Ceci est cela…1
(Actes 2.16)
« NOUS PORTONS TOUS DES VERRES TEINTÉS » LORSQUE NOUS ABORDONS LE TEXTE BIBLIQUE.
Par Robert Souza
L’utilisation des textes de l’Ancien Testament par les auteurs du Nouveau… Que celui qui n’en a jamais été surpris lève la main ! Au jour de la Pentecôte, à la place de Pierre, qui d’entre nous aurait fait spontanément le rapprochement entre la prophétie de Joël et les événements en cours ? Il y a là matière à réflexion !
Dans son contexte, ce qu’on appelle parfois « la première prédication chrétienne » (Ac 2.14-36) est l’explication que l’Esprit souffle à Pierre en réponse aux interrogations de la foule. Étonnés, stupéfaits, perplexes, attirés par le bruit qui se produisit, ils ont besoin de clés pour comprendre ce qui se passe. Ils s’exclament : nous les entendons dire dans notre langue les oeuvres grandioses de Dieu. Ils s’interrogent : Qu’est-ce que cela veut dire ?
Je tiens pour certain que les oeuvres grandioses en question concernent la mort et la résurrection de Jésus de Nazareth. Il a lui-même affirmé, une dizaine de jours auparavant : vous recevrez la puissance quand l’Esprit viendra sur vous, et vous serez mes témoins…Au jour de la Pentecôte, ceux qui ont reçu l’Esprit ont témoigné de Jésus, forcément.
Le texte du prophète Joël que Pierre citera servira d’introduction à l’annonce fracassante (pour son auditoire juif) de Jésus de Nazareth, crucifié et ressuscité, mais que Dieu a fait Seigneur et Christ. L’apôtre se sert de sa citation de l’A.T. de façon très directe et affirmative : Ceci est cela…Voici comment nos traductions rendent cette affirmation :
Mais c’est ce qui a été dit par l’entremise du prophète Joël (NBS).
Mais maintenant se réalise ce qu’avait annoncé le prophète Joël (Semeur, BFC, TOB).
Mais ce que le prophète Joël a annoncé, cela arrive maintenant (PDV).
Pourtant, pour le lecteur occidental actuel, à première vue, cela ne saute pas aux yeux ! Comment faire coller la prophétie de Joël avec l’événement de la Pentecôte ?
Une histoire de lunettes
« Nous portons tous des verres teintés2 » lorsque nous abordons le texte biblique. C’est une donnée qui découle de notre humanité, de notre finitude. Même lorsque notre désir sincère est de mettre de côté nos préjugés et de « laisser parler le texte », nous faisons intervenir – consciemment ou non – une grille de lecture qui va guider et structurer notre compréhension de ce que nous lisons. Il est important d’y réfléchir. Dieu veut que nous soyons des lecteurs lucides et intelligents de sa Parole. À défaut de pouvoir lire sans lunettes, il nous reste la possibilité de choisir, jusqu’à un certain point, ce qui colore nos verres…
Il est très courant de lire avec des verres teintés par la tradition. Cette lecture est souvent très édifiante et éclairante : nous n’avons pas à « réinventer la roue » à chaque génération. La lumière qu’ont trouvée nos prédécesseurs dans la foi illumine fréquemment notre pensée de belle manière. À charge pour nous de ne pas confondre Écriture et tradition, la première ayant toujours le droit de remettre en cause la seconde.
Lorsque nous abordons l’interprétation de la prédication de Pierre, il est essentiel de ne pas chausser sans réflexion les vieilles lunettes qui nous sont les plus familières et rassurantes. Certains peuvent être tentés de mettre leurs lunettes littéralistes (ou cartésiennes ?) à travers lesquelles on ne voit aucune correspondance réelle entre la prophétie et l’événement. Pas de sang, de feu ou de vapeur de fumée, donc pas de réalisation, pas d’accomplissement. Ainsi, il leur faut chercher aux propos de Pierre un sens autre que le sens évident de : Ceci est cela.
