COMPRENDRE L’ANCIEN TESTAMENT
À LA LUMIÈRE DU NOUVEAU
Par Reynald Kozycki
Nombre de chrétiens sont embarrassés par les longs chapitres de l’histoire d’Israël. Quel sens donner à ces textes antiques ? Où trouver des clés de compréhension de l’Ancien Testament ? D’autre part, nos « traditions d’interprétation biblique » ou nos « présupposés » (conscients ou non) ne nous aident pas toujours. Affirmons d’emblée que tout le N.T. puise ses racines dans l’A.T., et tout l’A.T. s’éclaire à la lumière du Nouveau
Lunettes déformantes
Commençons par une esquisse de « traditions d’interprétation ». Marcion au 2e siècle a simplifié le débat en affirmant qu’il fallait supprimer l’A.T. En revanche, une majorité des Pères de l’Église le lisaient avec beaucoup d’attention, mais glissèrent dans une approche très allégorique. À l’exemple de Paul tirant des leçons de Sarah et Agar en Galates 4, ils faisaient des liens à partir de tous les textes de l’A.T. pour en chercher l’accomplissement dans le N.T., quitte à forcer le texte. Cette approche ne s’intéressait qu’aux vérités spirituelles et éternelles et s’écartait d’une lecture historique. Augustin a maintenu en partie cette lecture ainsi que Thomas d’Aquin. L’insistance de ce dernier sur les « sacrements de grâce » faussa sa compréhension de l’A.T.
Luther redécouvrit une approche plus historique de l’A.T. en même temps que l’Évangile. La justification par la foi offrait la possibilité d’entrer en relation avec le Messie, ancré dans l’histoire d’Israël. Luther voyait l’unité des deux Testaments autour des thèmes de la Loi et de la promesse. Il relevait aussi une certaine différence avec une prédominance de la loi dans l’A.T. et de la grâce dans le N.T.
Calvin insiste sur le thème de la révélation du Rédempteur. La loi est, pour lui, le moyen par lequel le Christ fut révélé à Israël, même si ce n’était qu’une ombre des biens à venir. Calvin relève l’unité fondamentale des deux Testaments sans en ignorer les différences dans sa « théologie de l’Alliance ».
La méthode historico-critique de Wellhausen, digne héritière du rationalisme des Lumières, reste encore très influente parmi les théologiens non évangéliques. Dans cette lecture, il n’est pas besoin de chercher d’unité entre l’A.T. et le N.T. puisque tout est, à quelques nuances près, mythe et légende selon les conclusions de Bultmann. L’inspiration divine des Écritures a été humanisée et effacée.
Dans les cercles évangéliques, l’influence de Calvin a été déterminante. Au 19e, une autre lecture prit une place croissante, le dispensationalisme. Il insiste sur l’Avènement de Jésus et le retour du peuple d’Israël dans sa terre. Cette lecture a toutefois eu tendance, par son découpage assez strict de l’Histoire en « dispensations », à minimiser l’accomplissement des prophéties dans l’Église, pour ne faire d’elle qu’une petite parenthèse dans le plan de Dieu.
Si notre lecture de l’A.T. est liée, plus que nous le pensons, à nos « traditions » et à nos « présupposés » parfois douteux, il serait utile de poser quelques « bons présupposés » pour contrecarrer les déformations fréquentes1.
Quelques clés
L’inspiration
TOUTE l’Écriture, affirme Paul, est inspirée (ou insufflée) de Dieu, utile pour enseigner… Jésus, de son côté, renvoie régulièrement à la Parole de Dieu, comme seule autorité : Vous ne connaissez ni les Écritures, ni la puissance de Dieu (Mt 22.29), répond-il à ses détracteurs. Hébreux, par exemple, ne mentionne même pas David comme auteur du Ps 95, mais affirme : Selon que LE SAINT-ESPRIT DIT : Aujourd’hui si vous entendez sa voix, n’endurcissez pas vos coeurs (3.7). Le temps présent est remarquable, ce n’est pas seulement dans le passé que le Psaume parlait, mais aujourd’hui. Il est vrai que certains textes se sont désormais accomplis en Christ, mais cela n’enlève pas le sens actuel.
Illumination
Puisque la Bible tout entière est inspirée, nous avons besoin d’un éclairage dépassant nos simples réflexions ou celles de « spécialistes ». Jésus promet que son Esprit enseignera toutes choses (Jn 14.26). L’homme laissé à sa seule nature n’accepte pas ce qui vient de l’Esprit de Dieu ; c’est une folie pour lui, il ne peut le connaître, car c’est spirituellement qu’on en juge (1 Co 2.14). Ce principe n’évacue pas le fait que Dieu ait aussi accordé des dons à son Église pour l’aider à déjouer les ruses et tromperies des hommes (Ep 4.11-14).
Prendre du temps dans l’étude
Le Psaume 1 décrit celui qui trouve son plaisir dans la loi de Dieu et la médite jour et nuit. Cette personne, de toute évidence, investit du temps pour se familiariser avec la révélation divine, et s’en imprégner.
Comprendre le contexte historique
Pour éviter de glisser dans l’allégorisme effréné des pères de l’Église, il est important de chercher à bien comprendre le texte dans son contexte, mais aussi dans la perspective des points suivants.
