Richesses et difficultés
du partenariat Mission/Eglise
Par PAUL DJIDÉTI
L’Église, bâtie par le Seigneur Jésus-Christ sur des « pierres vivantes », conformément à son Grand Mandat, a déployé des missions qui ont bouleversé le monde entier et continuent de l’influencer. Personne ne peut nier aujourd’hui l’impact des oeuvres missionnaires. Que ce soit dans l’implantation d’Églises locales qui s’enracinent et croissent à un rythme accéléré dans certaines régions du monde, ou dans des oeuvres qui contribuent de manière remarquable au développement de la plupart des pays. Les voyages missionnaires de l’apôtre Paul ont été effectués à partir de l’Église locale, avec les résultats que nous connaissons. L’Église de Jésus- Christ, qui est une, s’exprime sur toute la terre par l’accomplissement de sa mission, de sorte qu’il est inconcevable de parler de l’Église sans évoquer la tâche qui lui est confiée. Comment comprendre alors le concept d’un partenariat mission/ Église sans engendrer de confusions, sachant que le partenariat présuppose au moins deux entités séparées ? La confusion quant aux concepts d’Église et de mission peut expliquer l’apparition de difficultés dans le fonctionnement de l’Église, difficultés qui sont à dépasser, si nous voulons percevoir les richesses de la collaboration dans le champ de Dieu. Nous exposerons donc notre compréhension des termes Église et Mission, nous chercherons les raisons qui amènent les hommes à parler d’un tel partenariat, puis nous examinerons en quoi un tel partenariat peut être source de joie ou, au contraire, induire de malheureux heurts entre ses acteurs.
Comprendre le concept « Église »
La lecture du Nouveau Testament fait apparaître deux dimensions de la seule et unique réalité qu’est l’Église : sa constitution en famille ou organisme ; son fonctionnement ou organisation.
Sont membres de l’Église-famille, tous les hommes et toutes les femmes qui se sont reconnus et qui ont été reconnus comme unis à Jésus-Christ dans la communion du Saint-Esprit. La puissance qu’ils ont reçue sous forme de dons ou de talents les qualifie pour la tâche que le Maître a confiée à chacun d’eux. Cette tâche vise la croissance et la maturation de tous, et l’expansion du Royaume de Dieu. Résultant de la réconciliation de chaque membre avec Dieu en Jésus-Christ, l’Église est cette nouvelle communauté appelée à faire connaître Dieu et son message de salut au monde de diverses manières et particulièrement par la production du fruit de l’Esprit décrit dans Galates 5.22 : « amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, fidélité, douceur, maîtrise de soi ».
L’Église de Jésus-Christ, bien que diverse, est universelle, unie et indivisible. Elle est transculturelle, porteuse d’un message éternel. Elle est aussi extra-culturelle, communicant au travers des cultures sans être elle-même liée par quelque nationalité que ce soit.
Sur le plan pratique, ses caractéristiques et son image devraient transparaître dans les assemblées locales qui se constituent pour rendre efficace l’accomplissement de la grande commission du Seigneur. Des tensions surgissent fréquemment entre l’Église idéale et sa manifestation pratique. Causées par des comportements individuels et collectifs, elles ternissent son image.
L’autre face que nous avons évoquée est celle de l’Église perçue dans son fonctionnement comme organisation. En effet, pour assurer leur croissance spirituelle et accomplir leur devoir dans ce monde « pervers et corrompu », les membres vivants du corps de Christ s’organisent, planifient des actions et établissent des stratégies qu’ils veulent adaptées à leur contexte. Ils nomment des responsables selon leurs dons et prennent des décisions conformément au type d’administration qu’ils ont librement mis en place. Compte tenu des blessures du péché dans la nature humaine, il n’est donc pas étonnant que des éléments humains, tels que l’autorité et le pouvoir, prennent une importance qui n’est pas celle prévue par le Seigneur Jésus-Christ dans la nature et le fonctionnement de son Église. Ces structures sont connues sous des noms divers : dénominations, associations, etc. Elles correspondent à des types de gestion que les croyants ont retenus de leur interprétation des Écritures. C’est ainsi que l’on parle d’administration de type épiscopal, presbytéral et congrégationaliste. Toutes cherchent à répondre à l’appel du Seigneur pour une même mission qu’elles remplissent chacune suivant sa stratégie. Efforçons-nous de comprendre ce concept de mission dans l’Église de Jésus-Christ.
La Mission
La Bible, en fait, ne connaît qu’une église, née à la Pentecôte pour accomplir le mandat de son Maître. La mission, qui signifie l’action d’envoyer, est une composante majeure du mandat des Églises locales primitives, qui se sont progressivement structurées pour se prendre en charge, coopérer et communiquer le message du salut en Christ. Il y a également une seule mission clairement définie par celui qui l’a donnée, avec un but précis et un programme à exécuter. Intimement liée à l’Église locale pour sa réalisation, elle a fait l’objet d’organisation simple et pratique par ses membres qui traduisent ainsi leur fidélité à suivre l’appel du Seigneur !
On peut alors s’interroger sur le principe d’un partenariat entre l’Église et la mission, dans la mesure où les deux termes renvoient à une entité. En effet, comme les personnes de la Trinité sont toutes missionnaires, l’Église de Jésus est forcément missionnaire. Comme le Seigneur Jésus a accompli sa mission en devenant homme, l’Église est appelée à transformer le monde en s’y incarnant.
