L’accompagnement des personnes souffrant d’Alzheimer
Interview du Dr Céline ATHIA
CÉLINE ATHIA MARIÉE DEPUIS 1995, 2 ENFANTS ETUDES MÉDICALES À STRASBOURG. INTERNE EN MÉDECINE À MULHOUSE, À COLMAR ET ENFIN À STRASBOURG EN SERVICE DE GÉRIATRIE PUIS EN LONG SÉJOUR PAVILLON SCHUTZENBERGER REMPLACEMENTS EN ALSACE ET THÈSE DE DOCTORAT MÉDECIN GÉNÉRALISTE INSTALLÉE À BARR DEPUIS 1998.
Tu es médecin généraliste, mais ta thèse de Doctorat a porté sur le sujet « Vécu du conjoint d’un malade atteint de démence sénile – Résultats d’une enquête auprès de 14 couples ». Peux-tu nous dire pourquoi tu as choisi ce sujet ?
Il y a deux raisons. D’une part le fait d’avoir été personnellement interpelée par le vécu de ma grand-mère qui a soigné son mari dément à domicile, avant qu’il ne soit placé en institution et ne décède. Et d’autre part j’ai fini mon internat en gériatrie, au contact d’une équipe de médecins tout à fait remarquable et qui m’a encouragée à traiter le thème de l’aidant, plutôt innovant à l’époque.
Peux-tu nous dire quelques mots sur la maladie d’Alzheimer et surtout nous parler des enjeux et des difficultés de l’accompagnement ?
La maladie d’Alzheimer fait partie du groupe de ce que l’on appelle les démences séniles, c’est-à-dire une maladie qui touche les facultés intellectuelles d’une personne âgée. Elle est définie comme une maladie qui « s’empare de l’esprit du patient et brise le coeur de sa famille. »1 Ou encore : « Démence d’Alzheimer avant la mort ; pire que la mort. »2
Elle entraîne deux sortes de symptômes et c’est un point capital pour la compréhension de la maladie :
• les premiers sont de l’ordre du handicap. La personne ne sait plus faire et ne fait plus des actes tels que parler, lire, écrire, s’habiller, manger, marcher, penser, apprendre, enregistrer, etc.
• les deuxièmes touchent la personnalité du malade et le rendent tout à fait méconnaissable avec souvent des troubles du comportement difficiles à supporter pour l’entourage : éveil et vie nocturne, cris, agitation ou apathie, opposition pour l’alimentation, les soins d’hygiène, incontinence, fugues, mise en danger, grossièreté, désinhibition, …
Comment se passe en général les choses lorsque les signes de la maladie s’installent pour le malade, sa famille son entourage ?
Souvent la période est longue entre le début de la maladie et le diagnostic. L’entourage remarque quelque chose, le normalise, puis suspecte et recherche des explications qui le mèneront au diagnostic. Puis il accepte ou non le rôle de l’aidant, essaie de survivre et rumine, … vit la mort du proche comme une délivrance. Pour le patient le fait de remarquer ses incapacités le plonge dans la dépression bien souvent.
Que se passe-t-il après le diagnostic ?
Selon que le malade vit seul, en couple, proche de sa famille, il va falloir réfléchir à qui va jouer le rôle de l’aidant. Il faut répondre aux questions : « Qui ? Où ? Comment ? Avec qui ? » Bien souvent le fait de placer le malade en maison de retraite ou en long séjour arrive tout à la fin du parcours et rarement au début.
Pourquoi les soins sont-ils si difficiles ?
La maladie nécessite des adaptations immédiates auxquelles l’entourage n’est pas prêt par méconnaissance de la maladie et par manque d’acceptation du diagnostic au départ.
La double composante de la maladie va projeter l’entourage plus ou moins rapidement dans des soins qui répondent aux besoins d’une personne handicapée qui ressemble à leur proche, mais qui est étrangère, voire désagréable et pour qui ils sont étrangers. « Il est difficile de soigner la coquille de quelqu’un qu’ils ne connaissent plus et l’aidé polarisera, à la fois, l’amour né du passé et la haine issue du présent. »3
Ces soins et la surveillance nécessitent une présence de 24 h sur 24 – c’est le travail d’au moins 4 personnes à 35 h/semaine ! – et cela 365 jours sur 365. Le proche devient le « héros solitaire de l’aide familiale »4 ; « il est tout à la fois quand les autres sont absents. »5 Malheureusement quand l’aidant n’est pas aidé, il s’épuise vite et se met lui-même en danger moral et physique tant la tâche est longue et épuisante. Avec la progression de la maladie, l’aidant va devoir s’organiser, chercher de l’aide sans forcément trouver une vraie réponse à ses besoins ou à ses désirs. Il devra souvent se contenter d’une situation de pis-aller, parce que les aides sont ponctuelles, parfois trop onéreuses et quasi jamais nocturnes. A côté de cela, il continue d’assumer sa personne et le foyer.
