L’Engagement du Cap ne m’a pas déçu
JEAN-PAUL REMPP PASTEUR DES CAEF ET
COORDINATEUR DU GROUPE « LAUSANNE FRANCE »1
Je ne suis pas sorti indemne du troisième Congrès de Lausanne pour l’Évangélisation du Monde, dit Lausanne III. À Cape Town 2010, j’ai eu le sentiment de participer à un événement historique de l’évangélisme mondial. J’y ai discerné une maturité évangélique assez exceptionnelle. De nombreux témoignages convergents ont déjà été apportés ; je ne peux que m’y associer.
J’aimerais pour ma part plus spécialement insister sur deux points qui m’apparaissent capitaux :
• premièrement, l’importance qui a été accordée à l’Histoire de l’Église, lors de ce congrès. Les évangéliques ne sauraient en effet prétendre être le produit d’une « génération spontanée » (qui aurait tout découvert par elle-même), mais sont en réalité au bénéfice d’un héritage qui s’est enrichi au cours des siècles.
• deuxièmement, malgré l’absence des personnalités clefs à l’origine du Mouvement de Lausanne, Billy GRAHAM et John STOTT, le congrès du Cap a démontré que « l’esprit de Lausanne » se porte bien et se perpétue. Cela en grande partie grâce aux documents fondateurs de Lausanne, dont l’importance ne doit pas être sous-estimée.
Quelques mots donc de présentation de l’Engagement du Cap, troisième texte référence de Lausanne après la Déclaration de Lausanne de 1974 et le Manifeste de Manille de 19892. Ce faisant, nous découvrirons les thématiques développées dans le cadre de Lausanne III dont le fil rouge était 2 Co 5.19 : « Dieu était en Christ, réconciliant le monde avec lui-même ». Rédigé par une commission de théologiens reconnus des cinq continents, la cheville ouvrière en a été Christopher WRIGHT qui est considéré comme l’héritier spirituel de John Stott. Le document distille une vaste quantité d’informations en provenance de l’Église globale, et réaffirme par ce biais l’Évangile biblique dans notre génération en exprimant, d’une façon renouvelée et adaptée à notre époque, ses vérités essentielles. L’Engagement du Cap comporte deux volets : une déclaration de foi diffusée lors du Congrès et un appel à l’action qui a nécessité trois mois supplémentaires de réflexion.
« Au Dieu que nous aimons »
La première partie, intitulée : « Au Dieu que nous aimons », réaffirme et approfondit les fondements de la foi au travers de dix sections :
1) Nous aimons parce que Dieu nous a aimés le premier,
2) Nous aimons le Dieu vivant,
3) Nous aimons Dieu le Père,
4) Nous aimons Dieu le Fils,
5) Nous aimons Dieu l’Esprit Saint,
6) Nous aimons la parole de Dieu,
7) Nous aimons le monde de Dieu,
8) Nous aimons l’Évangile de Dieu,
9) Nous aimons le peuple de Dieu,
10) Nous aimons la mission de Dieu.
Ce qui frappe dans la déclaration, le lecteur l’aura constaté, c’est l’utilisation d’un langage d’amour, ce qui en fait une déclaration très irénique, toute empreinte de grâce, tout en demeurant très « évangélique ». Significatif à cet égard est le rappel, dans le Préambule, des trois réalités immuables, celleslà mêmes que Billy GRAHAM mentionne dans sa lettre aux participants du Cap, à savoir :
• Les êtres humains sont perdus,
• L’Évangile est une bonne nouvelle,
• La mission de l’Église continue.
