Le désert dans la Bible : lieu de la rencontre avec Dieu
Par Jonathan HANLEY
Alors que les Israélites fuient leurs esclavagistes égyptiens, la délivrance entraîne presque immédiatement deux obstacles successifs, infranchissables à vues humaines : la Mer rouge et le désert. Ces deux passages nécessiteront l’intervention miraculeuse de Dieu, mais le peuple les franchira, marquant à tout jamais l’histoire juive et le récit des Écritures, ainsi que toute la culture judéo-chrétienne.
Le désert avant la terre de la promesse
Après le « baptême » du passage par les eaux de la mer, les enfants d’Israël affronteront le désert de Shour. Le livre de l’Exode nous décrit cette étape avec la phrase laconique : Ils firent trois journées de marche dans le désert, ils ne trouvèrent pas d’eau (Ex 15.22). Premier manque, rapidement suivi des premières plaintes : Le peuple se mit à maugréer (15.24). Au désert, l’ennemi égyptien ne peut plus atteindre les Israélites. C’est donc un lieu de délivrance. Mais ils y deviennent vulnérables à un autre ennemi, plus pernicieux peut-être : leur propre propension à l’insatisfaction, à la revendication, à l’égoïsme et à la révolte. Et pendant quarante ans, leurs affrontements avec cet ennemilà provoqueront plus de dégâts que leurs rencontres avec des adversaires belliqueux.
Pourtant, ce passage par le désert est voulu par l’Éternel. Les Écritures le soulignent à maintes reprises : la route pour la Terre promise passe par le désert, pour les enfants d’Israël, mais aussi pour les enfants de Dieu de manière générale. Le repos et l’abondance promis se trouvent généralement à l’autre bout d’une route qui passe par des zones désertiques. Pourquoi ?
Certainement parce que Dieu s’intéresse à ce que nous sommes beaucoup plus qu’à ce que nous faisons. Il nous invite donc à cheminer avec lui dans le désert, pour nous former et changer notre être. Les leçons apprises « au désert », comme de nombreux récits bibliques l’attestent, sont particulièrement efficaces pour approfondir l’aspect le plus important de la vie chrétienne : la relation avec le Christ.
Le désert : lieu du manque
Le désert est de toute évidence un lieu de manque. Les nécessités de base sont rares. Eau, abri, alimentation – ces éléments font défaut au voyageur en zone désertique. Les solutions ne sont pas nombreuses. Se prémunir ? Possible sur une courte durée. Impossible sur une quarantaine d’années en terrain inconnu, à plus forte raison sur toute une vie. Reste alors la deuxième solution : se laisser guider par quelqu’un qui connait le pays et maîtrise les aléas du trajet.
C’est la leçon apprise par les Israélites dans le désert. Dans la chaleur du jour, il leur faut rester sous l’ombrage de la nuée divine. La nuit, la colonne de feu illumine leur route. Ils sont ainsi conduits d’oasis en oasis, divinement secourus à chaque étape, apprenant à se tourner vers celui qui est capable de pallier leurs manques. Avant eux, Agar a fait la même expérience – à deux reprises (Gn 16 et 21). Après eux, Élie la fera aussi (1 R 19).
La leçon est la même pour nous. Confrontés aux pénuries du désert, nous sommes encouragés à nous tourner vers celui qui connait le terrain et qui peut subvenir à nos besoins en nous aidant à gérer nos manques de manière mature.
Le désert : lieu de l’absence
Le prophète Jérémie souligne un autre aspect du désert : la solitude. Il appelle le désert cette région desséchée, coupée de ravins, cette région de soif et d’angoisse, où personne ne passe, où personne ne vit (Jr 2.6). Ici, comme ailleurs dans le texte biblique, le désert est un lieu marqué autant par l’absence de présence humaine que par l’absence d’eau.
Cette absence d’êtres humains a pu être recherchée, comme pour Agar fuyant la vindicte de Saraï (Gn 16). C’est aussi le sens donné au Désert des Cévennes, où les Huguenots du XVIIe et XVIIIe siècles se cachaient pour pratiquer leur foi dans la clandestinité. Mais dans l’histoire protestante, comme dans le texte biblique, l’absence humaine sert à accentuer la présence divine.
Les premiers versets de l’Évangile de Marc1 reprennent une citation du prophète Ésaïe pour le compte de Jean le Baptiste et de Jésus : C’est celui qui crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur. Dans le désert, là où les voix humaines se taisent habituellement, il en est une qui annonce Jésus.