Tirer des leçons
À propos d’événements vécus dans le désert, Paul écrit : Ces choses sont arrivées pour nous servir d’exemples (1 Co 10.5). Dieu a inspiré ces récits pour que nous sachions en tirer des leçons pour nous-mêmes, par des exemples ou contre-exemples.
La place du Messie
Vous sondez les Écritures, parce que vous pensez avoir en elles la vie éternelle : ce sont elles qui rendent témoignage de moi, affirme Jésus aux chefs religieux (Jn 5.39). L’épître aux Hébreux commence ainsi : Après avoir, à bien des reprises et de bien des manières, parlé autrefois aux pères par les prophètes, Dieu, en la période finale où nous sommes, nous a parlé à nous par un Fils. Le Nouveau Testament démontre que les prophéties s’accomplissent en Christ : par exemple les généalogies et toutes les citations de l’A.T. Pour Jean : La loi a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ (Jn 1.17) ; Jésus est l’agneau de Dieu, le temple, la manne, le berger, la vigne… Hébreux décrit plusieurs objets ou pratiques de l’A.T. comme « ombres et images » de la Nouvelle Alliance en Jésus-Christ. Finalement, l’ensemble de l’A.T. trouve son accomplissement en Jésus. Tous les textes se comprennent à la lumière de son enseignement, de sa mort et de sa résurrection.
Une histoire du salut
Après la beauté de la création, Genèse aborde la grande rupture avec Dieu suite à la désobéissance d’Adam et Ève. Mais un plan de salut est dévoilé à travers la « descendance » d’Ève qui écrasera la tête du Serpent (3.15). La « lignée » d’Adam, Seth, Noé, Sem est associée à la bénédiction qui aboutit à Abraham. Toutes les familles de la terre seront bénies en lui. La promesse se prolonge avec Isaac et Jacob, Joseph, Moïse. Elle passe désormais par un peuple appelé, arraché aux ténèbres de l’Égypte, sanctifié par le sang d’un agneau, où Dieu lui-même vient faire sa demeure par le tabernacle. Tous les rituels des sacrifices et les lois de pureté lui enseignent les chemins de sainteté. Ils sont en marche pour la Terre promise, le lieu du repos.
Cette première partie de l’histoire d’Israël pointe vers une autre rédemption que celle de l’esclavage de l’Égypte, vers le sacrifice d’un agneau plus parfait, vers une habitation de Dieu en Esprit plus réelle que celle du tabernacle. La conquête du pays, de Josué à Samuel, montre un achèvement dans le roi David. Il devient l’oint de Dieu, le messie. Les Psaumes développent ce thème mais laissent transparaitre un Messie beaucoup plus glorieux, dont le règne ne cessera jamais (Ps 2 ; 45 ; 72).
Les prophètes, par leur insistance sur la Nouvelle Alliance, ou la venue du « Jour du Seigneur » ou de son « Règne » annoncent l’ère nouvelle que le messie ouvre. Pierre ne s’est pas trompé en affirmant que le Jour du Seigneur était arrivé (Ac 2.17- 20), même si, la pleine mesure du Royaume, ou du Jour de l’Éternel, se manifestera lors du retour de Jésus.
Conclusion
En résumé, le sens de l’A.T. est dévoilé par l’étude du N.T. et la lecture du N.T. est enrichie par celle de l’A.T. Il nous faudra investir du temps pour nous familiariser avec les personnages et les enseignements de l’ensemble de la Bible et en tirer des enseignements et applications pour nous-mêmes. Éclairés par l’Esprit, nous pourrons plus facilement transposer les textes de l’A.T. et en découvrir un sens plus profond, celui de la grandeur de Dieu révélé en Jésus-Christ et la puissance de son salut.
RK
Idées pour un groupe d’étude
Lire l’article précédent et les textes suivants : Hé 1.1-4 ; Jn 1.17-18
Question 1 : De manière générale, pourquoi vous parait-il important de lire l’Ancien Testament ?
Question 2 : Selon Hé 1.1-4, que déduisezvous sur le mode de révélation de Dieu ? Pourquoi la révélation par le Fils dépasse-t-elle toutes les révélations antérieures ?
Question 3 : Selon Jn 5.34-40, pourquoi le témoignage de Jésus dépasse-t-il celui de Jean-Baptiste ? Qu’apprenons-nous ici sur les Écritures ? Pourquoi les chefs religieux passaient- ils à côté du vrai sens des Écritures ?
Question 4 : Comment la prophétie de Gn 3.15 s’est-elle accomplie à votre avis ?
Question 5 : Selon Ac 2.17-20, comment comprenez-vous « Le jour du Seigneur . |
NOTE
1. Pour approfondir ces points, nous recommandons notamment le Dictionnaire de Théologie Biblique, Excelsis 2006, avec les articles d’introduction ou les présentations des corpus et des livres bibliques. Voir aussi Bruce WALTKE, Théologie de l’Ancien Testament, Excelsis 2012 ; Graeme GOLDSWORTHY, Le Royaume révélé de l’Ancien Testament à l’Évangile, Excelsis, 2005 ; Peter ADAM, À l’écoute de la Parole de Dieu, Excelsis, 2013