Nous comprenons que le souci de mieux réussir la tâche a poussé des chrétiens bien intentionnés à s’organiser de plus en plus fortement, au point d’en arriver parfois à fonctionner indépendamment de l’Église locale. Il nous semble que c’est ainsi que sont nées, à côté des Églises, des organisations missionnaires dont certaines peuvent développer plus de pouvoir qu’elles n’en méritent, usurpant l’autorité de l’Église. L’Histoire de l’Église est ainsi constituée d’oeuvres missionnaires, avec des résultats parfois encourageants, parfois plus malheureux.
Le partenariat mission/ Église et ses défis
Les relations entre les Églises et les missions ont évolué de l’indépendance au partenariat en passant par l’interdépendance. Qu’est-ce donc que le partenariat dans ce contexte ? Quelles en sont les richesses et les difficultés ?
Nous avons retenu une définition du partenariat qui nous a paru appropriée : « une association active de différents intervenants qui, tout en maintenant leur autonomie, acceptent de mettre ensemble leurs efforts en vue de réaliser un objectif commun. » C’est donc un système qui présuppose au moins deux entités différentes, autonomes. Il y a eu trop d’écart entre la mission, cette institution qui envoie, et l’Église qui reçoit ! Pourtant la particularité du partenariat mission/Église est que l’Église, par son unicité en Jésus-Christ, demeure inséparable de la mission. Les différences que l’on peut noter sont secondaires par rapport à la nature de l’Église. Si nous copions le monde dans cette coopération, nous serons à mille lieues de la volonté de notre Maître. Il nous faut au contraire réfléchir attentivement sous la conduite du Saint-Esprit, portant notre attention sur ce qui nous réunit pour suivre ensemble un chemin qui mène à la gloire de Dieu. Pour réussir ce partenariat, le respect des conditions ci-dessous s’impose :
• Prioriser notre appartenance au corps de Christ par rapport à toute autre chose. Définir clairement les domaines du partenariat : évangélisation, formation, projets de développement, secours d’urgence.
• Définir les apports (ressources humaines, matérielles, intellectuelles, financières, etc.) de chacun dans chaque domaine. Chacun ne peut donner que ce qu’il a reçu du Seigneur.
• Se connaître réciproquement en termes d’arrière-plan culturel, de vision du monde, d’environnement socio-économique et politique, d’aptitudes à y faire face, afin de s’encourager à privilégier et à appliquer les principes de Christ.
• S’engager à poursuivre la vision communiquée par le Seigneur à l’Église et à soi, en toute connaissance de cause.
• Se respecter, s’aimer comme frères et soeurs dans le Seigneur, malgré les différences apparentes.
• Se convaincre de l’importance de la valeur de chaque apport ou contribution.
Lorsqu’une telle base est posée et acceptée par les intervenants, le partenariat procure des richesses réciproques inestimables : les besoins sont satisfaits dignement, le progrès du royaume est visible, les témoignages glorifient Dieu, les serviteurs de Dieu se sentent soutenus dans le ministère et servent avec zèle, les tensions entre individus ou groupes baissent… Cependant, tout cela n’ira pas toujours sans difficulté.
Les difficultés du partenariat mission/ Église sont essentiellement dues à l’ignorance de la réalité qu’incarne l’Église et au péché d’orgueil qui persiste dans la maison de Dieu. Je ne perds pas de vue les entraves dues aux forces extérieures à l’Église, tels les régimes politiques, la pauvreté généralisée, les persécutions religieuses, etc.
Lorsque les structures sont confondues avec l’Église et mises au premier plan, le diable en profite pour raviver son combat en aveuglant les acteurs du partenariat, les empêchant de discerner leur tâche véritable, pourtant bien définie par le Seigneur lui-même. Les modèles qui ont été tirés de l’interprétation des Écritures sont utilisés alors pour assouvir des ambitions personnelles malveillantes que l’on présente ensuite comme la volonté de Dieu. Les responsables ne se laissent pas briser pour laisser la toute puissance de Dieu se déployer dans chaque situation de la vie de l’Église : ils se servent au lieu de servir !
Le point de départ de tout partenariat fructueux est la rencontre personnelle avec Dieu et avec Christ, à l’exemple du prophète Ésaïe et de l’apôtre Paul. En provoquant un brisement, une véritable vulnérabilité, une telle rencontre permet d’entendre distinctement la voix de Dieu, de percevoir clairement toutes les dimensions de l’oeuvre qu’il nous confie et de s’engager à l’exécuter selon ses principes.
Les structures d’Église, quel que soit le nom qu’elles portent, ne font pas partie de l’essence même de l’Église. Ce sont des oeuvres humaines, culturelles, qui peuvent se détériorer, se dégrader, et même disparaître. Ce sont les outres dans lesquelles se trouve le vin et non le vin même. Pourtant, c’est d’elles qu’on parle le plus ! Ce sont elles qui motivent et prennent des décisions !
Comme ces structures, les dénominations, associations, agences, organisations…, nationales ou internationales sont souvent confondues avec l’Église, elles génèrent des incompréhensions malheureuses qui perturbent le fonctionnement harmonieux du corps de Christ dans le monde. Et les questions comme celle qui fait l’objet de nos débats se posent.
Nous avons besoin de renouveler notre intelligence et de l’utiliser, afin de mieux discerner la volonté de Dieu et y obéir.
John STOTT a écrit dans son Plaidoyer pour une foi intelligente1 : « Si nous n’utilisons pas l’intelligence que Dieu nous a donnée, nous nous condamnons à une vie spirituelle superficielle et nous nous privons de bien des richesses de la grâce de Dieu. En revanche, la connaissance nous est donnée pour que nous l’utilisions afin de nous amener à une adoration plus profonde, à une foi plus forte, à une sainteté plus réelle, à un service plus efficace ».
P.D.
NOTE
1. John Stott, Plaidoyer pour une foi intelligente, Presses Bibliques Universitaires, 1979 (1982), p.50.