Ainsi, nous pouvons comprendre le désert comme un lieu où l’être humain, dans la solitude et le silence, entend mieux la voix du Seigneur et se trouve sur un terrain bien plus favorable à sa rencontre. De nombreux « pèlerins du désert » témoignent effectivement de cette découverte : les paroles de Dieu pour notre chemin de foi finissent par résonner plus fort dans ce contexte. Nous y entendons mieux et nous y voyons plus loin. Très souvent, les traversées du désert nous ouvrent les oreilles et les yeux sur ce qui nous était caché dans les vallées verdoyantes mais trop encombrées.
Le désert : lieu de la rencontre
Si la voix divine est plus perceptible dans le silence et la solitude du désert, c’est que Dieu lui-même s’y trouve, comme partout ailleurs. D’après Exode 3, le mont Horeb, dans le désert du Sinaï, est décrit comme « la montagne de Dieu ». C’est là que l’Éternel parle à Moïse dans le buisson qui ne se consume pas. C’est à l’Horeb que la loi est donnée aux Israélites. C’est aussi à l’Horeb que, des siècles plus tard, le prophète Élie fera sa rencontre mémorable avec Dieu lors d’un épisode de découragement intense. 1 Rois 19.4-5 nous dit d’Élie :
il alla dans le désert, à une journée de marche ; il s’assit sous un genêt et demanda la mort en disant : C’en est trop ! Maintenant, Éternel, prends ma vie, car je ne suis pas meilleur que mes pères. Il se coucha et s’endormit sous un genêt. Or voici qu’un ange le toucha et lui dit : Lève-toi, mange.
Ce schéma est fréquent dans l’Écriture : Dieu vient à la rencontre de ses enfants quand ils se trouvent dans le désert, directement ou par ses messagers. Élie se trouvait doublement dans le désert : géographiquement et émotionnellement. Cette seconde zone désertique est une région que nous connaissons bien. Dans la perspective biblique, les images tirées du désert physique servent à nous assurer de la puissance de Dieu dans nos déserts intérieurs.
Dans un commentaire sur le passage des Israélites dans le désert décrit dans Exode 16, le théologien Walter Brueggemann souligne que la question de la présence divine est soulevée par Dieu lui-même, par la bouche de Moïse2. Israël ne soulève pas la question de présence, mais de pain. Lorsque le Seigneur répond, il ne parle pas tant de pain que de sa présence et de sa providence : Ce soir, vous reconnaîtrez que c’est l’Éternel qui vous a fait sortir du pays d’Égypte, et au matin vous verrez la gloire de l’Éternel (16.6-7). Il est là dans le désert avec son peuple pour transformer la situation. Encore aujourd’hui, Dieu semble répondre à de nombreuses demandes et appels à l’aide par la simple assurance de sa présence. Il transforme la situation, non pas toujours en satisfaisant notre demande de pain, mais en satisfaisant notre faim non exprimée de sa présence.
Le désert : lieu du déplacement
Puisque le désert est un lieu inhabité, le voyageur qui s’y trouve est toujours en mouvement. Même ceux qui parviennent à en vivre, comme les Touaregs, y sont nomades, et non pas sédentaires. Depuis la traversée du désert par les Israélites, voire même depuis les déplacements d’Abraham, l’analogie du mouvement sert à décrire la foi du fidèle.
Lorsque Jésus demande aux hommes qui deviendront ses disciples de le suivre, ces derniers quittent leurs occupations et leurs villages et se mettent à voyager avec lui. Ils n’ont pas agi ainsi après une analyse approfondie des avantages et désavantages de cette approche. Ils ont trouvé en Jésus une personne avec qui ils voulaient marcher longtemps et loin. Notre foi s’exerce d’une manière semblable. Nous entreprenons notre voyage, non parce que nous avons tout compris de la foi, ni même forcément parce que nous savons où nous voulons aller, mais parce que nous avons trouvé celui avec qui nous voulons marcher. Nous lui faisons confiance qu’en chemin, il nous mènera là où nous trouverons ce dont nous avons besoin pour poursuivre la route, même si la région est désertique.
Le désert et la bonté de Dieu
Dans la perspective élargie de l’histoire du salut, le texte biblique contraste deux paysages contradictoires : le jardin et le désert. Dans le premier, le foisonnement de la vie et de l’abondance des biens du jardin sert de toile de fond pour l’échec du premier Adam face à la tentation. Il en résultera la séparation entre l’être humain et Dieu. Dans le second paysage, le désert, la faim, la fatigue et la solitude servent de cadre pour l’éclatante victoire de Jésus, le second Adam, face à la tentation. Il en résultera la réconciliation entre Dieu et l’être humain. Comme a dit le prophète Jérémie : Voici ce que le Seigneur dit : Dans le désert, j’ai montré ma bonté au peuple… (31.2)
NOTES
1. Mc 1.3
2. Walter Brueggeman, The Land, [Une Terre], Fortress Press, U.S.A., p. 40-41