Les fondements de l’éthique chrétienne
Par Jonathan Hanley
Qu’est-ce que l’éthique ?
L’éthique est la branche de la philosophie qui s’intéresse à ce que l’être humain doit faire dans une situation spécifique. Quand nous devons prendre une décision importante, nous tentons de tenir compte des différents paramètres : les objectifs de notre décision, les moyens dont nous disposons et les conséquences de notre choix. Bien sûr, nous sommes limités par certains interdits et contraints par certains devoirs. Une réflexion éthique cherche à dégager une ligne d’action raisonnable en tenant compte de tous ces facteurs : ce que nous devons faire, ce que nous voulons faire et ce que nous pouvons faire.
Pour le chrétien, l’avis de Dieu est un paramètre important dans ses choix et ses comportements. Ses décisions éthiques devront donc passer par une réflexion sur l’autorité de Dieu dans sa vie.
L’éthique est une question d’autorité
Notre comportement humain est dicté par l’autorité sous laquelle nous nous plaçons. Il peut s’agir de l’État et de ses policiers, de la famille, du groupe social, du plaisir personnel, d’un gourou, du Seigneur ou de toute autre forme d’autorité, qu’elle soit légitime ou non.
La première étape pour formuler une éthique qui soit chrétienne est donc de nous rappeler les fondements de l’autorité divine. Cela revient à poser la question : « Pourquoi reconnaissons- nous l’autorité de Dieu dans notre vie ? »
Dieu a le droit et le pouvoir de demander l’obéissance en vertu de trois réalités principales :
• Il est notre Créateur. En tant que fabricant et concepteur de l’être humain, il est le mieux placé pour nous dire comment vivre. D’ailleurs, en Jésus, il a fait plus que nous le dire : il nous l’a montré ! C’est une folie que de vouloir vivre autrement. Peuple insensé et dépourvu de sagesse ? N’est-il pas ton père, ton créateur ? N’est-ce pas lui qui t’a fait et qui t’a affermi ? (Dt 32.6)
• Il est notre Seigneur. Comme il nous a sauvés par son sacrifice à la croix, nous lui devons notre vie. Il nous a rachetés et nous devenons alors citoyens de son royaume. À ce titre, il s’engage à nous protéger, et nous nous engageons à obéir à sa seigneurie. Car vous avez été rachetés à grand prix. Glorifiez donc Dieu dans votre corps et dans votre esprit qui appartiennent à Dieu. (1 Co 6.20)
• Il nous aime. C’est motivé par son amour que Dieu nous a créés et sauvés. Cette troisième raison de lui obéir sous-tend les deux autres. Nous faisons bien de nous placer sous son autorité, car il nous aime et nous invite à une relation qui relève de la famille, de l’amitié, de l’intimité. La première motivation d’un comportement en accord avec une éthique chrétienne est l’amour dont Dieu nous a aimés : Soyez donc les imitateurs de Dieu, comme des enfants bien-aimés. (Ép 5.1)
Où trouver les principes qui caractérisent une éthique chrétienne ?
• Dans les Saintes Écritures.
Il est impossible de considérer comme chrétienne une éthique qui ne trouverait pas son fondement dans les paroles du Christ. Nous disposons de ces paroles d’abord dans l’Ancien Testament dont Jésus reprend les enseignements à son compte, ensuite dans les évangiles qui décrivent le comportement de Dieu sur notre terre et dans un corps comme le nôtre, et finalement dans les écrits de ses apôtres qu’il a mandatés pour nous transmettre ses propos.
• Dans l’enseignement des chrétiens au cours de l’histoire.
La Bible ne suffit-elle donc pas ? Oui et non. Oui, en ce qu’elle pose les fondements. Non, en ce qu’elle n’est pas simplement un mode d’emploi pour les problèmes de la vie. Elle évoque parfois des situations aux implications éthiques complexes, notamment lorsque de mauvaises décisions dans le passé ont des conséquences sur le présent. Un des exemples les plus frappants concerne l’expérience des Israélites dupés par les Gabaonites dans Josué 9 et 2 Samuel 21. Sous la direction de Josué, ils ont décidé de ne pas compenser un premier mal en commettant un deuxième mal. Mais la Bible ne nous dit pas clairement si leur décision était la bonne. Dieu accomplit son oeuvre dans l’histoire et non en dépit de l’histoire. C’est pourquoi les chrétiens fidèles de tous les siècles ont étudié les principes bibliques pour les appliquer aux situations parfois complexes de l’existence. Une telle application nécessite interprétation, réflexion et concertation. Nous pouvons donc tirer un grand avantage de leurs expériences et de leurs écrits.
