Temoignage

 

Maman, papa ne te veut plus

 

coeur-brise 

 

par G.B.

 

Les accidents n’arrivent qu’aux autres, c’est bien connu. Ce sont aussi les autres, bien entendu, qui ont des maris infidèles. Comment douter d’un mari qui avait fait des pieds et des mains pour m’épouser, qui m’avait écrit des centaines de lettres d’amour, qui m’appelait sa « compagne d’éternité » ou bien sa « petite rose » d’après Saint-Exupéry, celle qu’on apprivoise et dont on se sent responsable toute la vie ? Non, durant 20 ans, le doute ne m’avait jamais effleurée.

 

 

Je m’étais habituée à la mauvaise humeur de l’homme de ma vie, la mettant généreusement sur le compte d’une profession épuisante. Depuis un certain temps, tout le monde savait, même mon aînée, sauf moi. Quoique je fasse, c’était de travers au gré de mon époux, je m’en rendais bien compte, et puis j’ai dû me rendre à l’évidence : j’étais de trop. Le déchirement ne peut guère s’exprimer en paroles. Comme un animal blessé, on voudrait se joindre aux cerfs qui brament au fond des bois. On se sent amputé d’un de ses membres, amputé de soi-même, inutile, encombrant. La vie n’a plus de l’univers bascule, le suicide devient une obsession. Confucius disait déjà avant le Christ que la haine tue, tandis que I’amour donne la vie.

 

Peu de temps avant cette épreuve, j’avais pris conscience du fait que mon christianisme était purement intellectuel. Je ressentais le besoin d’une communion avec le Christ vivant, je souhaitais qu’il devienne le pivot de ma vie de tous les jours. Aussi, quand la tentation m’est venue de couper le fil de ma vie, j’ai été retenue, sachant que j’appartenais à un Autre et non plus à moi-même. Bien sûr, les enfants obligent à survivre, mais l’aînée, en rébellion contre son père, venait de quitter la maison à 18 ans pour faire sa vie avec le garçon qu’elle aime, augmentant d’un cran mon indicible solitude. La plus jeune, âgée de 13 ans, étrangère au drame, ne faisait pas le poids pour m’arracher au désespoir.

 

Certains ne voyaient d’issue que dans le divorce, mais je ne répéterai jamais assez que le divorce n’est qu’un pis-aller, rarement une solution ; et comment effacer d’un trait 20 ans de vie commune ? J’ai cependant connu les affres d’une instance de divorce ; or, pour moi, le divorce était aussi atroce que de me pendre, car j’aimais mon mari, et cela tout le monde l’oubliait.

 

Un soir, il m’avait téléphoné : « Je ne rentre pas ce soir, je ne peux plus te voir ! ». Tout à coup, j’ai su ce qu’était l’enfer : être détestée par celui qu’on aime le plus au monde… (l’avocat avait réclamé une pension alimentaire que mon mari jugeait exorbitante). Pour lui, après 20 ans de mariage, je ne comptais plus.

 

Cet enfer m’a fait comprendre ce que signifie dans l’Ancien Testament : « Ne détourne pas ta face, ô Eternel ! », et que le bonheur c’est de se sentir enveloppé de la tendresse du regard de Dieu sur nous.

 

« II ne me regarde plus » devint pour moi une expression combien lourde de sens ! Dans les Psaumes, j’ai découvert tout l’éventail de la détresse humaine et je me suis réjouie d’entendre, l’an passé, de la bouche d’un Chinois, que les chrétiens persécutés, réclament avant tout les textes des Psaumes.

 

Ensuite, mon époux est parti en vacances avec « l’autre », me prévenant qu’il ne savait pas quand il reviendrait, et qu’il fallait m’occuper du divorce. Il précisa qu’il avait enfin trouvé un « vis-à-vis ».

