Les psaumes messianiques
Par Guy Athia1
Avant d’entrer de manière plus concrète dans la nature des psaumes qualifiés de messianiques par les commentateurs juifs ou chrétiens, il convient de comprendre précisément la vocation des textes que l’on regroupe sous le vocable d’Ancien Testament (AT).
En effet, le Nouveau Testament (NT) se présente essentiellement à nous comme la « réalisation », « l’accomplissement » des prophéties messianiques contenues dans l’AT, notamment dans les psaumes dits messianiques.
Il convient de relever par ailleurs qu’en dehors des lois de la Torah, directement délivrées à Moïse par Dieu, le choix des livres de l’AT, fait primitivement par les Juifs, avait pour critère essentiel le caractère messianique des récits.
Ainsi donc, tout l’AT a vocation à nous parler du Messie d’une manière plus ou moins voilée.
Les psaumes sont pour l’essentiel des cantiques et des poèmes rédigés par des auteurs inspirés, tels David, Salomon, Asaph ou Kéhath. Ont-ils toujours perçu le caractère messianique de leurs écrits ? Sans doute pas et nous ne spéculerons pas sur ce qu’ils ont pu comprendre du profil du Messie dans les mots qu’ils rédigeaient, relisaient ou chantaient.
C’est généralement a posteriori que les commentateurs de la Bible ont compris que tel texte ou tel psaume avait un caractère messianique.
À la différence des commentateurs juifs, qui dans leur appréciation des textes demeuraient avant tout dans l’attente continue de la venue du Messie, les théologiens chrétiens se sont eux, appuyés sur la révélation « accomplie » en la personne de Jésus.
Cependant, pour être tout à fait exact, sans la révélation du Saint-Esprit, même « l’évidence » ne saute pas aux yeux.
Les disciples eux-mêmes, pourtant au plus proche de leur maître, n’ont pas tout compris tout de suite. Ce fut le cas avant la passion du Messie. Ce sera encore le cas après la résurrection.
Ainsi, les disciples en chemin vers Emmaüs s’interrogeaient toujours sur le sens de ces évènements (la mort et la résurrection). Jésus va prendre le temps de leur expliquer à travers toutes les Écritures (psaumes inclus) que le sens premier de sa venue était de mourir pour le salut de son peuple : Alors Jésus leur dit : Hommes sans intelligence, et dont le coeur est lent à croire tout ce qu’ont dit les prophètes ! Le Messie ne devait-il pas souffrir de la sorte et entrer dans sa gloire ? Et, commençant par Moïse et par tous les prophètes, il leur expliqua dans toutes les Écritures ce qui le concernait. (Lc 24.25-27)
Les souffrances et la mort du Messie sont certainement les notions les plus énigmatiques du profil et de la mission du Messie au milieu de son peuple et que l’on retrouve notamment dans les psaumes.
Le caractère messianique de certains psaumes a été reconnu très tôt par les rabbins. Les chrétiens leur ont de fait le plus souvent emboîté le pas. Mais cette reconnaissance commune du caractère messianique de certains psaumes n’a pas conduit nécessairement à un consensus et il est demeuré bien des divergences entre commentateurs juifs sur le profil à retenir du Messie à venir.
Les psaumes, peut-être par leur caractère poétique, dressent davantage un profil relativement mystérieux, et même d’une certaine façon problématique, pour les commentateurs aux idées reçues.
Cela est assez perceptible dans le Psaume 2 par exemple, pourtant unanimement reconnu comme messianique : Pourquoi les nations s’agitent-elles et les peuples ontils de vaines pensées ? Les rois de la terre se dressent et les princes se liguent ensemble contre l’Éternel et contre son messie (Ps 2.1- 2).
L’association de l’Éternel avec son Messie au verset 2 est comprise habituellement comme le lien indissoluble de Dieu avec son Messie, mais aussi l’expression d’une distinction de l’un par rapport à l’autre. Les Juifs pensent en général que, dans ce passage, le « Messie » n’est autre qu’Israël, appelé plus loin comme un « Fils », sauf que la suite du psaume peut difficilement lui correspondre.
