Accompagner la personne âgée
Par David Dordolo
Données démographiques
En France, en un siècle, l’espérance moyenne de vie a pratiquement doublé, passant de 40 à 78 ans. Elle continue à progresser de 3 mois par an. Cela est dû, en grande partie, aux progrès de la médecine. Actuellement, les personnes âgées de plus de 75 ans représentent 8,2 % de la population française. On estime que les personnes de plus de 85 ans seront plus de 5 millions vers 2050.
Conséquences
Le nombre grandissant de personnes âgées dans la société est une réalité lourde de conséquences économiques et sociales, qui nous concerne tous : société, familles, individus, églises.
Sans nous attarder sur les conséquences économiques, abondamment développées dans les médias, rappelons simplement :
– Le financement des pensions de retraites.
– L’accroissement des dépenses d’Assurance Maladie.
– Le développement des services de maintien à domicile et des places en établissement pour personnes âgées.
Sur le plan social, cela conduit à reconsidérer la place de la personne âgée dans la société et en particulier dans la famille, qui compte désormais quatre générations de personnes : l’aïeul n’est plus un grand-parent mais un arrière grand-parent, et ses enfants ne sont plus des actifs mais des retraités ayant enfants et petits-enfants. C’est donc un nouveau type de lien familial qui est en train de se mettre en place.
Une incitation biblique
Quelques versets de la Bible peuvent nous encourager à accompagner la personne âgée :
« Tu honoreras la personne du vieillard. » Lv 19.32.
« Jette ton pain sur la face des eaux, car avec le temps tu le retrouveras. » Ec 11.1.
« Tout ce que vous voulez que les autres fassent pour vous, faites-le de même pour eux. » Mt 7.12.
On peut comprendre que vouloir accompagner la personne âgée aujourd’hui, c’est préparer notre propre vieillesse.
Comprendre pour accompagner
Notre compréhension des besoins et des attentes de la personne âgée correspond-elle effectivement à ses besoins et à ses attentes ? On pourrait être surpris du décalage.
Accompagner la personne âgée, c’est donc d’abord essayer de comprendre ce qu’elle vit, ce qu’elle ressent. Cela est d’autant plus vrai que la société et les mentalités évoluent rapidement.
Les étapes du vieillissement
Vieillir, c’est parcourir sa vie, de la naissance à la mort. Voici quelques observations permettant de mieux comprendre l’enchaînement des différentes étapes du vieillissement :
1 – La vie active (avant la retraite)
Dès le plus jeune âge, on cherche à être libre et indépendant :
– on développe ses capacités,
– nos activités nous confèrent un sentiment de valeur propre,
– on est tourné vers l’avenir, – on ne se sent pas concerné par la vieillesse.
2 – La retraite active (de 60 ans à 75/80 ans)
Jusqu’en 1981, on prenait sa retraite vers 65 ans. Celle-ci marquait alors une nécessaire fin d’activité professionnelle, après une vie de dur labeur. C’était le début de la vieillesse : on vivait encore quelques années, avec des ressources financières limitées et des forces physiques qui diminuaient. Lorsqu’un problème de santé survenait, la dépendance apparaissait, suivie assez rapidement du décès.
On prend maintenant la retraite à 60 ans, et cette phase de la vie est vécue de manière radicalement différente. Elle correspond à une période de vie agréable, où l’on peut même s’épanouir. On appelle volontiers les « retraités » des « seniors » qui peuvent jouir d’une certaine aisance financière. Avec une bonne santé, cette période est synonyme d’activités choisies, de loisirs, de liberté et d’indépendance.
3 – Le début de la perte d’autonomie (de 75/80 ans à 85/90 ans)
L’apparition des premiers signes de perte d’autonomie varie beaucoup d’une personne à une autre : recours aux livraisons à domicile, à une aide ménagère, sédentarisation, enfants qui insistent pour venir donner un coup de main, soins médicaux plus fréquents. On n’a plus le même sentiment de liberté et d’indépendance. A cela s’ajoute le transfert économique vers les enfants et petits-enfants, motivé par le désir de leur « laisser quelque chose ». Par le décès d’amis et de voisins, et de la difficulté à se déplacer, on a moins de relations.
