Évolutions du type de dialogue1
La question du dialogue n’est pas simple et ne l’a jamais été. Il vaut donc la peine de voir comment les choses ont évolué au cours du temps. Il nous faudra ensuite faire l’effort d’analyser honnêtement et sans crainte les situations, d’apprécier les nouvelles donnes, afin de discerner les véritables enjeux.
Temps bibliques
Déjà dans l’Ancien Testament nous avons le témoignage de confrontations au sujet desquelles on peut se demander si, au plan religieux, à côté des nécessités politiques, il n’y avait pas une sorte de «dialogue» entre Israël et les nations environnantes.
Dans le contexte de l’Alliance avec le Seigneur (Yahvé), l’impératif était de se démarquer radicalement et de se garder de toute idolâtrie. Mais des contacts ont existé, non sans poser de gros problèmes internes et externes2.
L’entrée en contact des apôtres avec les païens, relatée dans le livre des Actes, place le dialogue dans un nouvel éclairage : ils sont porteurs d’un message de dimension universelle. Le dialogue est alors engagé avec des hommes de toutes religions, mais il était bien différent de ce qu’on entend aujourd’hui sous ce terme. Il faisait partie d’une méthode d’approche connue des hommes de l’époque. Les apôtres la pratiquèrent avec une intention missionnaire, déterminée par l’ordre de l’annonce3 de l’Evangile de Jésus-Christ : Vous serez mes témoins… (Ac 1.8). Nous ne devrions pas avoir de difficulté à adhérer pleinement à cette conception du dialogue avec des non-chrétiens.
Moyen Age
La longue période qui s’étend depuis le 4e siècle jusqu’au 17e siècle ne révèle pas une grande préoccupation pour le «dialogue» avec d’autres croyances.
C’est plutôt la conquête de territoires et leur défense, les luttes de pouvoirs, qui marquent les événements et les mentalités de la chrétienté dominante4. On peut déplorer la carence grave des Eglises dans la vision et l’action missionnaires dans le même esprit que les apôtres. Et pourtant, tout au long de cette période le Seigneur n’a pas été privé de témoins. Des percées missionnaires dans le monde entier ont été réalisées.5
Temps modernes
Les grandes découvertes de la Renaissance, dès le 15e siècle, vont entraîner un formidable développement politique, économique, artistique, scientifique et technique. La diffusion des idées modernes au cours des trois siècles suivants, favorisant une certaine émancipation des esprits, va progressivement modifier la manière de concevoir les relations humaines. On entre dans un monde pluraliste et, en dépit de violents àcoups, on prône des idées de tolérance. C’est aussi à cette époque que, grâce à l’action souveraine de l’Esprit de Dieu, les Eglises «redécouvrent» la vocation missionnaire du christianisme «au-delà des mers», à cause de la force contenue dans l’Evangile unique et universel de Jésus, Seigneur et Sauveur.
Inévitablement cette évolution aura des répercussions sur la conception du dialogue avec les autres religions. Plusieurs facteurs entrecroisés contribuèrent à pousser la réflexion dans ce domaine : la confrontation constante et répétée de l’oeuvre missionnaire avec le monde païen, la rencontre des missions entre elles, aussi bien au sommet (Conférence d’Edimbourg en 1910)6, que sur le champ missionnaire (sociétés interdénominationnelles), etc. Puis, dans un climat de sécularisation envahissante, éclatèrent les terribles chocs politiques et humains sans précédents de la première moitié du 20e siècle (guerres mondiales, montée des fascismes et des totalitarismes, génocides…) provoquant un douloureux questionnement de fond.
Dans le sillage de ces profonds bouleversements moraux, spirituels et intellectuels, des doutes surgirent affectant théologiens, pasteurs et fidèles au point que «mission», «évangélisation» et «conversion» deviennent des notions suspectes. Le «dialogue totalement ouvert», serait un «moyen de progresser vers une vérité dans une recherche au travers des vérités apportées par chacun de ceux qui dialoguent». Il y a là, sans conteste, un glissement grave vers l’abandon de toute notion d’absolu, le seul absolu étant la relativisation elle-même de tout absolu. C’est la vérité de l’Evangile qui est remise en question. Certes, le problème est complexe et ne peut se résoudre par des réponses simplistes. 7
La position évangélique est bien résumée dans les articles 3 et 4 de la Déclaration de Lausanne du Congrès international sur l’évangélisation du monde, en 1974 : «Nous rejetons toute espèce de syncrétisme et de dialogue qui sous-entend que le Christ parle de façon équivalente au travers de toutes les religions et idéologies…» et «Evangéliser, c’est répandre la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ… Notre présence chrétienne dans le monde est indispensable à l’évangélisation, de même qu’un dialogue ouvert dans l’amour afin de mieux comprendre le prochain…»
Dans son prolongement, quinze ans plus tard, le Manifeste de Manille précise, dans son article 3 : «… Il arrive que les diverses religions comportent des éléments de vérité et de beauté. Elles n’offrent pas pour autant d’autres évangiles, des évangiles de rechange… Rien ne nous permet d’affirmer que le salut peut se trouver en dehors du Christ et sans une reconnaissance explicite, par la foi, de son oeuvre… Nous rejetons donc à la fois le relativisme, qui considère toute les religions et spiritualités comme également valables pour s’approcher de Dieu, et le syncrétisme qui voudrait mêler la foi au Christ et les autres croyances… Dans le passé, nous avons parfois adopté à l’égard des adeptes d’autres croyances une attitude coupable : méconnaissance, arrogance, mépris et parfois même hostilité. Nous nous en repentons… Nous sommes résolus à rendre un témoignage positif et sans compromission aucune au caractère unique de notre Seigneur, à sa vie, sa mort et sa résurrection, dans tous les aspects de notre évangélisation, y compris dans le dialogue avec les autres religions ».
Commission Théologique des CAEF