La conception missionnaire dans le Mouvement de Lausanne

 

 

Par Jean-Paul REMPP

Jean-Paul Rempp

 

L’Engagement du Cap, fruit de Cape Town 2010, 3ème Congrès International pour l’Évangélisation du Monde (dit Lausanne III), est le troisième texte de référence du Mouvement de Lausanne après la Déclaration de Lausanne (1974) et le Manifeste de Manille (1989).

 

 

lausanneLEngagement du Cap s’efforce de lier croyance et mise en pratique. Il comporte deux parties : une confession de foi et un appel à l’action. Tandis que la confession de foi énonce, dans la tradition évangélique du Mouvement de Lausanne, les convictions bibliques essentielles relatives à l’Évangile qui nous unissent, l’appel à l’action préconise un certain nombre de pistes pour répondre aux nouveaux défis et aux grandes problématiques auxquels les évangéliques sont confrontés aujourd’hui.

 

Significativement, la mission de l’Église est affirmée dès la première ligne du Préambule1 : « … nous affirmons joyeusement notre engagement envers le Dieu vivant et ses desseins de salut [c’est nous qui soulignons] par le Seigneur Jésus-Christ. » Ce thème de la mission de Dieu servira aussi de conclusion à la confession de foi du Cap, un peu comme si le document voulait témoigner du fait que la mission de Dieu est un thème, voire le thème unificateur de la théologie biblique.

 

Deux axes principaux nous semblent émerger de l’Engagement du Cap : celui des exigences impliquées par un Évangile intégral ainsi que celui d’un discipulat conséquent stimulant une meilleure cohérence entre le croire et le faire. Nous pourrions résumer ceci par la formule : « Une mission intégrale pour des chrétiens intègres. »

 

Préalablement à la compréhension du concept de « mission intégrale » dans le document du Cap, il convient d’examiner ce qu’il dit de la mission elle-même. Nous avons déjà souligné l’importance de la mission dans le document, en réalité celle-ci constitue sa trame fondamentale.

 

La Section 10 : « Nous aimons la mission de Dieu » commence par ces mots :

Nous avons pris un engagement pour la mission mondiale, parce qu’elle est centrale pour notre compréhension de Dieu, de la Bible, de l’Église, de l’histoire humaine et de l’avenir final. Toute la Bible révèle la mission de Dieu : conduire tout ce qui est au ciel et tout ce qui est sur la terre à être unis sous le gouvernement du Christ, en les réconciliant par le sang de sa croix. (p. 42-43)

 

Quelques lignes plus loin, il est précisé que « Dieu appelle son peuple à participer à sa mission » (p. 43) et p. 88, nous trouvons cette affirmation : « La mission de l’Église sur terre est de servir la mission de Dieu ».

 

Par conséquent, « tout le peuple de Dieu [doit être équipé] en vue de la tâche « missionnelle » consistant à comprendre la vérité de Dieu et la communiquer avec pertinence dans tous les contextes culturels. » (p. 88-89) En d’autres termes, l’Église n’est l’Église que si elle est « missionnelle ». Pour Michaël Girgis, « le terme «missionnel » devient une manière de penser et d’agir entièrement déterminée et imprégnée par la nature et l’action missionnaire de Dieu dans notre monde… [Il] exprime le fait que l’aspect de la mission est capital et qu’il doit imprégner tous les domaines et toutes les activités. »2 Selon lui, si l’adjectif « missionnel » repris de l’anglais est à vrai dire synonyme de « missionnaire », le concept missionnel a évolué et il est aujourd’hui nettement distinct de missionnaire : « Missionnaire désigne la mission en tant qu’activité. Il s’agit du faire (de l’activité) d’une personne ou d’une église. Par contre, missionnel désigne la nature. Il s’agit de l’être (de l’identité) d’une personne ou d’une église. L’aspect missionnel est premier. Il est au centre et imprègne tous les autres domaines. Mathias Burri écrit à juste titre : «Une église missionnelle est aussi missionnaire. Mais une église missionnaire n’est pas nécessairement missionnelle» (Burri blog IGW, 2009) ».3

 

On comprend mieux alors que l’adjectif « missionnel » apparaisse de façon aussi récurrente dans l’ensemble du document du Cap.

 

Au centre de la mission de l’Église, il y a le Christ. L’Engagement du Cap l’affirme on ne peut plus clairement : « La source de toute notre mission est ce que Dieu a fait dans le Christ pour la rédemption du monde entier, comme la Bible le révèle. » (p. 43) et il est indiqué : « Notre mission… est centrée et enracinée dans la victoire rédemptrice de la croix. »

 

Le concept de missio Dei (mission de Dieu) souligne que la mission trouve son origine dans le coeur de Dieu, qui intègre son peuple, l’Église, à sa mission. On peut donc considérer que ce concept de la missio Dei sert de fondement à toute définition théologique de la mission.

