L’éthique en politique1

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Par THIERRY SEEWALD

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«Les promesses des hommes politiques n’engagent que ceux qui les écoutent.»

HENRI QUEUILLE (HOMME POLITIQUE FRANÇAIS, 1884- 1970), CITATION REPRISE PAR CHARLES PASQUA

 

 

L’éthique que propose le Nouveau Testament est d’abord destinée au croyant. C’est à un homme qui veut être disciple que Jésus dit : « Vends tout ce que tu possèdes, donnele aux pauvres et viens, suis-moi » (Mc 10.21), car seul le disciple a l’espérance de posséder un trésor dans le ciel qui lui permet de franchir ce pas. C’est le croyant qui est appelé à vivre le pardon, à se couper de ce qui est une occasion de chute (Mt 5.30), à la fidélité dans le mariage (Mt 19.6-8, 1 Co 7.14-15) et à accepter la discipline de l’Église (Mt 18).

 

Si l’éthique chrétienne est difficile à mettre en application par ceux qui ont reçu l’Esprit Saint, il est sans doute utopique de vouloir la proposer à « ceux du dehors » (1 Co 5.12).

 

À cela s’ajoute la fonction du magistrat : tendre l’autre joue et aimer ses ennemis ne font a priori pas partie du mandat des autorités, qui sont appelées par Dieu à maintenir la paix et l’ordre. Que sommes-nous alors en droit d’attendre de celui-ci, à quoi pouvons-nous l’appeler ?

 

 

Le rôle de l’État

 

Romains 13.1-7, ainsi que divers passages de l’Ancien Testament (Jr 22.1- 4, 15-16, Éz 34.1-4, Dn 4.24), nous laisse entrevoir le rôle de l’État en lien direct avec l’aspiration de Dieu pour la justice. C’est-à-dire :

 

• Au service de Dieu. Le principe d’une autorité, maintenant l’ordre et la justice, a été voulu par Dieu dans un monde marqué par la chute. Jésus nous a montré l’exemple de ce que veut dire diriger en étant animé par une attitude de serviteur (Ph 2.5-11). Mais il reconnaît que ce n’est pas la manière dont les autorités gouvernent en général dans ce monde (Mt 20.25). Et, à nouveau, nous voyons que Jésus attend une autre éthique de ses disciples (Mt 20.26).

 

• Pour le bien du peuple. Les lois et les politiques devraient être orientées vers le bien-être de la société et non vers des intérêts particuliers ou personnels. Mais Samuel, lorsqu’il met en place la royauté en Israël, indique au peuple que, comme les rois des nations, leur roi abusera de sa position et s’enrichira à leurs dépens (1 S 8.10-22, cf. verset 18 en particulier).

 

• Exercer la justice pour tous de façon équitable et transparente. Les gouvernements sont appelés à protéger et défendre les droits des membres les plus vulnérables de la société (Ps 82.3-4).

 

• Collecter et gérer les impôts avec sagesse afin de fournir les services nécessaires. Tout ceci exige des institutions, systèmes et structures qui fonctionnent bien.

 

• Usage du glaive pour exercer la justice et punir celui qui fait le mal.

 

 

 Cas particulier : le chrétien engagé en politique

 

À la lecture du rôle des autorités, en particulier l’usage du glaive, certains croyants, dès les premiers siècles, pensent qu’un chrétien ne peut pas avoir de mandat politique, car le rôle qui est alors attendu de lui, de même que la violence qui est souvent sous-jacente à la réussite en politique, sont en contradiction avec les valeurs du Royaume.

 

D’autres pensent que cela est possible, en particulier s’il s’agit d’un mandat local d’une petite commune. L’Église devra alors être vigilante à ne pas profiter de cette situation pour faire avancer sa cause, mais garder sa distance prophétique et interpeller le frère ou la soeur ayant un mandat, non seulement pour l’appeler à gouverner selon ce que Dieu attend des gouvernants, mais aussi comme un frère ou une soeur en la foi, selon les valeurs du Royaume. Mais les valeurs du Royaume (que sont le pardon, ne pas soupçonner le mal…) sont-elles conciliables avec l’exercice du maintien de l’ordre, de la justice ? Les tensions entre les valeurs d’un chrétien et son mandat seront souvent grandes. La responsabilité de l’Église de prier pour le frère ou la soeur en sera d’autant plus cruciale.

 

 

Dieu, en dénonçant régulièrement dans sa Parole les balances faussées, la parole mensongère, l’appât du gain, l’abus de pouvoir, l’abus de faiblesse, définit assez clairement ce qu’il entend par justice, équité, intégrité, souci de la population. Et ces exigences de Dieu sont aussi des attentes que partage la population. Or, l’actualité récente, quel que soit le pays ou quel que soit le parti politique en France, nous montre que pour bon nombre de gouvernants, cela ne caractérise pas leur manière d’agir.

