Avant qu’il ne soit trop tard
Par Marie-Noëlle YODER
THÉRAPEUTE CONJUGALE
ET FAMILIALE,
ENSEIGNANTE AU CENTRE
DE FORMATION DU BIENENBERG (CH)
À l’heure où environ un mariage sur deux se termine en divorce et que les échecs se multiplient autour des jeunes couples chrétiens, le mariage peut même effrayer les plus amoureux. Jésus demande-t-il réellement de s’engager avec une seule personne pour le reste de sa vie ? N’est-ce pas trop risqué à une époque où l’on se marie souvent pour 60 ans voire plus ? L’entreprise paraît en effet périlleuse, tant elle est soumise aux tourbillons et aux tempêtes de la vie. La vie conjugale est un art qui ne s’exerce et ne s’apprend que dans la pratique.
Que penser de la période de fiançailles ? Comment un jeune couple amoureux peut-il se préparer au mieux pour ce long voyage ?
Comme le dit la sagesse de nos ancêtres : « Pour bien connaître quelqu’un il faut l’avoir vu pleurer, rire et se mettre en colère ». Durant le temps de fréquentation et de fiançailles, multipliez les expériences : gardez des enfants ensemble, relevez des défis physiques, sortez de votre zone de confort. C’est incroyable à quel point on peut apprendre à connaître quelqu’un différemment quand il ou elle n’est pas dans le moule qui l’a formé !
Au tout début d’une relation, nous idéalisons l’autre et vivons sur un petit nuage alimenté d’amour et d’eau fraîche. Peu à peu, avec les expériences et les discussions, les objectifs communs prennent forme et on commence à se projeter dans l’avenir. Cette période, où le projet de mariage se définit, est la période de fiançailles. C’est un temps spécial où l’on peut affiner le projet commun. Avons-nous les mêmes objectifs dans la vie ? Des rêves compatibles ? Un couple a découvert lors des fiançailles que lui rêvait de faire fortune et elle rêvait d’être missionnaire en Afrique. Leurs rêves et visions de la vie n’étaient pas compatibles et les fiancés ont décidé de se séparer. Parfois les visions sont différentes, mais peuvent plus facilement s’adapter l’une à l’autre. Cette période de fiançailles est cruciale pour soulever les questions essentielles de la vie et en parler ensemble : la question des enfants (oui ou non, combien, quand ?), la vision de l’éducation, la gestion de l’argent et les priorités financières, le passé de chacun y compris les aspects douloureux et leurs effets sur le présent, les histoires familiales, etc. Il peut être utile de trouver un livre qui regroupe ces différentes questions et de prévoir du temps avec une personne ou un couple extérieurs pour pouvoir en parler en toute transparence. La période de fiançailles plus ou moins longue, formalisée ou non, est importante, car les sujets abordés à ce moment-là sont plus faciles à reprendre ensemble pendant les années de mariage et donnent une base de discussion commune.
Cependant, les défis font partie intégrante de chaque mariage. On n’est jamais « fait l’un pour l’autre », mais il s’agit de se faire l’un à l’autre, c’est-à-dire de trouver un équilibre où tous deux se trouvent bien dans la relation. Plus la différence culturelle est grande entre les deux familles d’origine, plus les domaines de négociation seront importants (alimentation, niveau d’études, statut social, taille des familles, spiritualité, etc.) Chaque point particulier devra être discuté et négocié pour que chacun puisse trouver sa place, et cela probablement plusieurs fois, aux différentes étapes de la vie.
Dans cette période de pré-engagement, il est essentiel d’entendre et de prendre en considération les échos des personnes qui entourent le couple. Vous soutiennent-ils ? Quelles sont leurs objections ? Sont-elles légitimes ? Qu’en pensent les meilleurs amis de chacun ? Nous ne détenons qu’une partie de vérité sur nous-mêmes et l’avis des autres peut nous aider à compléter la nôtre.
Toutefois, même avec une préparation au mariage dans les règles et un temps de fiançailles adéquat, tout ne peut pas être « réglé » avant le mariage. Il y a des aspects plus ou moins difficiles d’une relation qui ne peuvent pas être prévus : cela s’appelle la vie. Les surprises du parcours vont amener le couple à se redéfinir étape après étape et à évoluer ensemble avec les défis et les joies.
Comment veiller sur sa relation conjugale au jour le jour ?