La fidélité aux « normes » évangéliques et à « l’esprit de Lausanne » est incontestable. Typiques de cette fidélité, voici trois exemples tirés du corps du document :
• concernant la juste colère de Dieu et sa condamnation du péché :
[…] Les êtres humains se sont rebellés contre Dieu, ont rejeté l’autorité de Dieu et ont désobéi à la parole de Dieu. Dans cet état de péché, nous sommes aliénés de Dieu, ainsi que les uns des autres et de l’ordre créé. Le péché mérite la condamnation de Dieu… (Section 8, p. 14-15)
Lors de son retour, Jésus exécutera le jugement de Dieu… (Section 4, p. 9)
• concernant l’unicité du Christ :
… aimer le Seigneur Jésus-Christ signifie que nous affirmons avec assurance que lui seul est Sauveur, Seigneur et Dieu… (Section 4, p. 8)
C’est dans le Christ seul que Dieu s’est pleinement et définitivement révélé, et c’est par l’intermédiaire du Christ, et de lui seul, que Dieu a accompli le salut du monde… Jusqu’à ce jour [le jour de son retour], nous nous unissons à Pierre et Jean et proclamons : « C’est en lui seul que se trouve le salut. Dans le monde entier, Dieu n’a jamais donné le nom d’aucun autre homme par lequel nous devions être sauvés. » (Section 4, p. 9)
• concernant l’oeuvre d’expiation substitutive du Christ 3 :
[…] Combien l’amour du Père est incommensurable, lui qui n’a pas épargné son Fils unique, mais l’a livré pour nous tous. Son amour de Père dans le don du Fils s’est reflété dans l’amour altruiste du Fils. Il y avait dans l’oeuvre d’expiation que le Père et le Fils ont accomplie à la croix, avec l’Esprit éternel, une complète harmonie de volontés… Le Christ s’est offert lui-même en sacrifice pour nous sauver de nos péchés… il a ainsi accompli la volonté de Dieu, notre Père… (Section 3, p. 7-8)
Dans sa mort sur la croix, Jésus a pris sur lui, à notre place, notre péché, il en a supporté pleinement le prix, le châtiment et la honte, il a vaincu la mort et les puissances du mal, et il a accompli la réconciliation et la rédemption de toute la création. (Section 4, p. 8-9)
De telles prises de position évangéliques n’existeraient pas sans une adhésion explicite préalable au Sola Scriptura auquel l’Engagement du Cap adhère fermement en même temps qu’à l’inerrance biblique.
« Au monde que nous servons »
La seconde partie, intitulée : « Au monde que nous servons : notre engagement d’action », synthétise les « remontées » du congrès à partir des groupes de table dont faisait partie chaque participant.
Rappelons que depuis Lausanne, mais aussi Manille (Lausanne II), le monde a énormément changé et les évolutions politiques, sociales, économiques, scientifiques et religieuses ont été significatives.
Voilà ce qu’expliquait, avant Cape Town 2010, Douglas BIRDSALL, l’actuel Président de Lausanne : « Nous sommes confrontés à des problèmes d’ordre technologique, bioéthique, terroriste et environnemental qu’on n’aurait pu imaginer, il y a vingt ans. Partout dans le monde, les chrétiens sont confrontés à des situations de plus en plus complexes et à une opposition grandissante. Les mutations de nos sociétés, les phénomènes de globalisation, l’évolution des modes de vie, des technologies, tout cela a des répercussions sur l’annonce de l’Évangile et sur sa réception. Les problématiques peuvent, dans certains cas, différer selon les pays, mais certaines touchent le monde entier, telles que les questions posées par les autres religions, les pandémies (VIH/Sida), la pauvreté, l’environnement, le besoin de formation des chrétiens, l’urbanisation et bien d’autres sujets encore. »
Ailleurs, il expliquait encore : « Les questions se posant à nous aujourd’hui… sont très différentes des questions discutées en 1974, lors du premier congrès de Lausanne… Prions pour que Lausanne III aide à unir l’Église tout à nouveau, et permette à de nouvelles idées d’éclore pour faire face au temps présent. »
Ce sont précisément les pistes préconisées pour répondre à ces nouveaux défis qui sont désormais largement consignées dans cet « appel à l’action » de l’Engagement du Cap. Celui- ci aborde en effet très concrètement les grandes problématiques auxquelles les évangéliques sont confrontés aujourd’hui. Pour vous en convaincre, je ne mentionnerai pas seulement les thèmes clefs du document qui reprennent les thèmes des cinq journées du Congrès, mais aussi les sous-thèmes :
• Témoigner de la vérité du Christ dans un monde pluraliste et globalisé :
1) La personne du Christ et la vérité,
2) Le défi du pluralisme à la vérité,
3) Le lieu de travail confronté à la vérité,
4) Vérité et médias globalisés,
5) La vérité et les arts dans la mission,
6) La vérité et les technologies émergentes,
7) La vérité et les sphères publiques.
