Récits mythologiques du déluge et textes bibliques

 

arc en ciel 2 

 

par Pierre WHEELER

 

 

J’aime parler de la Genèse comme d’un document archéologique. Certes, il ne s’agit que de quelques « flashs » concernant cette longue période de l’histoire humaine, mais nous croyons ces aperçus véridiques, inspirés par le Saint-Esprit et par là, dignes de toute notre attention et de notre confiance.

 

 

Torah

 

 

Les cinq premiers livres de la Bible (formant la Torah, le Pentateuque) sont attribués à Moïse ; c’est celui de la Genèse qui rapporte l’événement du déluge. Cependant, une lecture attentive de ce livre fait pressentir que Moïse s’est servi de documents déjà rédigés avant lui. D’ailleurs, il est intéressant de noter que le Nouveau Testament ne présente aucune citation de la Genèse attribuée directement à Moïse, alors qu’il le fait une bonne quarantaine de fois pour des textes ou affirmations d’autres livres du Pentateuque.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les « Livres de la postérité »

 

Dans la première partie de la Genèse, une expression revient souvent : « Le livre de la postérité »1 ou « Voici la postérité »  ; ces mots sont compris par certains auteurs comme le titre d’une nouvelle section (ils apparaissent d’ailleurs comme tels dans la présentation typographique de nos Bibles). Cependant ces expressions permettent à Peter J. Wiseman d’émettre l’hypothèse qu’elles servent de signature à la fin des textes de onze « Livres de postérité » ou « Histoires de la famille ». Aussi pense-t-il que ces textes ont été rédigés à l’origine sur onze tablettes d’argile différentes. 2

 

P. J. Wiseman suggère même que certaines de ces tablettes auraient pu être amenées d’Our en Chaldée par le patriarche Abraham lui-même ! Et Moïse aurait plus tard inclus dans la Genèse le récit du déluge.

 

Les « Livres de postérité » des autres patriarches pourraient avoir été composés durant la vie de ces hommes ou tout de suite après leur mort. Après ces textes, dans la Genèse, suivrait la vie de Joseph où le lecteur découvre un autre genre littéraire : le récit de type biographique et chronologique (Gn 37.2b à 50.26).

 

 

Les divers récits du déluge

 

La proposition de R. J. Wiseman retient toute notre attention, principalement parce que d’autres tablettes racontant le déluge ont été découvertes, qui datent à peu près de la même époque que celle d’Abraham. On pourrait facilement croire qu’il y ait eu des dizaines de copies du récit de cette catastrophe, étant donné son impact sur ceux qui survécurent et sur leurs descendants. Le souvenir de ce cataclysme était resté dans la mémoire des descendants de Noé et transmis de génération en génération dans chaque famille.

 

Effectivement, les anthropologues ont appris au fil de leurs découvertes, que le souvenir d’un déluge terrible a été gardé en mémoire dans plus de deux cents ethnies diverses. Devant tant de témoins, et sans liens possibles entre eux, il est difficile de contester qu’une inondation de gigantesques proportions a eu lieu sur la terre antique.

 

 

Découvertes archéologiques

 

1) Fouilles en Mésopotamie

 

En 1928-29, dans des fouilles à Our, la ville d’Abraham, Sir Léonard Woolley a cru avoir trouvé la preuve du déluge par la découverte d’une couche alluviale, épaisse de deux mètres cinquante, avec en-dessous, d’autres signes de civilisation. Cependant, Woolley n’avait trouvé que la preuve évidente d’une inondation locale. Par la suite, ailleurs dans la région, d’autres signes évidents de semblables inondations locales ont été mis au jour.

 

2) Textes mésopotamiens

 

Les textes archéologiques parlant du déluge, ou le citant, inscrits sur des tablettes d’argile découvertes au 19e siècle, sont bien plus intéressants pour nous que les strates de boues alluviales. Ces textes sont souvent fragmentaires, mais ce fait ne diminue pas leur importance. Ces récits divers sont généralement nommés d’après leur lieu d’origine : récit babylonien ou récit sumérien…

 

On a aussi découvert une généalogie de rois, divisée en deux par l’expression : « Puis vint le déluge ». Le texte sur le déluge le plus complet, a été mis au jour à Ninive (en Mésopotamie), au milieu du 19e siècle. Il faisait partie de la bibliothèque du roi assyrien Assurbanipal. Le déluge y est conté sur la tablette n° 11 d’une série de douze, constituant l’épopée de Gilgamesh. Un fragment de texte relatant cette épopée de Gilgamesh, identique à la tablette n° 7, a été découvert en 1954 à Megiddo (Palestine).

 

On a aussi trouvé une autre épopée, celle d’Atrahasis, qui présente une version différente du déluge. Ces diverses versions sont la preuve que le monde du Proche-Orient ancien avait été marqué par ce cataclysme et s’en souvenait bien !

