Pâques dans les évangiles
par Alain KITT
Un lecteur sans connaissance préalable qui parcourrait les quatre évangiles en pensant y trouver de simples récits biographiques, serait certainement frappé par la proportion de ces écrits consacrée à la dernière semaine de la vie de Jésus. Sur les 86 chapitres (dans nos bibles) qui forment l’ensemble des évangiles, trente – plus du tiers ! – concernent cette semaine-là et les quelques jours qui ont suivi la crucifixion.
L’apogée du ministère du Sauveur
La vie de Jésus n’a pas été une vie comme les autres : tout tendait vers cette semaine que nous appelons Semaine sainte, ou Semaine de la Passion. Jésus lui-même a résumé l’importance capitale des événements qui devaient conduire à sa mort, en ces paroles inoubliables rapportées par Jean : « Que dirai-je ? Père, sauve-moi de cette heure ? Mais c’est précisément pour l’affronter que je suis venu jusqu’à cette heure1 ». (« L’heure » dans l’évangile selon Jean indique souvent le moment de la mort du Seigneur, comme «la coupe» dans les autres évangiles représente l’ensemble de ses souffrances).
Quatre récits
A première lecture, il y a d’importantes différences entre les récits de cette semaine ; établir une « harmonie » des quatre narrations n’est pas facile. Luc, par exemple, est le seul à mentionner la comparution de Jésus devant Hérode ; il est également le seul à raconter la repentance d’un des brigands crucifiés en même temps que le Seigneur. Mais il n’y a là aucune contradiction : chaque évangéliste décrit les événements selon ses propres souvenirs ou selon le témoignage de ceux qui étaient là.
Le repas de la Pâque
Les différences que l’on constate entre les trois évangiles «synoptiques» (Matthieu, Marc et Luc) et celui de Jean peuvent paraître plus difficiles à concilier. Il est évident, par exemple, que le dernier repas de Jésus avec ses disciples a été le repas de la Pâque2. Jean cependant indique que le lendemain matin les accusateurs de Jésus n’avaient pas encore mangé la Pâque3. Y a-t-il contradiction ? Pas nécessairement.
Plusieurs explications plausibles ont été avancées. Ces hommes n’ont peut-être simplement pas eu le temps de manger eux-mêmes le repas pascal : ils ont été tellement occupés à faire condamner Jésus ! De plus, ils ont été surpris par la rapidité des événements après la trahison de Judas, eux qui n’avaient surtout pas voulu déclencher une crise pendant la fête4.
Il n’y a donc pas lieu de mettre en opposition l’évangile selon Jean et les trois autres sur ce point : Jésus et ses disciples ont mangé le repas de la Pâque le jeudi soir. Ensuite tout s’est précipité. Jésus a été arrêté le même soir. Les autorités religieuses ont veillé à ce que son procès et les comparutions devant Hérode et Pilate soient vite expédiés pour qu’il puisse être crucifié le vendredi matin.
Les témoins
Matthieu, Marc et Luc s’accordent pour dire qu’il est mort vers trois heures de l’après-midi, tandis que Jean ne précise pas le moment. Seules, plusieurs femmes qui étaient montées avec lui à Jérusalem, l’ont accompagné jusqu’à la fin5. Jean, qui se trouvait plus tôt au pied de la croix, était reparti chez lui, chargé de veiller sur la mère de Jésus6. Pierre, qui était revenu en ville après la débandade dans le jardin de Gethsémané, a disparu après avoir renié le Seigneur. Les autres avaient tous pris la fuite lors de l’arrestation, et se trouvaient peut-être dans la maison de Lazare, à Béthanie, tout près de Jérusalem.
Une harmonisation exacte des événements après la résurrection est peut-être plus difficile à réaliser. Les disciples ne s’attendaient pas à ce que Jésus ressuscite : ce qui s’est produit ce dimanche matin les a pris totalement au dépourvu, et chacun des témoins a dû se rappeler cette journée inoubliable de façon différente. Nous devons aussi nous souvenir que les quatre auteurs (cinq, si l’on inclut Paul, qui a rédigé un court résumé en 1 Co 15) ne se sont pas réunis en comité de rédaction pour harmoniser leurs récits, pour éviter tout recoupement et éliminer toute anomalie !
