L’Église dans le désert
Par Robert Souza
Le thème du désert traverse toute la Bible. Il véhicule des idées de fuite et d’épreuve, mais aussi de ressourcement et de rencontre avec Dieu. Sans surprise, nous découvrons que l’Apocalypse, qui recycle et approfondit tant d’images déjà employées dans l’Écriture, exploite aussi le signe du désert. Et l’applique à l’expérience de l’Église de Jésus-Christ.
Au coeur du livre de l’Apocalypse, le chapitre 12 introduit une série de sept visions qui éclairent la condition des « rachetés de l’Agneau » dans un environnement hostile. Elles illustrent le combat spirituel dans lequel nous sommes engagés. Et elles sont précieuses pour éviter que l’arbre nous cache la forêt, que nos propres combats nous empêchent d’avoir une vue d’ensemble de la réalité. La guerre est déjà gagnée et nous ne participons qu’à des escarmouches avec un ennemi vaincu – et donc dépité.
Le chapitre 12 s’intéresse à l’instigateur de la persécution des saints. La première des sept visions du salut va réussir la gageure d’évoquer l’horreur de Satan, de démontrer son activisme malveillant et son acharnement, tout en soulignant son impuissance.
Une vision en trois volets
Le chapitre se décompose en trois petits « clips » de longueur égale qui décrivent la même réalité sous des aspects différents. La première scène décrit une femme et un dragon. Les deux personnages sont présentés comme des signes – ce qui nous invite à chercher la réalité derrière l’image. La femme vêtue du soleil est un signe…, et non une femme ! Son fils n’est pas difficile à identifier : il s’agit du Christ lui-même qui, après son court ministère terrestre, a rejoint Dieu et son trône lors de l’événement que nous appelons l’Ascension. Toute l’Apocalypse est construite autour de ce Christ glorieux qui est l’agneau sur le trône.
Mais quelle est cette femme qui donne naissance au Messie ? Pour faire court, il faut probablement y voir une représentation du reste fidèle du peuple de Dieu qui a gardé vivante l’attente du Sauveur1. Les tourments qu’elle subit sont les persécutions vécues pendant les périodes d’apostasie ou d’oppression étrangère par ceux qui restaient attachés à l’Éternel. L’image de la femme met en avant la continuité du peuple fidèle. Elle est à cheval entre l’Ancienne Alliance et la Nouvelle. C’est le reste fidèle qui accueille, reconnaît et fait connaître Jésus, et qui se prolonge dans l’Église.
Le grand dragon rouge feu représente l’adversaire du peuple de Dieu et du Christ. On retiendra du premier volet que l’adversaire a fait tout ce qu’il pouvait pour nuire au fils et à la mère… et qu’il a échoué. Il n’a pas pu empêcher le déroulement du plan de Dieu pour notre salut. Il a poussé Hérode à faire massacrer les jeunes enfants de Bethlehem, il a excité les habitants de Nazareth pour qu’ils essaient de précipiter Jésus du haut d’une falaise, il a soufflé sur les braises de la haine des pharisiens, il a corrompu le coeur de Judas, mais en fin de compte, c’est la volonté de Dieu qui s’est accomplie !
Nous passerons rapidement sur la deuxième scène : le désert n’y figure pas. Elle décrit une bataille rangée dans le monde invisible. C’est le même combat, vu autrement, la traduction dans la sphère céleste ou invisible de la victoire que le Christ remporte sur la terre. L’affrontement décrit pose une question essentielle – et y répond. Qui est le plus fort, de quel côté est le pouvoir véritable, la vraie puissance, l’autorité ? La réponse est claironnée dans le ciel : Maintenant sont arrivés le salut, la puissance, le règne de notre Dieu et le pouvoir de son Christ.
La troisième scène de la vision dépeint les conséquences du fait que le dragon qui se voit jeté sur la terre ne s’avoue pas vaincu. Il croit avoir encore quelques tours dans son sac et il va tout tenter pour nuire à l’Église de Jésus-Christ. Son action est représentée comme un fleuve qui sort de sa bouche et par lequel il tente de noyer la femme. Ce flot de propagande mensongère et de propos séducteurs va toujours croissant et trouve, à notre époque, des « médias » de plus en plus puissants pour le répandre. Celui qui est représenté ici sous les traits d’un dragon est le même dont Jésus a dit : il n’y a pas de vérité en lui. Lorsqu’il dit le mensonge, il parle de ce qui lui est propre, car il est à la fois le menteur et son père2. Il passe son temps à embrouiller les hommes et, si nous n’y prenons pas garde, il nous embrouillera aussi. Mais la terre vient à notre secours, peut-être dans le sens où l’humanité a une capacité extraordinaire d’absorber et de neutraliser la désinformation. La société en général est bien moins dupe du « politiquement correct » qu’on pourrait le penser. Et c’est sans doute un effet de la grâce commune de Dieu.
Nourri au désert
Dans le désert du monde, le peuple de Dieu est nourri. Le désert en lui-même ne nourrit pas de façon satisfaisante. Le peuple d’Israël a survécu grâce à la manne d’en haut et nous tirons notre force du véritable pain du ciel qui nourrit notre foi (Jn 6). Jésus dit : le pain que, moi, je donnerai, c’est ma chair, pour la vie du monde. Dans le langage de l’Apocalypse, cela se traduit par : ils l’ont vaincu [l’accusateur] à cause du sang de l’agneau et à cause de la parole de leur témoignage.
Éprouvé au désert
Dans le désert du monde, le peuple de Dieu est éprouvé… mais secouru. Persécutés souvent, tentés toujours, tour à tour vilipendés et encensés, ceux qui gardent les commandements de Dieu et qui portent le témoignage de Jésus sont en butte aux ruses du diable. Mais ils n’en sont pas dupes et résistent, fermes en la foi.
De passage au désert
Dans le désert du monde, le peuple de Dieu est de passage et ne s’installe pas. Pour chaque chrétien individuellement, la « traversée du désert » est à durée déterminée, même si Dieu seul en connaît le terme. Dans le langage de Paul, c’est un moment de détresse insignifiant et éphémère comparé au poids éternel de gloire qui nous est promis (2 Co 4.17- 18). Et pour l’Église tout entière, le temps de son témoignage sur terre est vu dans l’Apocalypse comme une question de jours, de quelques mois, ou à peine quelques années, comparé à la réalité durable, inébranlable, à venir – décrite à partir du chapitre 21.
Une des tentations les plus efficaces à notre époque est celle qui nous incite à nous satisfaire de ce qu’un désert devenu douillet peut nous promettre. Qu’il est difficile aujourd’hui de ne pas s’installer ! Les femmes et hommes de foi dont Hébreux 11 nous dresse le catalogue ont vécu dans l’espérance, reconnaissant publiquement qu’ils étaient étrangers et résidents temporaires sur la terre (v.13). Est-ce un élément visible, public, de notre témoignage ?
Cette vision centrale de l’Apocalypse insiste sur deux réalités essentielles : l’Adversaire vaincu et l’Église harcelée, mais préservée et nourrie par Dieu pour témoigner de la vérité. Puisse-t-elle nous aider à garder le cap, dans l’espérance.
NOTES
1. La femme n’est pas Marie, mais Marie fait partie de la femme.
2. Jn 8.44