Chercher du secours en Égypte ?
Par Thierry Seewald
Les États occidentaux réagissent actuellement contre le terrorisme des milices de l’État islamique en Irak et en Syrie, avec des frappes aériennes et des livraisons d’armes1. Devant les horreurs qui nous sont rapportées, cette réaction est approuvée en bien des endroits, y compris dans les Églises. Alors que celles-ci protestaient largement en 2003 contre l’invasion américaine en Irak, de nombreuses voix se font entendre pour justifier les interventions militaires en les considérant comme une prise de responsabilité conforme à la foi chrétienne.
Nous sommes tous profondément ébranlés quand nous entendons que des chrétiens et d’autres minorités sont persécutés et mis à mort. Nous sommes inquiets quand des illuminés se font exploser au milieu de la foule, près de chez nous. Nous ressentons de l’impuissance, de la colère et le désir qu’on mette rapidement un terme à ces agissements brutaux. Mais l’exemple de l’Irak nous rappelle douloureusement qu’on envisage dans les conflits, dans la précipitation, uniquement des réactions violentes. Celles-ci, au final, non seulement ne résolvent pas les conflits, mais les aggravent parfois.
Il y a 11 ans, les Américains ont entrepris de faire tomber le dictateur irakien de l’époque, Saddam Hussein, présenté comme faisant partie de l’« axe du mal ». La réussite fut fêtée comme le succès rapide d’une puissante machinerie militaire. Mais très rapidement, on s’est rendu compte à quel point la stratégie avait été pensée à court terme. Au lieu de pouvoir se retirer rapidement comme prévu, les troupes de combats américaines se sont retrouvées impliquées dans une guérilla qui a duré de nombreuses années, faisant beaucoup de victimes et occasionnant des dépenses faramineuses. Lorsqu’en 2011 les dernières troupes ont enfin pu être retirées, elles ont laissé derrière elles une région politiquement instable avec un pouvoir inexistant – un vide comblé depuis, de plus en plus souvent, par des groupuscules radicaux. L’intervention militaire a certes écarté un dictateur, mais elle a aussi provoqué de nouveaux excès de violence qui ont des répercussions jusqu’à nos portes aujourd’hui. Le même phénomène existe en bien d’autres endroits du monde. Benjamin L. Corey demande dès lors : « Si c’est l’usage de la violence qui nous a amenés jusqu’ici, pourquoi pensons-nous que davantage de violence pourrait permettre de changer les choses en bien ? »
La situation actuelle exige une réaction. Toute la question est de savoir par quels moyens.
Que faire en tant que chrétien ?
Même si tout chrétien peut se faire un avis sur le sujet, notre objet dans cet article n’est pas d’aborder le bien-fondé des décisions actuellement prises par le gouvernement français. Il s’agit plutôt de voir ce que la Bible nous dit concernant le rôle des chrétiens en temps de guerre.
« Légitimité biblique » d’une guerre
Concernant la légitimité même d’une guerre, il existe principalement trois positions dans le christianisme : • la guerre sainte2,
• la « guerre juste » élaborée par Cicéron et « christianisée » par Augustin,
• le pacifisme.
Si le principe de la « guerre juste » est séduisant a priori (dernier recours, juste cause, déclaration de guerre en bonne et due forme, respect du droit, dignement et sans violence excessive…), il faut reconnaître qu’en définitive peu de guerres du passé pourraient revendiquer ce « label » et que nos guerres modernes en sont loin. L’espoir de pouvoir mener une guerre « propre » avec des armes intelligentes, grâce auxquelles on pourrait viser et tuer « uniquement » les terroristes sans faire d’autres victimes, s’est depuis longtemps révélé illusoire (on parle peu en Europe du fonctionnement des drones, mais il semble qu’ils soient bien plus « sales » qu’on ne l’imagine). En définitive, on baptisera « juste » la guerre qu’on a choisi de mener.