 

Je me vois encore, pour la première fois, au Tribunal, affalée sur un banc, seule. Mon mari refusait d’avouer ; il exigeait des conditions qui me dépouillaient de tout bien propre : « C’est ma maison, c’est mon argent », disait-il. Avec sa maîtresse, ils évaluaient le montant de la pension alimentaire, qui me semblait le prix du cadavre, du mien.

 

Il ne me restait que Dieu, et il me semblait bien loin. Les amis ressemblaient trop aux consolateurs de Job, et les femmes mariées imaginaient quelque faille chez moi, pour mieux asseoir leur propre sécurité. De toutes façons, 1000 amis ne pouvaient remplacer l’ami de tous les jours depuis 20 ans.

 

Comme je n’étais plus que l’ombre de moi-même, mon mari eut un sursaut de conscience en me voyant dépérir et me proposa soudain de laisser tomber le divorce : « Je ne peux pas être heureux si tu es malheureuse », dit-il. Mais il posa ses conditions. Il viendrait à la maison en semaine, sauf le week-end et les vacances, qui seraient consacrés à « l’autre ».

 

Sur le moment, j’étais comme un aveugle qui recouvre la vue d’un seul oeil et, dans sa joie, oublie ses peines.

 

Il était urgent de refaire ma santé. Un pasteur m’envoya chez un ami qui devint mon conseiller spirituel et sa femme, Christa, une de ces rares et vraies amies qui prient fidèlement pour vous. Peu à peu, je me rendis compte que mon mari avait été mon idole, alors qu’au départ la recherche de Dieu avait été notre but commun. En toute bonne conscience, le dévouement au mari et à la famille était devenu ma religion. Mais n’était-il pas naturel d’être « tout » pour mon conjoint ?

 

Comme je comprenais le Christ présent ! Je l’entendais me dire : « Ce que j’ai contre toi, c’est que tu as abandonné ton premier amour » (Apocalypse 2.4).

 

Maintenant, je savais ce que cela signifiait d’être mise au second rang d’être trahie, humiliée, bafouée ! Il me devenait si proche tout à coup, ce Jésus qui m’avait conduite au désert pour que je sois seule avec lui.

 

J’ai envié les carmélites qui semblent aller à Dieu par le chemin le plus court et se consumer pour lui seul… Oui, j’aurais voulu me sauver au fin fond d’un couvent, afin de ne plus rien voir, de ne plus rien entendre. Mais il y avait ma fille de 13 ans qui, peu à peu, avait été mise au courant de ma situation par sa soeur aînée. Pour elle aussi, le coup était dur, son père avait toujours été son héros. Pour me faire comprendre qu’elle savait, elle me dit la phrase la plus déchirante qu’un enfant puisse dire à sa mère :

 

— Maman, papa ne te veut plus !

 

Ne sachant que faire pour me consoler, elle m’offrit un carton où elle avait noté de sa plus belle écriture : « Le coeur n’a pas de rides. »

 

Craignant de me laisser seule, elle a voulu m’accompagner à la maison de repos. A la gare, nous nous tenions par la main comme deux orphelines et, sans que nous échangions un mot, les rails métalliques exerçaient sur nous la même attraction, menaçant de nous aspirer.

 

Plus tard, elle a voulu connaître ce Dieu qui me tenait debout et a trouvé en lui un Père. Seule la Parole de Dieu nourrit et relève ceux qui ont le coeur brisé.

