avant-garde

 

L’avant-garde

 

Par GEOFF CAWSTON

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La belle représentativité des 500 délégués de 90 nations participant au Congrès international de Strasbourg en 2011 s’explique par une remarquable activité missionnaire. Les pionniers du 19e siècle méritent qu’on ne les oublie pas.

 

Tout a commencé par un livre de 60 pages, La Consécration Chrétienne. Son auteur, Anthony GROVES, dentiste de 30 ans et jeune dans la foi, y évoque les sacrifices des premiers chrétiens qui ont bouleversé le monde. Sa thèse ? La consécration et une vision missionnaire vont ensemble. Au lieu d’amasser des trésors sur la terre, le vrai disciple renonce à tout ce qu’il possède et fait confiance à Dieu, qui pourvoira à tous ses besoins. En mettant en pratique ce message, GROVES allait influencer puissamment le mouvement missionnaire. George VERWER écrit : « Anthony GROVES était l’un des premiers à montrer en pratique la vie par la foi et une vie de disciple radicale. Son influence est ressentie jusqu’à ce jour ». Le livre, publié en 1825, bouleverse George MÜLLER, qui devient un pilier du mouvement missionnaire du dix-neuvième siècle.

 

 

Telle église, telle mission

 

GROVES est persuadé que Dieu l’appelle à quitter son confort pour annoncer l’Évangile dans le cadre d’une société missionnaire qui lui propose d’aller à Bagdad. Cependant, pendant ses études théologiques à Dublin, il fréquente un cercle de jeunes chrétiens dont les idées transforment ses projets. GROVES comprend que la sainte cène peut être l’occasion pour les enfants de Dieu de s’unir quelle que soit leur appartenance ecclésiastique, que la présence du clergé n’est pas indispensable et que l’évangélisation du monde ne peut dépendre du seul clergé. Il décide, donc, que le Seigneur l’appelle à partir sans être consacré comme pasteur, sans le soutien de la société missionnaire anglicane qu’il connaît, en faisant confiance à Dieu. Il ne fondera pas d’églises confessionnelles dirigées de l’Europe, mais des églises se réclamant de Christ seul et dirigées par des autochtones. Patrick JOHNSTONE, compilateur de Flashes sur le Monde remarque : « Il était un pionnier. Par son moyen, une erreur vieille de 1 800 ans a été corrigée. » Celle d’étouffer l’initiative missionnaire « des chrétiens ordinaires ».

 

 

Une foi à toute épreuve

 

fraternelEn 1829, au moment où la Société de Paris envoie ses premiers missionnaires français en Afrique, GROVES quitte l’Angleterre sur un yacht privé accompagné d’une équipe qui compte son épouse, sa soeur (future épouse de George MÜLLER), ses deux fils et un homme érudit mais sourd chargé de leur éducation. Destination : la Mésopotamie via Saint-Pétersbourg ! Six mois plus tard, après un voyage périlleux, ils arrivent à Bagdad à une époque où la mission protestante en terre islamique n’est guère connue. La communication est difficile. Peste, famine, guerre et inondations se succèdent. GROVES perd sa vaillante épouse et sa fille. Il écrit courageusement : « Dans ces circonstances épouvantables, nous croyons qu’il remplira nos bouches de sa louange comme il a rempli nos coeurs de sa paix. » Et les fruits ? Entre autres, une large distribution de Bibles, une collaboration fructueuse avec un luthérien allemand, une démonstration de courage qui va inspirer beaucoup, quelques conversions et une nouvelle lucidité concernant le coût de la mission. « Les grandes choses ne sont accomplies qu’au prix de grands sacrifices. » Après tant de souffrances, GROVES effectue un voyage de reconnaissance en Inde. Le contraste est saisissant. Comme à Bagdad, il s’entend très bien avec un missionnaire allemand dont il approuve pleinement les méthodes. Karl RHENIUS veut confier les nouvelles églises à des catéchistes autochtones sans qu’elles soient gouvernées à partir de l’Europe. Une porte s’ouvre.

