Vends tout ce que tu possèdes, distribue le produit de la vente aux pauvres (Luc 18.22)1
par Marcel REUTENAUER
Voilà une prescription de Jésus dont la radicalité pose problème : je ne suis pas prêt à l’appliquer et j’ai le sentiment qu’elle est une condition du salut.
II convient tout d’abord de s’intéresser à l’événement que Marc nous relate (Lc 18.18-27). Il est communément appelé l’épisode du « jeune homme riche »2. C’est lui qui vient à la rencontre de Jésus. Répondant à sa quête de la vie éternelle – par rapport à laquelle cet homme a le sentiment d’avoir fait tout ce qui lui semblait possible sans trouver l’assurance du salut – Jésus propose la seule chose nécessaire : le suivre en renonçant à tout.
Cet ordre est l’épreuve qui fait tomber ses illusions et révèle en fait où était l’attachement de son cœur, son idole inavouée. Et cette exigence divine, pourtant assortie d’une promesse – « tu auras un trésor au ciel » – est insurmontable pour lui.
La relation à l’argent et aux biens matériels a été maintes fois abordée par Jésus3. La parole la plus forte étant : « Nul ne peut servuir deux maîtres […] Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon »4. Eclairés par cette parole nous comprenons clairement que c’est le 1° commandement5 que cet homme avait transgressé. Il a malheureusement persisté dans sa transgression et n’a pas vu le gain que représentait la confiance placée en Jésus seul et la communion avec Dieu.
Plus encore, l’invitation de Jésus n’était pas seulement d’abandonner sa confiance en ses richesses mais aussi de distribuer aux pauvres le produit de la vente. Là encore, cet homme est en porte-à-faux avec la Loi divine : il ne pratique pas le commandement – qui est semblable au premier – « d’aimer son prochain comme soi-même »6 et les pauvres, les plus défavorisés en particulier. Sa richesse ne l’a pas rendu plus généreux mais plus avare.
En voyant l’homme s’en aller tout triste, Jésus dit : « Qu’il est difficile à ceux qui ont des biens d’entrer dans le royaume de Dieu ! » (v. 24). Il identifiait ainsi la richesse et la sécurité qu’elle procure, comme l’un des plus grands obstacles à l’engagement par la foi…
Avant de tirer une conclusion pratique à notre usage, il faut encore relever qu’il n’y a pas, dans l’ensemble de la Bible, de condamnation de la richesse par principe. La richesse est légitime si elle est le fruit du travail ; même du travail d’ouvriers s’ils ont été rémunérés par un salaire juste. Par contre, le principe de la solidarité, que celui qui possède des biens doit exercer envers ceux qui en sont dénués, est maintes fois rappelé.7
La parole de Jésus à l’adressé de l’homme riche ne constitue donc pas l’énoncé d’un principe général d’après lequel tous les chrétiens devraient nécessairement se dépouiller de tous leurs biens. Mais par cet exemple, il enseigne à tous ses disciples qu’ils doivent vivre dans un renoncement du cœur qui leur permette de tout sacrifier quand Dieu le demandera.
Jésus n’enseigne pas non plus de faire « vœu de pauvreté » pour atteindre une perfection spirituelle selon l’idée catholique. Ce n’est pas le salut par les œuvres mais il s’agit de placer sa seule confiance en la providence de Dieu qui sait ce dont nous avons besoin.
La Parole de Dieu nous invite ici à nous examiner nous-mêmes. Sa radicalité nous oblige à réagir et nous met en face de nos sentiments qui sont révélateurs de réalités profondes :
-
elle nous permet de prendre conscience du degré d’attachement aux biens matériels qui est le nôtre,
-
elle nous permet de prendre conscience que, même en n’étant pas forcément de la catégorie des « nantis », nous sommes toutefois riches de toutes sortes de biens matériels,
-
elle nous invite à faire l’inventaire des choses – pas seulement. matérielles (confort, habitudes, dépendances) – que nous devrions peut-être abandonner,
-
elle nous oblige à nous questionner sur notre perception des pauvres. En sommes-nous proches ?
-
elle nous invite à examiner notre pratique de la libéralité. Quelle est la valeur réelle de ce que nous donnons pour les pauvres et les œuvres caritatives diverses ?
-
elle nous questionne sur notre perception des réalités spirituelles. Est-ce que c’est « un trésor dans le ciel » ?
M.R.
NOTES
1. Voir aussi les textes parallèles : Mt 19.16-22 ; Mc 10.17-22
2. D’après les précisions de Mt 19.20 et 22
3. Dans l’Evangile de Luc par exemple : 12.13-15 et 16-34 ; 16.1-13 ; 16.19-26 ; 18.18-27 ; 21.1-4
4. Mt 6.24 ; Lc 16.13
5. Ex 20.3 ; Dt 5.7
6. Lv 19.18 ;Mt 22.39; Mc 12.31
7. Es 58.7; Ga2.10; 1 Tm 6.18