D’un autre côté, certains trouvent les convictions pacifistes illusoires, en particulier dans les circonstances actuelles et voient les chrétiens pacifiques comme de doux rêveurs inoffensifs, ou même dangereux, se demandant, inquiets, ce qu’il adviendrait s’ils en convainquaient d’autres de refuser la violence. Pourtant, certains chrétiens essayent de relever le défi de chercher dans l’Évangile une relation non-violente avec les ennemis. Là encore, nous ne trancherons pas le débat. Ni celui d’un engagement possible des chrétiens dans les forces armées.
Rôle des chrétiens
Néanmoins, voici quatre idées concernant le rôle des chrétiens et leur regard sur la guerre :
1. Dans les guerres de l’Ancien Testament voulues par Dieu, que Dieu soit le seul guerrier (comme lors de la sortie d’Égypte), ou qu’Israël soit invité à y participer (notamment les guerres de conquête de Canaan au temps de Josué), un élément commun apparaît : faire confiance au Seigneur. N’ayez pas peur, tenez-vous debout, et regardez le salut que le Seigneur va vous accorder aujourd’hui (Ex 14.13-14 ; cf. Dt 1.29-30). Les chrétiens oseraient-ils aujourd’hui attendre, sans prendre les armes, que Dieu écarte la mer ou faire sept fois le tour d’une ville en attendant que le Seigneur la leur livre ?
2. Cet appel à faire confiance à Dieu va de pair avec une critique de ceux qui, devant le danger imminent et flagrant, perdent soudain tous leurs repères de foi et se confient dans les humains. Que ce soit :
• dans les puissantes nations étrangères : Malheur à ceux qui descendent en Égypte pour avoir du secours. Qui s’appuient sur des chevaux et se fient à la multitude des chars et à la force des cavaliers, mais qui ne regardent pas vers le Saint d’Israël, et ne recherchent pas l’Éternel ! (És 31.1)3 Au vu de ce verset, on peut se demander s’il n’y a pas aujourd’hui, a minima, des alliances contre nature.
• dans la puissance militaire nationale : Le roi n’est pas sauvé par une armée nombreuse, la force ne saurait délivrer le guerrier. […] Mais l’Éternel prend soin de ceux qui le révèrent, comptant sur son amour pour les délivrer de la mort (Ps 33.16-19).
Ne placez pas votre foi dans les puissants de ce monde ni dans des humains incapables de sauver ! […] Heureux l’homme qui a pour appui le Dieu de Jacob et dont l’espérance est dans l’Éternel son Dieu (Ps 146.3-5).
3. Le passage bien connu de Jérémie 29.7 nous donne le moyen essentiel par lequel le croyant doit lutter pour la paix : Recherchez la paix de la ville où je vous ai exilés et intercédez pour elle auprès du Seigneur, car votre paix dépendra de la sienne.
4. Pratiquer la solidarité et l’hospitalité. Nous pouvons aussi prendre nos responsabilités, animés par la générosité : en contribuant là-bas aux premiers secours, en facilitant ici l’accueil de réfugiés, en nous souciant tout particulièrement de nos frères éprouvés là-bas, ou cherchant asile ici (Ga 6.10 ; Hé 13.2).
Quels que soient les choix que fait notre gouvernement, est-il envisageable pour nous de nous tourner premièrement vers la prière comme arme, nous confier en Dieu seulement dans cette situation et de voir comment il va nous accorder la victoire ?4 Ou bien la situation est-elle trop grave et, comme pour Israël, l’inquiétude nous fera-t-elle croire que nous avons un Dieu au bras trop court ?
Ce n’est pas par la violence ni par tes propres forces que tu accompliras ta tâche, mais c’est grâce à mon Esprit. (Za 4.6, traduction BFC).
NOTES
1. Plusieurs idées du premier paragraphe sont inspirées de http://www.editionsmennonites. fr/2014/11/combattre-laviolence-par-la-violence/
2. Le principe ne semble pas pertinent, voire serait dangereux dans le contexte actuel, même s’il y a bien une guerre de civilisation.
3. On écoutera avec plaisir sur l’un des nombreux sites de streaming la reprise de ce verset par Pat Berning (« Aux uns les armes »).
4. La chute du mur de Berlin (et de tout le système communiste par la suite) est un bon exemple de la manière dont Dieu conduit l’histoire et dont les actions humaines ont parfois peu d’effet.