Que la grâce soit
avec vous !
Par MARIE CHRISTINE FAVE
Que la grâce soit avec vous ! Que la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ soit avec votre esprit ! Ces expressions (à quelques mots près) se retrouvent à la fin de toutes les épîtres de Paul et de la lettre aux Hébreux. L’apôtre Pierre désire, lui aussi, en début de ses épîtres, « que la grâce et la paix soient multipliées » pour ses lecteurs. Pourquoi cette répétition ? Nous laissons- nous interpeller par cette insistance ou sommes-nous devenus accoutumés à ces phrases ?
Pas habitués à la grâce
Même si nous lisons régulièrement ces exhortations sur la grâce, nous n’en saisissons pas aisément toute la portée. Et pour cause : notre société fonctionne avec d’autres principes, notre système de pensée et de valeurs laisse peu ou pas de place à la grâce. « Le monde ne comprend pas la grâce. Les gens en font rarement l’expérience »1, constate Richard Blackaby.
Même un beau geste n’est pas nécessairement synonyme de grâce. Le film « 7 vies » met en scène un homme au volant de sa voiture avec son téléphone portable. Un virage… Un véhicule arrive en face et l’accident fait en tout 7 victimes. Lui s’en sort sans blessures physiques, mais il doit maintenant affronter cette terrible réalité : 7 vies sont parties par sa faute. Il décide alors d’aider 7 personnes à mieux vivre : don de sa maison, don d’organes, et il finit même par offrir son coeur pour une greffe. Il est déterminé à essayer de réparer. Il se trouve dans une logique de compensation. De plus, il sélectionne, et même teste dans certains cas, les personnes bénéficiaires de ses cadeaux. Il veut s’assurer de leurs besoins, mais aussi d’un certain mérite de leur part. Cet homme fait preuve de beaucoup de courage et de générosité. Et cependant, sa démarche manque de grâce. Elle se mêle de notions de mérite, de culpabilité, de tentative de se racheter…
Une autre logique
Recevoir en fonction de ce qu’on a fait : cette idée nous colle à la peau et plus précisément à la tête. On a du mal à raisonner différemment. On attend spontanément une rétribution à nos actes. Il semble que les paroles de Job, face à l’incompréhension de sa souffrance, laissent transparaître cette pensée : N’avais-je pas des larmes pour celui dont les jours sont durs ? Mon âme n’était-elle pas triste à cause du pauvre ? (Jb 30.25)
« Il nous faut adopter l’attitude du centurion romain de Luc 7, souligne Jerry Bridges. Cet homme envoya les anciens des Juifs pour demander à Jésus de venir guérir son serviteur malade. Ces anciens supplièrent Jésus : Il mérite que tu lui accordes cela ; car il aime notre nation et c’est lui qui a bâti notre synagogue (v. 4, 5). Ils s’appuyaient sur les mérites. » Quant à cet officier, « au lieu de penser à ce qu’il devait recevoir à cause de ses mérites, il admit sans réserve ne rien mériter », ajoute J. Bridges.2
Le contraste est frappant entre ces deux perceptions. Néanmoins, les uns et les autres raisonnent en termes de mérites. « Mais… », poursuit le centurion, et il apporte sa requête en toute simplicité. Jésus répond alors à ses attentes, non sur la base de ses prouesses, mais par grâce et en voyant sa foi.
Luther parlait des « bénédictions qui nous viennent parfois par nos peines et d’autres fois sans, mais jamais à cause d’elles, car Dieu les répand toujours à cause de sa miséricorde imméritée. »2 La logique de Dieu est bien différente de la nôtre. Elle découle de ce qu’il est : Dieu est amour. Ainsi « il appartient à sa nature même d’être généreux… et de répondre à nos besoins sans tenir compte de nos manquements. »2 S’il crie à moi, je l’entendrai, car je fais grâce (Ex 22.26), déclare Dieu quand il commande aux Israélites de rendre avant le coucher du soleil le vêtement pris en gage. Au-delà du motif du gage acquitté ou pas, Dieu se soucie de la condition de cet homme : c’est sa seule couverture… dans quoi coucherait- il ? C’est le « Dieu de toutes grâces » comme le nomme l’apôtre Pierre (1 P 5.10).