4- La dépendance (à partir de 85/90 ans)
Les problèmes de santé et les douleurs rendent pénibles les actes élémentaires de la vie quotidienne à un point tel que l’on devient dépendant d’une tierce personne pour les accomplir. Les altérations de l’audition et de la vision ont pour effet d’isoler la personne. Le service d’aide à domicile devient progressivement le seul lien avec l’extérieur. On se cramponne alors à son domicile comme à un dernier rempart, protecteur de notre vie, de notre histoire, de ce qui est en train de devenir notre passé. C’est le « quatrième âge ».
Et puis, une nuit, on fait une chute, sans pouvoir se relever sans aide ; ou alors, c’est un malaise inexpliqué qui entraîne une hospitalisation ; on oublie peut-être une casserole sur 7 la gazinière allumée … Peu de chose en somme, pourtant cela semble rendre anxieux les enfants. Vient alors ce diagnostic, qui tombe comme une sentence : impossible de rester à domicile, il faut entrer en établissement.
5 – L’entrée en établissement (vers 90 ans)
Elle peut être motivée par la solitude ou par un problème de santé qui oblige à un suivi médical constant. Plus généralement, elle est la conséquence d’une altération de l’autonomie, physique et/ou psychique. La vie quotidienne dans le cadre habituel devient difficile, voire dangereuse (escaliers inadaptés, baignoire à enjamber …). Malheureusement, cette décision est souvent repoussée au-delà de ce qui est raisonnable parce qu’elle est un constat de la perte de capacité, souvent vécue comme un échec pour la personne. Elle traduit aussi la crainte de la vie en collectivité et de la perte d’indépendance (dans le choix des horaires, de l’alimentation).
Ainsi, dans la plupart des cas, la décision d’entrer en établissement est prise dans l’urgence, donc difficile à mettre en oeuvre et à vivre par la personne âgée.
Par contre, lorsque celle-ci anticipe les difficultés et prend sa décision sereinement, seule ou avec sa famille, sans la pression des évènements, cela conduit à une adaptation réussie : la personne possède alors suffisamment de ressources physiques et morales pour être actrice de ce changement et développer un réel projet de vie qui laisse augurer de belles années en établissement. Certes, l’abandon du domicile est toujours un « déracinement », mais le choix judicieux de l’établissement d’accueil et les visites régulières d’une famille attentionnée et entourée par des professionnels contribuent grandement à faciliter le passage de cette étape délicate.
Sur ces réalités viennent se greffer un certain nombre de craintes ou d’appréhensions, des ressentis de la personne âgée qu’il est important de connaître.
Que ressent la personne âgée ?
Le sentiment d’être devenu inutile
Passer de l’état de consommateur courtisé et productif à celui de vieillard ridé et délaissé, n’est pas aisé à vivre, surtout pour une génération qui a été habituée à travailler dur, à être valorisée par ce qu’elle réalisait.
La peur de la dépendance, en particulier de la dépendance psychique
Elle est renforcée par la communication faite sur la maladie d’Alzheimer et par l’évolution du nombre de personnes concernées (20% des plus de 80 ans). L’idée de pouvoir « perdre la tête » est très difficile à supporter pour une personne âgée. En établissement, cette crainte est renforcée par le « miroir des autres » : l’observation de son entourage renvoie une image de ce qu’on va devenir.
Les relations complexes avec ses enfants
Inversion
Que ce soit à domicile ou en établissement, le vieillissement modifie la relation parent-enfants au point que celle-ci peut aller jusqu’à s’inverser, les enfants devenant insensiblement parents de leur parent.
Culpabilité
Durant cette dernière génération, le mode de vie s’est profondément modifié. Assumer un parent dépendant devient très difficile pour une famille dont les deux conjoints travaillent à l’extérieur. Mais les mentalités ont évolué moins rapidement, et les enfants ont fréquemment le sentiment de ne pas en faire assez pour leur parent. Ce sentiment de culpabilité est amplifié lorsqu’une entrée dans un établissement s’avère nécessaire ; il est même exacerbé lorsque cette entrée est vécue à contre-coeur par le parent.