 

La notion de « mission intégrale » évoque la préoccupation de développer une perspective globale biblique éclairant tous les aspects de la pensée, de la vie et de l’action humaine. La conclusion de la Section 10 sur la mission de Dieu est significative à cet égard : « Nous affirmons notre engagement à l’exercice intégral et dynamique de toutes les dimensions de la mission à laquelle Dieu appelle son Église. » (p. 44) Il s’agit certes de penser l’articulation entre la « proclamation » et la « démonstration » de l’Évangile, mais en dépassant la seule problématique des rapports entre l’évangélisation et l’action sociale. Cette « vision du monde biblique et holistique » (p. 53) doublée d’une « prise en charge pratique et holistique qui intègre [tous les aspects]… de notre humanité créée » (p. 55), c’est cela l’exercice intégral de la mission…

 

Il vaudrait la peine d’approfondir cette notion de « mission intégrale » par le biais de l’Engagement du Cap en examinant :

• la problématique évangélisation/action sociale

• le spectre des dimensions de la mission à laquelle Dieu appelle son Église

• l’implication de tous les membres du peuple de Dieu dans la mission de Dieu,

• et enfin la nécessaire intégrité du disciple pour accomplir la mission. Le peu de lignes disponibles ne nous permettra de le faire que très schématiquement.

 

 

1. La problématique évangélisation / action sociale :

 

La mission et sa double composante sont présentées par l’Engagement du Cap en des termes remarquables ; voir l’extrait du Préambule mentionné plus haut.

Clairement, comme déjà souligné, la problématique dépasse la seule problématique des rapports entre l’évangélisation et l’engagement sociopolitique, puisqu’il s’agit de faire progresser les valeurs du Royaume par le biais de vies authentiquement intègres.

Si l’intégrité dépasse le cadre de l’engagement sociopolitique, il l’intègre cependant nécessairement. Évangélisation et engagement sociopolitique sont en effet indissociables, ils font ensemble partie du même devoir chrétien. C’est ce qui affirmait déjà en son temps la Déclaration de Lausanne dont les extraits ci-dessous tirés des paragraphes 4 et 54 sont explicitement cités par le document du Cap :

L’évangélisation elle-même est la proclamation du Christ : persuader les hommes de venir personnellement à lui pour être réconciliés avec Dieu. […] L’obéissance au Christ, l’intégration à son Église et un service responsable dans le monde sont les conséquences de l’évangélisation. […]

Nous affirmons que l’évangélisation et l’engagement sociopolitique font tous deux partie de notre devoir chrétien. Tous les deux sont l’expression nécessaire de notre doctrine de Dieu et de l’homme, de l’amour du prochain et de l’obéissance à Jésus-Christ. […] Le salut dont nous nous réclamons devrait nous transformer totalement dans notre façon d’assumer nos responsabilités personnelles et sociales. La foi sans les oeuvres est morte. (p.44)

C’est à cette même conviction, mais mûrie et développée, que correspond la double composante de la mission intégrale telle qu’elle est présentée dans l’Engagement du Cap. Tout comme l’évangélisation, la responsabilité sociale des chrétiens et la prise en compte de la lutte contre l’injustice est désormais un point clairement acquis.

 

 

2. Le spectre des dimensions de la mission à laquelle Dieu appelle son peuple :

 

L’idée de « totalité » ou de « globalité » est très présente dans l’ensemble du document. Cela rejoint parfaitement les convictions déjà formulées dans le passé par le mot d’ordre : « L’Évangile tout entier par l’Église tout entière dans le monde tout entier ».

 

En ce sens, la mission intégrale ne peut qu’être concernée par toutes les dimensions de la vie. Les expressions utilisées par l’Engagement du Cap pour décrire l’amplitude de la mission sont multiples. Il ne s’agit pas moins de « prêcher et enseigner la totalité de l’Évangile biblique comme Paul l’a fait, dans toute son étendue cosmique et sa vérité. » (p. 50)

 

La mission intégrale consiste à discerner, proclamer et vivre la vérité biblique selon laquelle l’Évangile est la bonne nouvelle de Dieu, annoncées, par la croix et la résurrection de Jésus-Christ, pour les personnes individuellement5, et pour la société, et pour la création. Ces trois destinataires sont brisés et souffrent à cause du péché ; tous trois sont inclus dans l’amour et la mission rédempteur de Dieu ; tous trois doivent faire partie de la mission complète du peuple de Dieu. (p.34)

 

En réalité, « la tâche missionnelle [consiste] à comprendre la vérité de Dieu et à la communiquer avec pertinence dans tous les contextes culturels. » (p. 88- 89) Il convient en effet d’« interpeller tous les aspects de la culture dans laquelle nous vivons. » (p. 51)

 

Parmi les domaines concrets évoqués dans lesquels la souveraineté de Dieu devrait se déployer, il y a prioritairement le travail de chaque croyant : « La Bible nous montre la vérité de Dieu concernant le travail humain : il fait partie du bon dessein de Dieu dans la création. La Bible place la totalité de notre vie de travail dans la sphère du service, parce que nous servons Dieu selon des appels différents. » (p. 51) Les sphères publiques, c’est-à-dire « [les] sphères étroitement liées du gouvernement, des affaires et de l’éducation6 [qui] ont une grande influence sur les valeurs de chaque nation » (p. 55) sont également mises en évidence.

