Moi, coupable ?1
Par Roland Frauli2
Résumé de la première partie
Le caractère insupportable de la notion de culpabilité aux yeux de la société saute aux yeux du chrétien. Une première stratégie d’évitement est mise en lumière :
1) l’homme moderne minimise sa responsabilité personnelle – un phénomène qui peut être appelé « la dissolution du moi » ;
2) il relativise, voire abolit toute notion de loi, il supprime le droit. Cette suppression peut s’effectuer selon une approche philosophique, ethnologique ou théologique.
Au final, seul un retour à l’Écriture permet d’appréhender sainement la notion de culpabilité, d’embrasser sa culpabilité réelle et accueillir le pardon divin pour être acquitté.
Le péché transféré
En principe, le péché est imputé, c’est-à- dire mis sur le compte du coupable, Dieu « tient compte », ou non, de la faute des humains : Heureux l’homme à qui l’Éternel ne tient pas compte de sa faute (Ps 32.2, voir aussi Rm 5.1 ; 2 Co 5.19).
La culpabilité peut être transférée à quelqu’un avec qui on a des liens qui le permettent, par exemple entre le mari et la femme : si le mari annule trop tard les voeux de son épouse, il sera coupable du péché de sa femme (Nb 30.16). On peut aussi penser aux liens de solidarité entre le Roi et son peuple (voire le berger et les brebis), la Tête (le Chef) et le corps, le Maître et ses disciples (amis), ou plus radicalement entre le Nouvel Adam et les « nouvelles créations »3.
Notre dette peut être enlevée si quelqu’un d’autre, solidaire, la paye à notre place. C’est le sens de la prière que nous faisons à Dieu : remets-nous nos dettes (Mt 6.12).
C’est ce que Christ opère par sa mort pour nous : lui qui a porté nos péchés en son corps sur le bois, afin que, morts à nos péchés, nous vivions pour la justice (1 P 2.24). Paul dira plus radicalement encore à propos de Christ : Celui qui n’a pas connu le péché, il l’a fait (devenir) péché pour nous4, afin que nous devenions en lui justice de Dieu (2 Co 5.21).
Le péché ôté
Dieu a pourvu à l’enlèvement de la culpabilité du péché parce que le Fils porte le péché, le prend sur lui, et l’enlève. Comme le dit Jean, il est l’Agneau de Dieu qui ôte le péché (Jn 1.9). L’agneau de Dieu est le sacrifice prévu, pourvu par Dieu.
Christ est la victime expiatoire. Ce n’est pas la vertu magique du sang qui opère, mais une vie innocente qui remplace la vie du coupable (Lv 17)5. C’est pour cela qu’il ne faut pas consommer le sang, il est réservé au culte, à l’expiation. L’ingérer serait le profaner. Le péché doit être porté pour être ôté, c’est ce que fera le serviteur de l’Éternel : Certes, ce sont nos souffrances qu’il a portées, c’est de nos douleurs qu’il s’est chargé… Et l’Éternel a fait retomber sur lui la faute de nous tous… Après s’être livré en sacrifice de culpabilité, il verra une descendance et prolongera ses jours… Par la connaissance qu’ils auront de lui, mon serviteur juste justifiera beaucoup (d’hommes) et se chargera de leurs fautes (Es 53.4, 6, 10-11). La mort de Christ est substitutive, ce qui permet à Dieu d’être juste en nous acquittant de notre culpabilité du péché (Rm 3.25-26).
Libéré de la culpabilité
En conséquence, nous sommes libérés du poids de la culpabilité, acquittés ! Et, comme le dira Paul : Il n’y a donc maintenant aucune condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ (Rm 8.1). Mais cela ne veut pas dire que nous ne pouvons plus nous sentir accusés. Malheureusement, « l’accusateur des frères » rode comme un lion rugissant pour neutraliser notre service. Mais il n’a plus aucune base légale pour le faire. Car il a été jeté à bas, l’accusateur de nos frères, celui qui les accusait devant notre Dieu jour et nuit (Ap 12.10-11). Alors, ne nous laissons pas impressionner !
Il n’est pas nécessaire de supprimer le droit, la justice de Dieu, pour régler le problème de la culpabilité. Bien au contraire ! Il faut s’appuyer sur la justice de Dieu en reconnaissant que, à Golgotha, Dieu déclare juste les coupables parce que celui qui était juste, Jésus-Christ, a pris sur lui notre culpabilité et l’a enlevée à tout jamais !
La solution est d’assumer humblement ma responsabilité et de me mettre en route vers une démarche de pardon et de responsabilité. Il s’agit d’être restauré, réconcilié dans la relation personnelle. Personne ne peut le faire à ma place. Christ n’est pas pardonné à ma place.
Il y a un face à face de l’offenseur et de l’offensé. Pour que la relation soit rétablie, le péché doit être avoué et confessé : Celui donc qui se rendra coupable de l’une de ces choses fera l’aveu de son péché (Lv 5.5). Dans le Psaume déjà cité, David reconnaît : Tant que je me suis tu, mes os se consumaient, je gémissais toute la journée ; car nuit et jour ta main pesait sur moi, ma vigueur n’était plus que sécheresse, comme celle de l’été. Je t’ai fait connaître mon péché, je n’ai pas couvert ma faute ; j’ai dit : Je confesserai mes transgressions à l’Éternel ! Et toi, tu as enlevé la faute de mon péché (Ps 32.3-5).
Dieu nous aime avant que nous revenions, il est prêt à pardonner. Mais nous devons revenir à la croix, repentants, et confiants de son accueil. La confession précise exprime concrètement le péché que j’ai lâché. La conséquence en est le pardon : Si nous confessons nos péchés, il est fidèle et juste pour nous pardonner nos péchés et nous purifier de toute injustice (1 Jn 1.9).
NOTES
1. Conférence donnée au CEIA de novembre 2014 à Lognes, résumée dans sa première partie, et avec des extraits choisis par Reynald et Isabelle Kozycki. La conférence a été retravaillée légèrement par l’auteur, puis publiée in extenso dans Le Forum de Genève (IBG).
2. Engagé avec France Pour Christ (FPC). Parmi de nombreuses responsabilités, l’auteur est enseignant à l’IBG
3. Voire aussi entre le prêtre et le peuple : la faute est celle du grand-prêtre, la culpabilité celle du peuple qu’il représente (Lv 4.3).
4. On peut comprendre sacrifice pour le péché (il s’agirait alors d’une métonymie), mais aussi que nos péchés ont été transférés sur celui qui était sans péché.
5. Lv 16 illustre les deux moments de l’expiation, porter et ôter, avec les deux boucs, l’un immolé, l’autre (le bouc émissaire) envoyé dans le désert.