Et nous n’entrerons pas ici en détail dans la problématique linguistique du verset 7 qui pose plus de questions qu’il ne donne de réponses : Je publierai le décret de l’Éternel ; Il m’a dit : Tu es mon fils ! C’est moi qui t’ai engendré aujourd’hui (Ps 2.7). En effet, l’engendrement dont il est question est ici « humain ». Que comprendre alors de ce verset sinon que le Messie a un caractère humain, mais engendré cependant par l’Éternel ? Or il est inconcevable que l’Éternel puisse « engendrer » de cette manière. L’incarnation et l’intervention du Saint-Esprit sont l’une des réponses non écrites possibles qui découlent d’autres textes, notamment du prophète Ésaïe, mais aussi de la Torah et notamment la parole d’Ève lors de la naissance de Caïn2.
Mais le psaume annonce quelque chose de plus singulier encore : Embrassez le fils, de peur qu’il ne se mette en colère, et que vous ne périssiez dans votre voie, car sa colère est prompte à s’enflammer. Heureux tous ceux qui se réfugient en lui ! (Ps 2.12)
Le « fils » est à la fois celui qui apporte la rédemption et le jugement. Une prérogative divine que l’on ne peut envisager d’attribuer à Israël en tant que peuple.
Cela sous-entend aussi que si le profil du Messie se dessine peu à peu, sa mission comporte plusieurs phases qui ne se sont pas toutes forcément encore réalisées.
Jésus est bien venu il y a 2000 ans pour sauver de ses péchés Israël et, avec lui, toute l’humanité. Il doit cependant « revenir » pour établir son règne et juger les rebelles.
L’idée même de « Fils » associée au Messie est une notion troublante que l’on pourrait croire « importée » de l’Évangile. Le psaume lui-même ne développe pas longuement cette idée, mais on la retrouve dans certaines subtilités de l’hébreu présentes notamment dans le terme « bina » de Proverbes 8 et qui signifie sagesse ou connaissance. Là encore, il s’agit d’un texte poétique à caractère messianique. Les commentateurs juifs mettent clairement en relation la « sagesse » avec le « fils » et, indirectement, même avec « Dieu ». Cela signifie clairement que la notion de « Fils de Dieu » n’est pas une idée si étrangère aux Écritures (AT). Elle n’est pas une création évangélique comme certains voudraient le faire croire.
Parmi les psaumes messianiques, le Psaume 22 est sans aucun doute le plus connu, notamment parce qu’il est repris, presque point par point, dans les Évangiles pour retracer les souffrances de Jésus sur la croix. L’impression qu’il fait ressortir est que Dieu accomplit de façon précise ce qu’il a annoncé près de 1000 ans auparavant.
En définitive, la lecture des psaumes messianiques est souvent « parasitée » par les idées reçues que Juifs ou chrétiens peuvent avoir du Messie. Les premiers – par opposition aux chrétiens – réfutent ce que bien des rabbins du passé avaient clairement perçu comme se rapportant à l’image de Jésus dans les Évangiles. Les seconds, le plus souvent, choisissent la voie de la facilité en calquant leur lecture des psaumes messianiques sur l’image qui s’est formée ou déformée au fil des siècles, une image marquée par le langage du dogme. Au final, tandis qu’au 1er siècle, elles étaient au coeur même de l’apologétique chrétienne, les prophéties messianiques, notamment des psaumes, se trouvent à présent sous-évaluées et l’objet d’un combat d’arrière-garde.
Les psaumes messianiques, outre leur caractère poétique, présentent aussi bien des aspects concrets et clairement identifiables du Messie annoncé que d’autres traits plus mystérieux dont le sens a échappé à leurs auteurs. C’est un défi permanent offert aux croyants – comme aussi aux non-croyants – de tenter de retrouver chaque pièce d’un immense puzzle pour les relier et former une « image » la plus exacte possible du Messie que Dieu a envoyé dans le monde.
NOTES
1. Guy Athia est le directeur de l’oeuvre « Le Berger d’Israël », ministère de témoignage auprès du peuple juif.
2. Voir ressources sur le site du Berger d’Israël (www.lebergerdisrael.org)