 

 

3. L’implication de tous les membres du peuple de Dieu dans la mission de Dieu :

 

Le document du Cap remet en question « la tendance à considérer le service et la mission (tant localement que de façon transculturelle) comme relevant principalement du travail de responsables d’Église et de missionnaires payés par l’Église, qui constituent un faible pourcentage du Corps du Christ pris dans son ensemble. » (p. 52) En d’autres termes, la mission de Dieu n’incombe pas seulement aux « spécialistes », mais à tous les membres du peuple de Dieu.

 

 

4. La nécessaire intégrité du disciple pour accomplir la mission :

 

Il est primordial d’intégrer à la réflexion sur la mission la question du discipulat. La mission exige en effet que ceux qui se réclament du nom du Christ soient de véritables disciples, consacrés à leur Seigneur. Elle exige également la formation de disciples. D’où ces paroles fortes tirées de la Conclusion du document : « Échouer dans la vie de disciple et dans la formation de disciples, c’est échouer au niveau le plus fondamental de notre mission. » (p. 92)

 

Positivement, l’Engagement du Cap affirme « le besoin d’une vie radicale de disciples obéissants » (p. 91). Associé à l’autre thème majeur du congrès, celui « d’une réconciliation radicale centrée sur la croix » (p. 91), ils constituent les conditions vitales au développement de la mission : « La vie de disciple et la réconciliation sont indispensables à notre mission. »

 

Pas de véritable discipulat sans obéissance est un thème récurrent de l’Engagement du Cap. Une telle obéissance a pour motivation l’amour : « Notre amour se manifeste par la confiance, l’obéissance et l’engagement passionné envers le Seigneur de l’alliance. » (p. 17)

« [Cette nécessaire] vie d’une obéissance coûteuse à Dieu au travers du Christ » avait déjà été soulignée par la Déclaration de Lausanne :

Lorsque nous transmettons l’invitation de l’Évangile, nous n’avons pas le droit de cacher ce qu’il en coûte d’être un disciple du Christ. Jésus continue d’appeler ceux qui veulent le suivre à renoncer à eux-mêmes, à se charger de leur croix et à s’identifier avec la communauté de ceux qui lui appartiennent. L’obéissance au Christ, l’intégration à son Église et un service responsable dans le monde sont les conséquences de l’évangélisation. (Article 4)

 

On peut remarquer que la déclaration associait déjà « l’obéissance au Christ » à l’identification à la communauté du peuple de Dieu et à l’intégration à l’Église du Christ. Cela signifie qu’il ne saurait y avoir d’authentique discipulat sans intégration dans l’Église locale.

 

Cette exigence de la radicalité du discipulat et de l’obéissance à Christ est doublée d’une exhortation / interpellation solennelle (p. 92-93) dans la conclusion du document du Cap : faire des disciples et s’aimer les uns les autres.

L’Engagement du Cap s’achève sur une aspiration proportionnée à l’enjeu évoqué : « nous soupirons et prions instamment, attendant une réformation de la vie de disciples selon la Bible et une révolution d’amour, un amour semblable à celui du Christ. » (p. 93)

 

Que celui qui a des oreilles écoute ce que l’Esprit dit aux Églises !

 

J-P.R.


 

NOTES

 

1. L’Engagement du Cap, Une confession de foi et un appel à l’action, Marpent, BLF, 2011, ou sur le web : http://www.lausanne.org/fr/tous-les-documents/engagement-du-cap.html

 

2. Michael GIRGIS, « la théologie missionnelle », Allons, bulletin d’information de l’Alliance Missionnaire Évangélique (AME) n° 4/2011, p. 4-5, p. 4.

 

3. Ibid., p. 5.

 

4. Respectivement intitulés : « La nature de l’évangélisation » et « Responsabilité sociale du chrétien ».

 

5. On trouve p. 55 cette belle exhortation adressée à toutes les communautés chrétiennes locales à « [faire] preuve de respect envers le caractère unique de la dignité et de l’inviolabilité de la vie humaine, par une prise en charge pratique et holistique qui intègre les aspects physique, émotionnel, relationnel et spirituel de notre humanité créée. »

 

6. La note précise : « En effet, «l’université est le point d’appui tout désigné pour changer le monde. L’Église ne peut rendre de plus grand service à elle-même comme à la cause de l’Évangile qu’en essayant de reconquérir les universités pour le Christ. Plus que pour tout autre moyen, si vous changez l’université, vous changez le monde». Charles Habib Malik, ancien président de l’Assemblée générale des Nations Unies, dans ses allocutions pascales de 1981, A Christian Critique of the University [Une critique chrétienne de l’Université]. »