• Nous ne devons pas négliger une troisième source de l’autorité divine :
la sagesse du Saint-Esprit dans notre coeur, du moment que nous sommes familiers de la Parole écrite de Dieu et désireux de le glorifier. En effet, Dieu a créé notre intelligence. Il nous demande donc d’en faire bon usage pour réfléchir, débattre, étudier, et ainsi démêler les fils parfois emmêlés des situations complexes de la vie.
Pourquoi réfléchir aux implications éthiques de nos choix ?
À moins de le faire, nous courons le risque de réagir au péché selon nos émotions pas toujours fondées. Nous projetons parfois sur les autres le modèle de nos envies, de nos idéaux. Selon cette attitude, un « bon chrétien » est celui qui me ressemble et qui pense comme moi ! La réflexion éthique permet de prendre du recul par rapport à nos désirs, nos émotions ou nos préjugés, pour accorder nos comportements, et notre enseignement ou notre témoignage, à la vérité révélée de Dieu.
L’éthique vue de cette manière nous permet de rester ouverts à des choix qui ne seraient pas les nôtres. Conscients de vivre dans un monde en cours de perfectionnement, mais encore imparfait, nous admettons qu’un autre chrétien prenne éventuellement une autre décision, particulièrement s’il donne priorité à des considérations éthiques différentes.
L’éthique prend en compte la globalité d’une situation
L’éthique est comparable à une poupée gigogne. L’éthique d’une situation spécifique devra s’insérer dans une perspective plus large. Ainsi, pour une personne donnée, l’éthique chrétienne de l’argent sera comprise dans une réflexion éthique plus large, celle du travail, qui sera à son tour comprise dans l’éthique globale de la dignité humaine à l’image de Dieu.
Ces multiples niveaux de la réflexion éthique peuvent bien sûr varier selon les situations et les individus. Par exemple, une infirmière peut avoir des décisions éthiques à prendre dans le domaine de l’obligation d’assister à une IVG pour une femme enceinte avec un enfant trisomique. Cela fera partie de son éthique de la dignité humaine, mais aussi du travail. Il en sera différemment pour une femme et un homme qui viennent d’apprendre que leur enfant non né est trisomique. L’approche de la question ne sera pas la même. L’éthique chrétienne tient compte de ces différentes situations. Il ne suffit pas de dire : « L’avortement est mal ». Comprendre les enjeux de l’éthique permettra d’aborder la question avec une sensibilité qui tiendra compte de la situation réelle, plutôt que de simplement appliquer une règle théorique.
Quelles sont les motivations de l’éthique chrétienne ?
L’éthique est un outil qui permet de passer des principes théoriques à la pratique, avec pour finalité le bonheur. Les choix de comportement du chrétien sont subordonnés à une conviction : notre bonheur ne dépend pas de notre santé, de notre pouvoir d’achat ou de notre capacité de séduction, mais de la qualité de notre relation avec Dieu. Nous savons que notre salut ne dépend pas de notre comportement (c’est-à-dire de notre éthique). Mais il en est tout autrement de notre bonheur, qui dépend effectivement d’une relation harmonieuse avec notre créateur et notre Seigneur qui nous aime. L’éthique chrétienne joue deux rôles dans ce domaine : un rôle fonctionnel et un rôle relationnel.
• Le rôle fonctionnel de l’éthique chrétienne
Tant que nous ne sommes pas régénérés par l’Esprit de Dieu, nous sommes aliénés de ce pour quoi nous sommes faits. Le chrétien qui n’accorde pas son comportement (son éthique) à sa nouvelle nature spirituelle ressemble à un avion sans ailes. L’éthique chrétienne a pour objectif de rendre à la nature humaine son fonctionnement d’origine : nous comporter à nouveau comme Dieu l’avait prévu. Notre bonheur en dépend. D’ailleurs, sept fois dans le Deutéronome, l’obéissance à la loi divine (un comportement en accord avec l’éthique des Écritures) est assortie de cette conséquence : afin que tu sois heureux.