 

Mais se consacrer à Dieu ne rend pas la vie facile pour autant. La présence de l’autre femme nous accablait. Chaque fin de semaine, mon mari préparait son sac de voyage pour la rejoindre. Au début, notre benjamine mettait l’édredon pardessus sa tête pour ne pas entendre le bruit de l’auto qui s’en allait, puis elle me disait : « Maman, comment peut-il te faire ça, à toi ! »

 

Durant ses vacances, nous étions sans signe de vie de lui et quand nous partions en vacances nousmêmes, il rejoignait aussi cette femme et ne nous envoyait aucune lettre. Je ne savais pas que ce serait si dur. Je ne savais pas qu’il construirait une maison pour elle dans le village voisin. Je ne savais pas qu’un jour, iI cueillerait nos marguerites jaunes, à 4 h du matin, pour les lui apporter. L’oreiller absorbait bien des larmes silencieuses. « Jusques à quand, Seigneur ? »

 

Les cauchemars se succédaient durant les nuits sans fin où l’âme et le corps sont transis, où l’oreille guette le bruit d’une clé, d’un moteur de voiture, d’une respiration : j’étais dans un tunnel et j’appelais désespérément mon mari ; l’écho seul répondait. Ou bien cet autre rêve revenait : toutes les portes se fermaient, toutes les lumières s’éteignaient et je restais seule dans le noir.

 

Un dimanche soir, je priais, excédée par ce va-et-vient de mon époux entre les deux maisons, et voici qu’à la radio ce chant s’égrena dans le silence

(Psaume 73.25-26) : « Quel autre ai-je au ciel que toi ? Et sur la terre, je ne prends plaisir qu’en toi. Dieu sera toujours le rocher de mon coeur et mon partage. »

 

C’était en allemand, ce qui, pour moi, donnait encore plus de force à ce beau texte : « Wenn ich nur Dich habe, so frage ich nichts nach Himmel und Erde, Du bist meines Herzens Trost und mein Teil. »

 

Désormais, je le réciterai chaque fois que mon coeur défaillira.

 

PrierLe jour de Noël fut le plus dur. Je me rappelle un Noël où je n’avais que ma haine à offrir au Christ. « Aimez vos ennemis… » Oui, Seigneur, n’importe quelle race, n’importe quel pays, mais cette femme qui n’avait pas hésité à coucher dans notre lit conjugal ? Humainement nous ne le pouvons. « Seigneur, je ne te comprends pas, mais par amour pour toi, je veux aussi prier pour ‘’elle’’. Donne-moi surtout la force de prier chaque jour pour mon mari, tant que je vivrai. » A Noël, je prie pour toutes les femmes abandonnées, pour les enfants des foyers désunis afin que Dieu lui-même vienne les consoler. En brisant mon coeur, Dieu l’a fait éclater aux dimensions du monde ; je me sens proche de tous ceux qui souffrent : des malades, des infirmes, des cancéreux et des mal-aimés, des endeuillés comme des persécutés.

 

Dieu est le même aujourd’hui qu’hier. Il a toujours conduit ses bien-aimés à travers le désert de l’épreuve, depuis Moïse ou Joseph vendu par ses frères, depuis Ruth et Noémi, jusqu’à Marie et jusqu’à vous et moi, afin de faire éclater ensuite ses bénédictions. « Si Dieu nous enlève quelque chose, c’est pour nous enrichir et non pas pour nous dépouiller », dit Teilhard de Chardin.

 

Dans un moment de cafard, ma benjamine m’a recopié ce texte d‘Esaïe 54, qui est bien la plus belle des lettres d’amour :

« Car ton Créateur est ton époux : II se nomme Dieu de toute la terre ; car l’Eternel te rappelle comme une femme délaissée et au coeur attristé, comme une épouse de la jeunesse qui a été répudiée, dit ton Dieu. Quand les montagnes s’éloigneraient, quand les collines chancelleraient, mon amour ne s’éloignera point de toi, dit l’Eternel, qui a compassion de toi. » Le Christ m’a appris à regarder en haut et en avant, à ne plus me replier sur mon passé. Sa Parole est la Vérité ; désormais, c’est en lui que je mets toute ma confiance.

 

« Tu nous a faits pour toi, Seigneur, et notre coeur est inquiet jusqu’à ce qu’il repose en toi. » (Saint- Augustin).

 

En Lui, j’ai trouvé mon Vis-à-vis !

 

G.B.