en 1536, en enseignant, entre autres, la conversion, le rebaptême de ceux qui l’avaient été comme bébés (anabaptisme) et une forme d’église locale de type congrégationaliste. Il oeuvra jusqu’à sa mort pour le Seigneur, en enseignant les principes bibliques tout au long d’une vie d’itinérance. Les églises qu’il a fondées furent surnommées « mennonites ».

 

Il y a 100 ans est né William Camaron Townsend, fondateur de la mission Wycliffe pour la traduction de la Parole de Dieu. Plus de 2500 missionnaires et aides travaillent dans cette mission aujourd’hui. Plusieurs de ces missionnaires sont issus de nos assemblées, dont André et Hélène S-P qui exercent leur ministère en Afrique actuellement. 

 

 


NOTES

 

1. La Réforme allemande débuta par l’affichage par Luther de 95 thèses expliquant comment obtenir le vrai pardon, et fustigeant certaines erreurs de l’église catholique romaine. Cet événement (que certains voudraient faire passer pour une légende) s’inscrit tout à fait dans les coutumes de l’époque ; il n’y avait ni journaux, ni télévision pour transmettre les informations ; l’affichage était un des média de ce temps-là ! (Voir Henry Bettenson, Documents of the Christian Church, Oxford Paperbacks, 1967, p. 185-186).

 

2. Même si l’excommunication que le pape a prononcée en 1521 contre Luther n’a jamais été levée, il est intéressant de constater qu’aujourd’hui le réformateur n’est plus rejeté de la même façon. Lors de la visite de Jean-Paul II en Suède, pays luthérien, en 1985, la question lui fut posée. Il répondit évasivement que l’Eglise Romaine avait exclu le moine de son vivant, mais que maintenant que Luther était mort, la situation devenait différente, car « toute excommunication prend fin à la mort de celui contre qui elle a été prononcée » (La Vie n° 2285, du 15 juin 1989).