La relation conjugale est précieuse et fragile et il faut y veiller pour la préserver. Une citation affichée dans notre chambre à coucher nous y invite quotidiennement : « Je choisis de t’aimer chaque matin. » Cette courte phrase a une incroyable portée. Par nos propres forces, nous ne pouvons pas nous engager à aimer l’autre, mais nous pouvons nous engager à choisir d’aimer l’autre chaque matin avec l’aide de Dieu. Cela implique de fermer la porte à l’idée du divorce et de choisir d’affronter la situation de l’intérieur. Bon nombre de divorces désastreux n’auraient pas eu lieu si cette simple vérité avait été prise au sérieux. Le divorce n’arrive pas du jour au lendemain, il est une succession de jours et d’heures où l’on n’a pas choisi consciemment d’aimer l’autre. Parfois nous avons fait des choix qui nous ont blessés ou ont blessé notre conjoint, mais parfois nous n’y avons simplement pas prêté assez d’attention. Comment se fait-il que la personne que nous aimons le plus soit parfois la personne que nous traitons le moins bien ? « Ne pas divorcer » ou « rester marié » n’est pas simplement une formalité administrative ou un document que nous pourrons présenter devant Dieu. Comme l’écrit Paul aux Romains : S’il est possible, pour autant que cela dépend de vous, vivez en paix avec tous les hommes (Rm 12.18). La paix, le shalom dans la Bible, implique que l’on puisse se regarder dans les yeux et savoir que tout est en règle entre nous. C’est à ce niveau de relation que Jésus nous attend avec nos frères et soeurs, mais encore plus avec nos conjoints. Choisissons donc de nous aimer chaque matin avec l’aide de Dieu qui est la source de l’Amour. Comme les disciples sur la route d’Emmaüs, partageons nos doutes avec lui et exprimons-lui nos questions. Il est à nos côtés.
Un deuxième aspect essentiel pour une vie conjugale épanouie est la capacité à entrer en conflit avec amour. Comme le dit Thierry Juvet, les chrétiens sont bien souvent des « handicapés du conflit » et cela se vérifie malheureusement dans bon nombre de couples. Cela est dû à la croyance – confortable à court terme uniquement – que, pour ne pas avoir de conflits, il suffit de ne jamais parler de ce qui dérange. Dans une relation conjugale, il y a deux personnes différentes, et donc immanquablement des zones de friction. Ce que beaucoup de couples n’ont pas compris, c’est qu’au lieu de s’affronter l’un l’autre à coups d’arguments et de reproches, il leur serait plus profitable de se mettre ensemble du même côté et voir de quelle manière ils peuvent avancer sur le problème en question. Lorsque les conjoints s’agressent mutuellement pour défendre leur vision des choses, la conclusion est toujours la même : les deux sont perdants. Dans une perspective saine du conflit, les deux conjoints ne se considèrent pas comme des ennemis, mais comme des vis-à-vis. Ensemble, ils s’écoutent et prennent en considération ce que l’autre exprime sur le plan rationnel et émotionnel et ils cherchent à trouver une solution qui satisfera l’un et l’autre dans un esprit d’apaisement. C’est à cette seule condition que les deux peuvent sortir victorieux du conflit et ainsi poser de bonnes bases pour les conflits à venir. Cela demande l’humilité d’accepter que sa propre vision de la situation ne soit pas la seule possible et que l’on peut entendre et comprendre celle de l’autre, même si l’on ne la vit pas de la même manière. Cette attitude n’est innée pour personne, mais elle peut s’apprendre et se consolider dans la pratique.
Comment veiller sur sa vie conjugale dans la durée ?
J’encourage chaque couple à trouver un couple de confiance avec qui faire le point régulièrement sur sa relation conjugale. Un couple de jeunes mariés était invité chaque année à la date d’anniversaire de leur mariage pour un repas chez le couple qui les avait préparés au mariage. Les quatre premières années, le jeune couple se réjouissait de cette invitation, mais la cinquième année avait été particulièrement dure pour eux. Le mari avait eu une aventure sentimentale et espérait que leur couple-mentor oublierait de les inviter cette année-là. Sa femme, elle, espérait qu’ils n’oublieraient pas, pour faire le point sur leur relation.
Heureusement, les mentors n’ont pas oublié de les inviter. Ils ont pu parler de cette situation avec vérité et chercher de l’aide. Ce genre de relation est plus facile à mettre en place au démarrage d’une vie de couple, mais elle peut démarrer à tout moment. Cela implique un moment de vérité annuel dans le couple qui peut être salutaire. Trop souvent, ce n’est qu’après des années de souffrance que les couples cherchent de l’aide et tant de souffrance a été emmagasinée que cela devient difficile d’accepter l’aide offerte.
Être accompagné n’est pas une honte. C’est au contraire un signe de sagesse qui indique que l’on se sait vulnérable et que l’on a besoin les uns des autres. Un couple n’existe pas dans le vide. Il a besoin d’être entouré d’amis qui encouragent à la réconciliation et au pardon quand les temps sont durs, de personnes qui savent se réjouir et célébrer les moments heureux de la vie, comme un anniversaire, le mariage et l’arrivée d’un enfant. Nous avons besoin aussi de personnes plus avancées dans la vie et dans la foi qui prieront pour nous et qui sauront nous guider avec sagesse à travers les temps difficiles.
M-N.Y.
Pour aller plus loin :• Thierry JUVET, « Les conflits, une école de l’amour », Emmaüs • Richard GELIN, « Le mariage en 10 questions… Réflexions et enjeux pour notre temps », Éditions mennonites
• Gérard HOAREAU, « Que ton oui soit oui ! », Excelsis
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