     Ainsi les montants concernés par la corruption et l’évasion fiscale sont vertigineux et affectent souvent les plus pauvres. Les sommes « perdues » à cause de la corruption sont énormes : dans le monde, mille milliards de dollars sont versés chaque année sous la forme de pots-de-vin. En 2007, la Banque Mondiale estimait que la corruption subtilisait environ 150 milliards de dollars aux économies africaines (soit 25 % du PIB de ce continent).

     La corruption n’équivaut pas seulement à une perte d’argent, la corruption tue. Certains évaluent qu’entre 2000 et 2015, l’évasion fiscale sera responsable de la mort de 5,6 millions d’enfants dans les pays en voie de développement, c’està- dire 1000 enfants par jour.

     Est-ce que, parce que la Bible nous avertit des dangers et des dérives du pouvoir, cela signifie qu’il n’y a pas de sens à dénoncer les abus ? Cela reviendrait à dire que parce que la Bible nous dit que tous les hommes sont pécheurs, cela ne sert à rien de les appeler à changer de vie.

 

 

Un exemple de témoignage aux autorités : Paul et Félix

 

Paul, lorsqu’il discourt avec le gouverneur Félix en Actes 24.24-26, nous donne un bon exemple du rôle du chrétien ou de l’Église face aux gouvernants. Il l’appelle à des valeurs que Félix peut comprendre et que la société partage, il lui parle de justice et de maîtrise de soi. Mais il ne se limite pas à vouloir faire de Félix un bon gouverneur ici-bas qui satisfera les citoyens. Il sait que Félix aura des comptes à rendre sur sa vie et sur la manière dont il aura exercé le mandat que Dieu lui a confié, il sait que le péché de Félix ne s’arrête pas à sa morale individuelle, mais inclut ses décisions en tant que gouverneur et c’est pourquoi il lie ces exigences avec le rappel du jugement à venir. Et surtout, Paul a une vie et un comportement qui sont en cohérence avec ses appels à la justice : il refuse de céder à l’attente implicite de Félix de recevoir un pot-de-vin (v. 26). Et il accepte de passer deux longues années injustement en prison plutôt que de céder à ces attentes.

 

 

Le rôle de l’église : sel et lumière

 

En tant que peuple de Dieu, nous sommes appelés à être sel et lumière (Mt 5.13- 16), c’est-à-dire à la fois chercher à vivre le modèle d’une société qui repose sur les valeurs du royaume de Dieu et appeler prophétiquement au changement.

 

Être le modèle d’une société alternative demandera que nous vivions les valeurs de Dieu tant en public qu’en privé. Cela exige une cohérence entre ce qui est dit et ce qui est fait, parler vrai en public et en privé, faire preuve d’honnêteté et de transparence dans toutes nos actions, n’accepter ni ne donner de potde- vin, payer tous les impôts auxquels nous sommes soumis, etc.

 

 « L’Église n’est ni le maître ni la servante de l’État, mais elle en est plutôt la conscience… Elle doit être le guide et la critique de l’État, jamais son instrument. »

Martin Luther King (1963) La force d’aimer

 

Être une voix prophétique dans la société veut dire tenir les gouvernements pour responsables du mandat que Dieu leur a confié. Une voix prophétique, dans la lignée de celle des prophètes de l’Ancien Testament, est une voix qui s’élève contre l’injustice et qui met en lumière le mal, tout en présentant une espérance pour l’avenir parce qu’elle propose d’autres solutions.

    De même que le chrétien et l’Église appellent tout homme à se détourner du péché et à se tourner vers Dieu, ils ont le devoir de rappeler à ceux qui ont une responsabilité politique qu’ils doivent l’exercer avec justice, selon le mandat de Dieu. Ils le feront plus efficacement en interpellant sur une valeur précise, l’intégrité par exemple, en particulier si cette valeur est partagée par la société. Mais ils savent aussi que leur mission ne s’arrête pas lorsqu’un progrès a lieu, car, ultimement, c’est une vie conforme aux valeurs du Royaume que Dieu attend de chacun, et chaque appel à plus de justice est en définitive un appel à se tourner vers Dieu.

 

T.S.

 


NOTE

 

1. Certaines idées de ce texte sont tirées avec autorisation de Pourquoi un plaidoyer sur la gouvernance et la corruption, édité par Tearfund et disponible en ligne à http://tilz.tearfund.org/webdocs/Tilz/Research/Why%20advocate%20on%20G%2BC%20French.pdf.