Pascal TOUZET professeur de génétique interviewé par Reynald Kozycki
Pourriez-vous expliquer en quelques lignes en quoi consiste votre travail ?
Je suis enseignant-chercheur à l’université des Sciences & Technologies de Lille. J’enseigne essentiellement les méthodes statistiques et la génétique des populations en première année d’une école d’ingénieurs de l’université et mon domaine de recherche est la génétique évolutive. Cette activité de recherche consiste aujourd’hui à encadrer des étudiants en thèse, étant par la force des choses quelque peu éloigné de la « paillasse »1. Je m’intéresse aux facteurs évolutifs responsables de la perte d’une fonction importante chez certaines espèces de plantes à fleurs : l’incapacité à produire du pollen, la cause étant à chercher au niveau d’un petit génome, celui de la mitochondrie, usine électrique des cellules. Cela implique à la fois des expérimentations en serre, des croisements contrôlés, l’analyse de la diversité génétique dans des populations, jusqu’à la reconstruction de la séquence entière de génomes mitochondriaux pour en proposer un modèle théorique d’évolution.
À côté de votre travail, vous êtes aussi un responsable de votre Église CAEF de Lille. J’imagine que plusieurs ont dû vous demander comment un chercheur en biologie peut-être aussi engagé dans sa foi chrétienne. Qu’est-ce que vous répondez à vos collègues qui doivent être surpris que vous soyez « chrétien engagé » et scientifique ?
J’ai le sentiment, dans ma propre expérience, que la surprise n’est pas toujours du côté attendu. En effet, j’ai rencontré de la part de mes collègues non croyants plutôt de l’intérêt ou tout au moins du respect. La surprise me semble parfois provenir de frères ou soeurs surpris de mon activité de recherche considérée comme inutile (mais à quoi ça sert ?) et apparemment en porte-à-faux avec une certaine idée de l’acte créateur de Dieu…
Vous travaillez régulièrement sur le terrain de l’évolution. Le 6e « jour » biblique de création décrit l’apparition de toutes sortes d’animaux, puis de l’être humain. Comme la plupart des chercheurs interviewés dans ce numéro, je suppose que vous ne prenez pas le mot « jour » au sens littéral, mais voyez-vous un lien entre les découvertes en biologie ou en paléontologie et le 6e jour ?
L’accumulation des données biologiques suggère que l’émergence des espèces animales s’est faite sur une longue période de temps. Toute paire d’espèces dérive d’un ancêtre commun, d’autant plus vieux que la séparation de ces deux espèces est ancienne. L’homme appartient à cet « arbre de la vie » et en est finalement solidaire par son origine génétique. Le 6e jour du livre de la Genèse est donc difficile à considérer comme littéralement d e 24 heures. Néanmoins, il suggère qu’il y a eu un commencement et une fin, que les espèces sont apparues au cours du temps, que l’homme lui-même est inscrit dans cette temporalité et n’est qu’une créature parmi les créatures. Il est bon d’affirmer et d’assumer notre caractère profondément terrestre !
Depuis le mois de mai 2010, on parle assez volontiers de croisements possibles entre Néandertal et l’homme moderne. Pensez-vous qu’il soit possible de dire à quel moment, dans le schéma généralement admis en biologie, on peut parler d’un être humain comme Adam, créé en image et en ressemblance de Dieu ?
Le séquençage partiel de plusieurs exemplaires de génomes de Néandertal lorsqu’il est comparé à des génomes représentatifs de l’espèce humaine suggère en effet l’existence de croisements possibles même s’ils ont été vraisemblablement très limités et localisés géographiquement. Ceci, du reste, est assez attendu dans un processus de spéciation qui ne conduit qu’avec le temps à une étanchéité des espèces. Qu’il y ait ou non croisement, nous descendons de toute manière d’un même ancêtre commun dont les descendants ont donné l’homme moderne et Néandertal. Comment placer sur cette échelle de temps un être humain comme Adam ? C’est une question difficile, et qui appelle à la prudence et l’humilité. Si l’on considère que le fait d’être image de Dieu est propre à Homo sapiens, cette caractéristique essentielle serait apparue après la séparation d’avec Néandertal (il y a environ 500 000 ans) ou lors de l’émergence de l’homme moderne il y a environ 100 000 ans. Néanmoins, comment interpréter les traces de rites funéraires chez Néandertal ? D’autre part, l’environnement culturel et technique d’Adam (ou du moins de Caïn et Abel) rappelle plutôt le Néolithique (il y a environ 10 000 ans), une époque bien plus proche de nous et donc bien plus tardive que les traces connues des premiers hommes modernes… Difficile donc de définir qui était Adam, à quelle époque il vécut… Ce qui est clair est que Dieu dans sa souveraineté et son amour infini a choisi une lignée dans laquelle il a insufflé son souffle, et que tout être humain est représentation (image) de Dieu. Je crois que ces difficultés de « concordance » nous renvoient à nos propres limites face à l’infinie sagesse de Dieu. Les connaissances scientifiques actuelles sont, de plus, elles-mêmes sujettes au changement au gré de nouvelles découvertes. Il nous reste l’assurance, à défaut de savoir comment ou pourquoi, que Dieu m’a choisi dans sa grâce, mystère de l’élection qui pourrait se situer à différentes échelles « généalogiques » : élection de la lignée d’Homo sapiens parmi les autres lignées d’Homo, de la lignée d’Adam parmi d’autres…
Le Psaume 19 affirme que les « cieux racontent la gloire de Dieu ». Qu’est-ce qui, dans vos observations professionnelles, vous semble peut-être le plus « raconter la gloire de Dieu » ?
Je dirais la complexité du vivant et sa capacité d’auto-organisation et d’adaptation. L’avancée des connaissances scientifiques nous révèle que la réalité est souvent bien plus complexe qu’attendue, et que nos représentations et modèles souffrent d’exceptions ! Ainsi le vivant repose sur un grand nombre d’interactions, que ce soit entre les espèces au sein d’un écosystème, entre cellules au sein des organismes, entre gènes au sein des cellules, pour ne prendre que quelques exemples. Je suis aussi impressionné par cette capacité qu’a le monde vivant à évoluer, à s’adapter au cours du temps, finalement à jouir d’une grande liberté dans l’ensemble des possibles que Dieu a fixés. C’est la foi qui me conduit à y voir, au-delà du visible, la signature d’un Dieu glorieux, loin parfois des représentations figées que je peux me faire, les données scientifiques agissant comme un catalyseur de cet acte de déconstruction des idées toutes faites et de reconstruction d’un mystère qui me dépasse.
Propos recueillis par Reynald KOZYCKI
NOTE
1. Plan de travail sur lequel les chercheurs font les expériences en laboratoire.