• Établir la paix du Christ dans notre monde divisé et brisé :
1) La paix que le Christ a faite,
2) La paix du Christ dans les conflits ethniques,
3) La paix du Christ et les victimes de la pauvreté et de l’oppression,
4) La paix du Christ pour les personnes handicapées,
5) La paix du Christ pour sa création souffrante.
• Vivre l’amour du Christ auprès de ceux qui professent d’autres religions :
1) « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » inclut les personnes qui professent d’autres religions,
2) L’amour du Christ nous appelle à souffrir et parfois à mourir pour l’Évangile,
3) L’amour en action concrétise et rend hommage à l’Évangile de grâce,
4) L’amour respecte la diversité de la vie de disciple,
5) L’amour va vers les populations dispersées,
6) L’amour travaille pour la liberté religieuse de tous.
• Discerner la volonté du Christ pour l’évangélisation du monde :
1) Populations non atteintes et non prospectées,
2) Cultures orales,
3) Des responsables centrés sur le Christ,
4) Les grandes villes,
5) Les enfants,
6) La prière.
• Appeler l’Église du Christ à revenir à l’humilité, l’intégrité et la simplicité :
1) Marcher d’une manière distinctive, celle de la nouvelle humanité de Dieu,
2) Marcher dans l’amour, en rejetant l’idolâtrie d’une sexualité débridée,
3) Marcher dans l’humilité rejetant l’idolâtrie du pouvoir,
4) Marcher dans l’intégrité, en rejetant l’idolâtrie du succès.
• Être partenaire dans le corps du Christ pour l’unité dans la mission :
1) L’unité de l’Église,
2) Partenariat dans la mission mondiale ,
3 ) Hommes et femmes en partenariat,
4) Enseignement théologique et mission.
• Conclusion :
Faites des disciples, aimez-vous les uns les autres.
Une réflexion à poursuivre
La simple lecture du plan de l’« appel à l’action » permet de comprendre qu’il s’agit vraiment d’un texte d’une richesse exceptionnelle qui devrait stimuler d’une façon incomparable la réflexion et l’action des évangéliques dans le monde. Ce sera, à coup sûr, un autre texte marquant de l’évangélisme. Sa longueur, loin d’être un handicap, devrait au contraire permettre à chacun, quel que soit son ministère, d’y trouver matière à interpellation concernant ce qui l’intéresse prioritairement.
Il ne saurait être question d’explorer ici les nombreuses facettes des nouveaux développements contenus dans l’Engagement du Cap, et plus particulièrement dans sa seconde partie ; elles mériteraient à elles seules un autre article. Disons simplement que deux axes surtout nous semblent émerger : celui des exigences impliquées par un Évangile intégral dans le domaine de la création, mais aussi « dans toutes les sphères de la société et dans le domaine des idées » (Lindsay BROWN) ainsi que celui d’un discipulat conséquent, stimulant une meilleure cohérence entre le croire et le faire. Il est significatif à cet égard que le thème de l’humilité ait été très présent lors du Congrès. Ainsi Christopher WRIGHT, par exemple, a-t-il signalé à quel point l’intégrité peut renforcer le témoignage à la vérité ou le manque d’intégrité, au contraire, l’affaiblir.
À l’instar du Manifeste de Manille, le document du Cap ne repose pas les fondations de la Déclaration de Lausanne, mais les réaffirme en les approfondissant. L’Engagement du Cap est bien de la même « veine » spirituelle que les documents de 1974 et de 1989. Il correspond à cette parole claire, ferme et sage dont le monde évangélique a besoin aujourd’hui. Non, je n’ai pas été déçu !
J-P.R.
NOTES
1. Celui-ci constitue désormais l’une des commissions du Conseil National des Évangéliques de France (CNEF), lieu institutionnel à la fois le plus adapté et le plus propice à son épanouissement. L’objectif prioritaire du groupe sera de diffuser le plus largement possible l’Engagement du Cap.
2. Pour en savoir davantage sur l’histoire de Lausanne, voir mon article : « L’avenir de l’évangélisation du monde, la préoccupation du Mouvement de Lausanne », Théologie Évangélique vol.9 n°3, 2010, p.203-216.
3. C’est-à-dire la mort du Christ sur la croix à la place du croyant.