Un fait incroyable !
Nous sommes ensuite en face d’un événement monumental, totalement inédit et sans précédent dans l’histoire du monde : une résurrection spontanée ! Chaque récit reflète les émotions de ceux qui étaient là et la difficulté qu’ils ont eue à croire et à comprendre ce qu’ils voyaient et entendaient. La résurrection du Seigneur a bouleversé leur système de pensées. Les premiers récits – ceux des femmes – ont pu être marqués par une certaine confusion : les femmes, tellement bouleversées par ce qu’elle avaient vu, courent, et c’est probablement tout essoufflées, qu’elles transmettent la nouvelle. Elles n’ont pas eu le temps de réfléchir à ce qu’elles devaient dire et de préparer un discours bien construit ! Cela s’est passé dans le feu de l’action, et non au cours d’une conférence de presse bien ordonnée !7
Et tout est tellement nouveau : c’est le même Jésus qu’ils ont connu auparavant, pourtant ils ne le reconnaissent pas toujours8 ; il a une façon étonnante d’apparaître ici ou là, et tout d’un coup dans une salle dont les portes sont fermées !9 Ne soyons donc pas surpris si les récits sont aussi empreints d’une certaine perplexité et comprenons la difficulté que les premiers témoins eux-mêmes ont eue pour mettre de l’ordre dans leurs pensées.
Nous pouvons cependant retracer les grandes lignes de cette journée, et surtout constater la réalité des changements que la résurrection a opérés chez ces hommes et ces femmes qui se retrouvaient en secret, derrière des portes closes, par crainte des Juifs. Jésus est apparu aux femmes qui étaient allées très tôt le matin au tombeau, et en particulier à Marie-Madeleine10. Il a accompagné sur le chemin deux disciples qui se rendaient à Emmaüs11. Il est aussi apparu en privé à Pierre12, mais les détails de cette rencontre et de la conversation entre le Seigneur et son disciple ne sont pas divulgués. Pendant que les disciples étaient en train de discuter au sujet de ces apparitions, en essayant certainement de les comprendre et de mettre un peu d’ordre dans leurs idées, Jésus se présenta tout à coup au milieu d’eux13. Pour les convaincre que c’était vraiment lui, présent dans un corps bien réel, il leur a montré ses mains et ses pieds – il y avait la marque des clous – et il a mangé un morceau de poisson devant eux.
Pendant les semaines qui ont suivi, Jésus s’est montré plusieurs fois encore à ses disciples, à Jérusalem et en Galilée. Luc peut parler de beaucoup de preuves14 jalonnant les 40 jours jusqu’à l’Ascension, mais cela dépasse les limites de cet article.
Jésus est vraiment ressuscité !
Contentons-nous de rappeler la certitude absolue des témoins de la résurrection. Même si avant la crucifixion, déjà, Jésus avait reproché, à plusieurs reprises, à ces hommes leur manque de compréhension. Même si pendant les semaines suivant la résurrection, ils ont gardé des doutes15. Tout change avec la venue du Saint-Esprit à la Pentecôte : les mêmes hommes sont devenus des témoins courageux, prêts à affronter l’opposition, les moqueries et même la mort. Dans leur compréhension renouvelée des Ecritures, ils ont été capables de confondre les spécialistes de la loi qui voulaient les faire taire. A cela, une seule réponse : « Vous avez fait mourir l’auteur de la vie. Mais Dieu l’a ressuscité des morts : nous en sommes témoins ».16
A. K.
NOTES
1. Jn 12.27.
2. Mt 26.17ss ; Mc 14.12ss ; Lc 22.15.
3. Jn 18.28.
4. Mt 26.4 ; Mc 14.2.
5. Mc 15.40s.
6. Jn 19.26s.
7. Mt 28.8.
8. Lc 24.16s.
9. Lc 24.36 ; Jn 20.19, 26.
10. Mt 28.9 ; Jn 20.14ss.
11. Lc 24. llss.
12. Lc 24.34 ; 1 Co 15.5.
13. Lc 24.36ss
14. Ac l.3.
15. Mc 16.14 ; Mt 28.17.
16. Ac 3.15.