• Le rôle relationnel de l’éthique chrétienne
Le deuxième enjeu principal de l’éthique est l’approbation du Seigneur quant à notre comportement et nos choix. La désobéissance attriste Dieu, qui est amour. Le rôle relationnel de l’éthique chrétienne est de nous aider à plaire à Dieu dans notre comportement et nos choix, non en vertu d’une punition si nous échouons, mais en vertu d’un amour reconnaissant. Marchez d’une manière digne du Seigneur pour lui plaire à tous points de vue ; portez des fruits en toutes sortes d’oeuvres bonnes et croissez dans la connaissance de Dieu. (Col 1.10)
Et maintenant, comment devons-nous donc vivre ?
Une réflexion éthique chrétienne nous aide à prendre des décisions selon la volonté de Dieu. Elle nous aide donc à passer des principes bibliques à leur application dans notre vie quotidienne. Nous vivons sous le regard de Dieu. Une fois que nous admettons cette vérité, l’éthique nous aide à répondre à la question : « Comment devons-nous donc vivre ? » Cette question est importante pour tous les domaines de la vie : le comportement individuel, l’Église locale et l’arène publique. Cela veut-il dire qu’une réflexion éthique soit essentielle à toute personne qui désire vivre selon Dieu ? Pas du tout. L’essentiel est d’aimer le Seigneur et de vouloir faire sa volonté, en se référant à sa Parole, à la direction communautaire de l’Église et à la sagesse du Saint-Esprit en chaque chrétien.
En effet, la grande valeur qui distingue l’éthique chrétienne est l’amour. L’éthique comme principe ne suffit pas à sa propre pratique. Elle a besoin d’une mise en relation personnelle. Dans la foi chrétienne, l’éthique découle de la voix de Dieu que nous entendons parler dans le concret de notre vie avec des intonations d’amoureux.
Un jour, un homme et une femme arrivent dans mon Église. Auparavant, l’homme a été marié à une autre femme, et ils ont eu une petite fille. Mais son épouse les a quittés et vit dans un squat avec plusieurs personnes alcooliques et en grande précarité. Les services sociaux ont d’abord placé la fillette en famille d’accueil, mais, quand le papa s’est mis en ménage, ils ont accepté de la lui confier, notamment parce que la fillette s’entend bien avec la nouvelle compagne de son père. Arrivé dans l’Église, ce trio trouve très vite sa place, et la petite fille devient une participante enthousiaste à l’école du dimanche. Il est évident qu’elle trouve dans la communauté chrétienne un palliatif aux manques qu’elle a déjà subis dans sa courte vie. Assez vite, les deux adultes font profession de foi, et demandent à être baptisés pour devenir membre de l’Église. Leur conversion ne fait pas de doute, et la question d’une régularisation de leur situation conjugale se pose. Mais l’homme n’est pas encore divorcé et le mariage ne peut pas se faire dans l’immédiat. Devant le désir évident du couple d’obéir au Seigneur et de manifester leur foi en mettant leur vie en règle devant Dieu, les responsables de l’Église se posent la question : doivent-ils conseiller à ce couple de se séparer le temps de finaliser le divorce de l’homme pour leur permettre de se marier ? Un problème majeur apparait alors : si le couple se sépare, la fillette sera enlevée à son père par les services sociaux et placée en famille d’accueil, la coupant ainsi de la communauté chrétienne dans laquelle elle commence à s’épanouir. Ce cas de figure illustre les limites des règles morales. Aucune des lignes d’actions possibles n’est satisfaisante. Que faire ? La réflexion menée par les personnes impliquées relève de l’éthique. Comment tenir compte de tous les paramètres : le devoir d’obéissance à la Parole de Dieu, l’objectif de la croissance spirituelle du couple, le désir de porter un bon témoignage et de donner un exemple à suivre dans le domaine de la conjugalité, le besoin de ne pas priver la fillette des bienfaits de la communauté chrétienne… ? |
J.H.