Que se passe-t-il quand le maintien à domicile n’est plus possible ?
Eh bien, c’est un réel problème. Il faut souligner que « L’abandon est mythique…et l’institutionnalisation est plus souvent le dernier geste que le premier. »6 Tous commencent par l’accompagnement à la maison et ce n’est vraiment que quand il n’y a pas ou plus le choix que l’on place le malade.
Le placement de la personne en institution est souvent la réponse quand les moyens financiers le permettent et qu’une place est trouvée dans un établissement qui convienne. Dans le cadre particulier d’un couple, rares sont ceux qui peuvent payer la partie forfaitaire (aux alentours de 1000 €) qui leur restera de toute façon à charge, malgré des aides financières comme l’APA7. En cas d’insuffisance de revenus il faut savoir que ce sont les enfants qui, au prorata de leurs ressources, seront sollicités. Certains ne veulent pas imposer à leurs enfants de charges financières. D’où parfois de grandes souffrances générées par ce non choix.
Et après ?
L’entourage, après s’être beaucoup investi, est soulagé en partie par le fait que ses soins n’ont plus besoins d’être permanents.
Mais alors que l’on pense que l’institutionnalisation du malade a tout réglé, ce n’est pas toujours le cas et l’on sous-estime la souffrance qui persiste. Certains aidants s’imposent des visites quotidiennes d’autant que l’établissement est près géographiquement. Leur confrontation aux soins donnés par les soignants n’est pas toujours positive, d’où parfois une culpabilité. L’aidant est projeté dans une solitude d’autant plus importante que ses soins étaient nombreux et fréquents. Il était en contact avec les soignants à domicile qui eux ne viendront plus et sera dans un isolement social beaucoup plus important que les personnes en deuil. Il a besoin d’être valorisé, encouragé et accueilli par la nouvelle équipe des soignants de l’institution.
Qu’aimerais-tu dire à une famille dans cette situation aujourd’hui ? Quels conseils tires-tu de ton expérience ?
Il est important d’établir le diagnostic le plus tôt possible car il existe actuellement des traitements qui, dans les formes légères à modérées de démence d’Alzheimer, peuvent ralentir l’évolution de la maladie. Ces médicaments doivent être instaurés par un gériatre ou un neurologue ou en milieu hospitalier.
Il faut se faire aider et, pour cela, rechercher l’aide. Faire les démarches nécessaires administratives, qu’il s’agisse de l’APA, des auxiliaires de vie, des soins infirmiers, des inscriptions dans les maisons de retraite ou longs séjours. Et cela, même si tout n’est pas indispensable, pour gagner du temps quand ce sera le moment d’en avoir besoin. Penser aux mesures de protection judiciaires des biens du malade.
Il faut en parler en famille pour pointer les besoins et le rôle de chacun autant que faire se peut. Il est important que chacun puisse s’exprimer sur la façon dont il voit les choses car tous sont impliqués qu’ils le veuillent ou non.
Il faut se ménager et permettre également à l’aidant de le faire régulièrement et pratiquement car la route est longue et pénible et les oasis trop rares.
« Soigner c’est aider à vivre, redonner de la vie ou permettre aux personnes malades ou âgées de vivre leur mort au lieu de mourir leur vie ; et cela se fait en donnant de sa propre vie. »8
Propos recueillis par Marcel Reutenauer
NOTES
1. GHILAIN A., in « Démences du sujet âgé et environnement. Actes du 2ème colloque de la Fondation Nationale de Gérontologie », Paris : Maloine, 1985, p. 87-88
2. LAMMALLE-BISSON C., in « Démences du sujet âgé et environnement. Actes du 2ème colloque de la Fondation Nationale de Gérontologie », Paris : Maloine, 1985, p. 72-77
3. STEVENSON J.P. « Family stress related to home care of Alzheimer’s disease patients and implication for support », Journal of Neuroscience Nursing, 1990, 22/3, p. 179-188
4. HORL J. et ROSENMAYR L., « L’aide aux personnes âgées comme tâche commune de la famille et des services sociaux », Gérontologie et Société, 1982, 21, p. 75-91
5. Maletta G.J. et Hepburn K., « Helping families cope with Alheimer’s : the physician’s role », Geriatrics, 1986, 41/11, p. 81-90
6. HAYTER J., « Helping families of patients with Alzheimer Disease », Journal Gerontological Nursing, 1982, 8/2, p. 81-86
7. Allocation personnalisée d’autonomie
8. COLLIÈRE M-F., « Penser et mettre en oeuvre aujourd’hui les soins à domicile de demain », Médecine et Hygiène, 1987, 45, p. 3296-3301