La tentation est forte, pour la personne âgée, de jouer sur cette corde sensible. Parfois, cela peut aller jusqu’à la manipulation et la tyran- nie vis-à-vis des enfants.
Parfois, ce sont les enfants qui culpabilisent leur parent, leur reprochant à demi-mot de les empêcher de vivre et de s’occuper de leurs propres enfants, voire, de les mettre en difficulté financière ; cela peut aller jusqu’à la maltraitance. Celle-ci n’est pas forcément une violence physique ; elle peut se traduire par du chantage, des pressions psychologiques, de l’infantilisation, de la négligence avec intention de nuire.
Ne pas être à charge
En général, la personne âgée désire ne pas être à charge de ses enfants. Au contraire, elle cherche à transmettre à ses enfants quelque chose de ses biens, fussent-ils modestes.
Le fardeau du devenir de leur famille
Même si la personne âgée ne l’exprime pas, on constate combien elle est sensible au devenir de ses enfants et petits-enfants, combien elle prend à coeur leurs difficultés.
La crainte de la mort
Les personnes âgées parlent beaucoup plus facilement de la mort que nous, avec plus de facilité. Elles semblent résignées face à la mort et se disent prêtes ; mais qu’en est-il réellement ?
Comment accompagner la personne âgée ?
Pour les différentes raisons exprimées précédemment, la personne âgée perd le sentiment d’exister. Pourtant ses besoins demeurent et c’est la non satisfaction de ses besoins profonds qui la conduit à se laisser glisser, à attendre la mort. Accompagner la personne âgée, c’est lui permettre d’être :
• considérée, respectée
Elle doit sentir qu’elle a de la valeur pour ceux qui l’entourent ; que même si son apparence extérieure et ses capacités se dégradent, on attache de l’importance à elle. On va donc l’appeler par son nom, lui parler directement en la regardant dans les yeux (ne pas parler d’elle à la troisième personne en sa présence), lui manifester de la politesse, demander son avis.
• écoutée
La personne âgée voit ses facultés diminuer, son fonctionnement se ralentir, son élocution devenir plus lente. Dans ce siècle où l’on court après le temps, il est important de lui donner du temps pour s’exprimer et d’avoir une écoute active et attentive.
• aimée
Parce que sans amour, la vie perd toute sa saveur. Mais être aimé de manière désintéressée, quand on n’a plus rien à apporter, procure une joie profonde. L’amour s’exprime par le comportement, par une main posée sur sa main, se lit dans les yeux.
• utile
Il est tellement plus facile et plus rapide de faire à la place de la personne âgée, mais c’est tellement plus démotivant pour la personne. Pourtant, même à 90 ans, on est toujours heureux de pouvoir aider à éplucher les légumes, mettre le couvert, participer à la mesure de ses moyens. Quand il est nécessaire d’aider une personne, on contribue à entretenir son autonomie si on le fait avec elle, et non pas à sa place.
• visitée par sa famille et ses amis
La solitude est vite pesante et le temps paraît long quand on est seul. Les visites de ceux que l’on aime font donc plaisir, mais elles créent une fatigue croissante avec l’âge. Quatre visites d’un quart d’heure valent mieux qu’une visite d’une heure. Saisir les occasions de contribuer à la paix. Ne pas fuir les sujets difficiles tels que la mort, les obsèques, un conflit, etc. lorsqu’ils sont évoqués par la personne âgée.
Conclusion
L’accompagnement de la personne âgée n’est pas un moyen de se donner bonne conscience, d’imposer ses idées ou de combattre l’injustice. C’est d’abord une rencontre, une acceptation de l’autre, respectueuse de sa vie, de son histoire, de son apparence ; c’est un moment où l’on peut se donner sans attendre en retour ; c’est aussi un moment où l’on peut apprendre, sur la vie, sur nous-mêmes, apprendre à laisser la place, et…peut-être se préparer à vieillir.