 

Similitudes et différences

 

1) Le texte biblique et celui de Gilgamesh présentent bien des parallèles :

 

– l’avertissement concernant le déluge qui devait arriver,

 

– la construction d’un grand bateau, l’arche (certaines cotes sont données),

 

– des animaux qui y entrent,

 

– la durée du déluge,

 

l’arche qui se pose finalement sur une montagne de la même région,

 

– des oiseaux qui sont libérés par Ut-napishtim (Noé),

 

-un sacrifice qui est offert lors de la sortie de l’arche.

 

 

2) Cependant, toutes ces similitudes ne peuvent masquer de nombreuses variantes, avec des différences importantes et significatives :

 

– la tablette n° 11 présente un polythéisme plutôt grossier, car les dieux se disputent, et certains ont peur du déluge,

 

– chez Atrahasis, on prétend que le déluge fut envoyé parce que le dieu Enlil ne trouvait plus le sommeil à cause du bruit que faisaient les hommes…

 

– après sa sortie de l’arche, lors du sacrifice d’Ut-napishtim, les dieux se groupent autour de lui « comme des mouches ».

 

L’épopée de Gilgamesh s’inscrit dans un récit concernant sa quête d’immortalité.

 

Une seule fois, on trouve une allusion à une idée, plutôt vague, de punition. L’introduction biblique, en rapport avec la corruption morale, et totale, de l’humanité qui provoqua la destruction du monde humain, manque totalement (Gn 6.1-7).

 

Les exégètes de tendance libérale estiment que le récit biblique a comme source ces autres textes qui sont des mythes. Nous, nous acceptons sans problème la véracité du texte biblique. Nous croyons qu’il narre avec fidélité des faits historiques. Cependant, la Bible ne nous présente qu’une description partielle de ce cataclysme.

 

 

Inondation locale on déluge universel ?

 

Les textes archéologiques d’origine polythéiste ne traitent pas directement de l’étendue du déluge. Par contre, la Bible en parle. Selon S. R. Driver, théologien libéral d’Oxford (G B), la description (en hébreu) dans la Genèse ne peut indiquer qu’un déluge universel. C’est aussi la pensée de l’auteur de cet article.

 

Il faut cependant dire que des exégètes et des savants évangéliques restreignent l’étendue du déluge à la partie habitée du monde d’alors, le monde connu, la région mésopotamienne .3

 

 

En guise de conclusion

 

En terminant, nous ne pouvons nous empêcher de nous dire qu’ayant pris connaissance de la réalité de ce qui s’est passé lors du déluge, nous devrions réfléchir à ce qui se passera demain, quand la terre sera détruite par le feu (voir 2 P 2.5-7). A ce sujet, sachons que Dieu cherche aujourd’hui encore des prédicateurs de justice, comme Noé. Tout en annonçant la Bonne Nouvelle de l’Evangile, ils ne doivent pas oublier d’avertir, avec compassion, un monde qui s’en va vers la destruction.

 

P. W.

 


 

Bibliographie sommaire

 

Nouveau Dictionnaire Biblique, article « Déluge » (édit. Emmaüs, 1992).

 

Alan Millard, Trésors des temps bibliques, article « Le déluge, bien sûr » (Edit. Sator-Le Cerf, 1986).

 

André Parrot, Déluge et arche de Noé (Edit. Delachaux et Niestlé, 1955).

 

R.J. Tournay, A. Shaffer, L’épopée de Gilgamesh (traduction aux Editions le Cerf, 1994).

 


 NOTES

 

1. Expressions retenues par les traductions Segond et La Colombe ; «origine de», «Te livret de l’histoire de la famille de…» Ou «l’histoire de la famille de» par La Semeur ; «tes générations de» par Darby, etc.

 

2.  Les références bibliques de ces 11 «livres», sont les suivantes : 2.4; 5.2 ; 6.9 ; 10.1; 11.10; 11.27 ; 25.12 ; 25.19 ; 36.1 ; 36.9 ; 37.2. Peter J. Wiseman expose ses recherches et ses conclusions dans dues to Creation in Genesis (Clés de la création), chapitre 7. Edit. Marshall, Morgan and Scott, 1977. Ce livre est une réédition faite par son fils D.J. Wiseman, l’assyriologue bien connu.

 

   Parmi les exégètes et les théologiens évangéliques, les avis sont partagés sur le sens de l’universalité du déluge : toute ta terre, toutes les montagnes, était-ce la terre et les montagnes connues en ce temps-là par la première humanité encore rassemblée géographiquement ? Si c’était le cas, en se répartissant sur la terre après le déluge (Gn 10.32), les différentes familles pouvaient aussi avoir emporté avec elles le souvenir du déluge qui avait submergé tout le monde qu’ils connaissaient alors (et qu’ils voyaient : 7.18), les plus hauts sommets de leur monde ayant été recouverts de sept ou huit mètres d’eau (Gn 7.20). Voir note de la Bible du Semeur sur Gn 7.19. Un même vocabulaire suggérant l’universalité est employé ailleurs dans l’A.T. avec un sens limité : Gn 41.56-57 ; Dn 2.38 ; 4.22 ; 5.19 ; etc. (Nouveau Commentaire Biblique, Edit Emmaüs, p.92). Cependant «sous tous les deux» peut suggérer une universalité du déluge.