Dieu pourvoit abondamment et cependant : « Dieu ne nous permet pas de stocker la grâce, précise J. Bridges. Nous devons nous tourner vers Lui chaque jour pour recevoir une nouvelle provision… La manière dont Dieu distribua la manne aux Israélites illustre sa façon de distribuer sa grâce »2. Le peuple recueillait ce qu’il lui fallait pour sa nourriture pour la journée. Cela nous amène à être dépendants de Dieu pour le quotidien de nos vies, mais aussi dans nos luttes contre le péché, contre l’adversité. « P. Hughes disait : tout croyant doit apprendre que la faiblesse humaine et la grâce divine vont de pair. »2 On se rappelle les propos du Seigneur à Paul : Ma grâce te suffit, car ma puissance s’accomplit dans la faiblesse… (2 Co 12.9)
La pédagogie de la grâce
En ces jours-là, comme il y avait de nouveau une foule nombreuse, et qu’elle n’avait pas de quoi manger… (Mc 8.1)
Une situation similaire à celle de la première multiplication des pains se reproduit. L’attitude des disciples avait laissé à désirer : ils voulaient renvoyer la foule, ne savaient que faire et surtout :
ils n’avaient pas compris le miracle des pains, parce que leur coeur était endurci (Mc 6.52).
Ce « de nouveau » ouvre la possibilité aux disciples de réagir différemment. En fait, leur réponse n’évolue pas, mais l’opportunité leur est présentée. Jésus leur tend une perche. Les disciples ne la saisissent pas vraiment, et cela fait partie du risque pris quand on agit avec grâce.
Comment vivons-nous après un échec ou une mauvaise réaction ? Traînons-nous cette situation comme un boulet ? Laissons-nous aux autres une nouvelle chance de se comporter autrement ou les enfermons-nous dans un schéma passé ?
La logique grâce/amour
Un créancier avait deux débiteurs ; l’un devait 500 deniers et l’autre 50. Comme ils n’avaient pas de quoi payer, il leur fit grâce de leur dette à tous deux. Lequel l’aimera le plus ? (Lc 7.41-42) La réponse est facile et Simon le pharisien, qui a invité Jésus à manger, ne s’y trompe pas : celui, je suppose, auquel il a fait grâce de la plus grosse somme. Jésus compare ensuite les attitudes de Simon et d’une « femme pécheresse » venue pendant le repas avec un vase plein de parfum. Simon ne donne à Jésus ni eau pour les pieds, ni baiser d’accueil, ni huile pour la tête. La femme, quant à elle, pleure, mouille les pieds de Jésus avec ses larmes, les essuie avec ses cheveux, baise ses pieds et répand du parfum dessus. En relevant le contraste, Jésus énonce un principe : celui à qui l’on pardonne peu aime peu (v. 47). Jésus mentionne les « nombreux péchés » de cette femme : la grâce ne revient pas à tout tolérer ni à fermer les yeux sur les problèmes rencontrés. Jésus explique le comportement de la femme : ses nombreux péchés sont pardonnés, puisqu’elle a beaucoup aimé. En fait, l’attitude de cette femme montre qu’elle a saisi le pardon. Celui à qui on remet une grosse dette (500 deniers) ou de nombreux péchés va agir avec gratitude et amour.
Encore faut-il être conscient de sa dette ! Ce n’est probablement pas le cas de Simon. Il semble avoir développé une conception très extérieure du péché et cela ne l’amène pas à voir l’état de son coeur qui juge et manque de compassion.
Notre amour pour Dieu sera à la mesure de notre prise de conscience de notre nature pécheresse et de la valeur du pardon reçu. On aimera plus Dieu en se rendant davantage compte de l’immensité de sa grâce. Et la reconnaissance suivra naturellement.
MC.F.
NOTES
1. Richard BLACKABY, La grâce : reçue pour être donnée.
2. Jerry BRIDGES, La grâce de Dieu, c’est pour la vie !