 

 

Une vision contagieuse

 

salle-coursDe retour en Grande-Bretagne, il prend contact avec son beau-frère MÜLLER qui vient de créer, en 1934, une société pour la diffusion de la Bible ayant pour but de soutenir la mission. MÜLLER habite Bristol, grande ville portuaire tournée vers le monde. Bientôt des sommes importantes transitent par ses comptes. En 1865, il envoie des dons à 122 missionnaires. À partir de 1870, il envoie 10 000 £ par an à plus de 200 missionnaires. Alors que la Mission à l’Intérieur de la Chine traverse une période difficile, il continue à envoyer un soutien à tous ses missionnaires. En 1897, peu avant la mort de MÜLLER, la société a déjà distribué plus de 1 700 000 Bibles et portions de l’Écriture, 111 000 000 de traités et soutenu des missionnaires sur tous les continents. En 2012, l’oeuvre existe encore. Pour MÜLLER, le soutien de la Mission est autant une oeuvre de foi que ses célèbres orphelinats. Sa passion missionnaire le pousse, entre l’âge de 70 et 87 ans, à voyager dans 42 pays pour soutenir en personne l’oeuvre de Dieu dans le monde entier.

 

 

En Europe

 

GROVES se lamente de la difficulté qu’il éprouve à assimiler les langues. Il y en a beaucoup à Bagdad et en Inde ! Par contre, un jeune avocat, né au Danemark et bilingue, se met à apprendre l’espagnol et le portugais dans l’espoir de s’en servir pour annoncer l’Évangile. Robert CHAPMAN, proche de MÜLLER et de GROVES, est pasteur d’une église à 100 kilomètres de Bristol. Il fait quatre séjours dans la Péninsule ibérique, traversant l’Espagne de long en large, souvent à pied. La distribution de la Bible est interdite lors de ses premiers voyages en 1834 et 1838, mais il en remplit quand même ses bagages, un peu comme Frère André le fera bien plus tard derrière le rideau de fer, et emporte avec lui juste assez d’argent pour le voyage. De retour, il fait la promotion de la mission en pleine connaissance du défi missionnaire. Trois familles partent de son église pour s’installer à Barcelone et Madrid.

 

 

En Inde

 

En 1836, année où MÜLLER ouvre son premier orphelinat, GROVES repart en Inde avec une équipe importante dont deux couples de l’église de CHAPMAN, deux chrétiennes suisses de la Mission de Bâle et un jeune diplômé en théologie de Tübingen. Ce dernier est étonné de la connaissance biblique et de l’éloquence des deux envoyés de CHAPMAN, l’un maçon et l’autre cordonnier. Ils allaient accomplir un travail extraordinaire. Conformément à la vision non sectaire de GROVES, les douze jeunes missionnaires qui l’accompagnent finissent par servir dans cinq centres différents avec quatre unions d’églises.

 

 

Une missiologie d’avant-garde

 

GROVES aspire à voir des églises se maintenir indépendamment des sociétés missionnaires dirigées de l’Europe et libres des divergences confessionnelles exportées des pays d’envoi. Loin de s’imposer par leur niveau de vie, les missionnaires doivent être prêts à se dissocier des expatriés coloniaux pour vivre le plus possible comme les populations desservies. Dans le but de soutenir les églises en Inde, il se lance dans des projets agricoles et commerciaux qui, malheureusement, échouent. William CAREY avait tenté des expériences similaires. Les dettes que GROVES contracte dans ces entreprises deviennent une lourde charge. Ses objectifs, cependant, sont admirables et il forme un petit nombre d’évangélistes indiens dont le rayonnement sera remarquable.

 

 

Échec ?

 

Suite à ces expériences, GROVES écrit : « Les missionnaires ont besoin d’une foi très simple, capable de se réjouir lorsque la volonté de Dieu se réalise, même si leurs projets personnels sont anéantis. » En 1853, il retourne en Angleterre, malade et déprimé, et meurt en paix chez Georges MÜLLER. Son fils Henri, riche d’une expérience incomparable acquise aux côtés de son père est, en 1872, fondateur avec d’autres, d’une revue qui deviendra une agence missionnaire au service des Assemblées de Frères : « Echoes of Service ». Depuis, plus de 6 000 missionnaires ont été soutenus grâce à ce ministère.

 

G.C.