Une autre tentation qu’on relève dans les commentaires sur Actes 2 est celle d’adopter des verres eschatologiques : comment l’utilisation de Joël par Pierre peut-elle conforter le schéma prophétique que je préfère ?
Il faut résister aux tentations ! La question à creuser est plutôt : quelle grille de lecture l’apôtre lui-même adopte-t-il pour aborder le texte de Joël ?
Lire Joël avec les yeux de Pierre
De façon très claire, mais également très courageuse, l’apôtre développe dans les v. 22 à 36 une lecture nouvelle et ambitieuse de la prophétie de Joël. On se rend rapidement compte que ses explications ne visent pas de façon étroite les seuls phénomènes du jour. Pour comprendre la Pentecôte, il faut remonter à ce qui s’est passé avant. Il faut parler de Jésus de Nazareth et en parler longuement . Ce n’es t qu’au v. 33 qu’intervient l’explication des manifestations qui ont attiré la foule… Ce Jésus… Élevé par la droite de Dieu, il a reçu du Père l’Esprit Saint qui avait été promis et il a répandu ce que vous voyez et entendez.
Sans Jésus, accrédité par Dieu (miracles, prodiges, signes), mais supprimé par les hommes, relevé d’entre les morts et assis à la droite du Père, on ne peut rien comprendre aux événements de la Pentecôte. Ce n’est que le dernier volet d’un processus qui en comporte plusieurs, qui se tiennent tous, et que nous appelons l’oeuvre du Fils. Les phénomènes étranges du jour sont pour Pierre la confirmation d’une réalité éblouissante : Dieu l’a fait Seigneur et Christ, ce Jésus que vous avez crucifié !
Pour Pierre, Jésus est la clé des Écritures. Sa première grille de lecture est l’Évangile, et l’Ancienne Alliance s’éclaire à la lumière de la Nouvelle. Le discours de l’apôtre suggère qu’il a discerné de nombreux points de contact entre ce que Joël a proclamé et ce que Jésus a fait. Par exemple, on peut se demander s’il n’a pas vu dans les miracles et signes prodigieux, dans le ciel et ici-bas sur terre, sang, feu, colonne de fumée…une évocation de la sortie d’Égypte, archétype du Jour du Seigneur, qui incite à regarder la mort et la résurrection de Jésus comme un nouvel exode3. L’Esprit répandu est donc à comprendre comme la preuve d’un changement d’ère, prédit par Joël, et qui s’accompagne, entre autres, d’un nouveau rapport à la parole de Dieu pour tous ceux qui invoquent le nom du Seigneur (Jésus) pour être sauvés.
Lire l’A.T. à la lumière de Jésus
La méthode adoptée par Pierre n’était apparemment pas une initiative personnelle et isolée. Lorsqu’il rencontre un Éthiopien plongé dans la méditation d’Ésaïe 53, Philippe n’a ni hésitation ni difficulté pour amener son interlocuteur à y trouver la bonne nouvelle de Jésus4.
Et qu’a été l’oeuvre majeure de l’apôtre Paul sinon une relecture radicale mais cohérente des Écritures dont il croyait avoir fait le tour en tant que Juif et pharisien, mais qu’il lui fallait redécouvrir en tant qu’enfant de Dieu, à travers le prisme de l’événement « Jésus- Christ » ? À notre niveau et avec nos moyens, nous sommes appelés à poursuivre la réflexion entamée par les apôtres, avec les mêmes lunettes, la même clé et la même grille de lecture.
L’utilisation faite par Pierre d’une citation de Joël nous rappelle que lire l’Ancien Testament à la lumière de Jésus n’est pas forcément simple. Mais creuser la Parole est toujours enrichissant !
R.S.
NOTES
1. Qu’il me soit permis de plagier le titre d’un ouvrage de F.F. BRUCE, paru en anglais : This is That.
2. John PIPER, The Future of Justification, IVP 2008, p. 17.
3. Lc 9.31
4. Ac 8.35