L’éthique humaine de responsabilité
Par Jacques Poujol1
La façon dont nous prenons nos décisions et assumons nos choix nous déshumanise ou nous humanise.
Qu’est-ce qui caractérise notre génération ? Notre société postmoderne ne croit plus que les Lumières ou la raison, la seule intelligence de l’homme, donnent des solutions globales aux problèmes du monde et de l’humanité. Notre époque est caractérisée par l’éclatement du sens, la déconstruction du discours, la fin des idéologies universelles. Ceci conduit à une certaine désillusion, au pessimisme puisqu’il n’y a plus ni vérité unique, absolue, ni système global de pensée. La société postmoderne qui met à juste titre en avant le Sujet, laisse maintenant à chacun la liberté de choisir sa façon d’être. Chaque individu est sa propre autorité, sa norme.
Cela conduit à une réelle confusion éthique car face à l’individualisation des décisions, qu’est-ce qui détermine désormais ce qui est bien et ce qui est mal ?
Comment assumer notre liberté ? D’après quels critères trouvons-nous une nouvelle façon de vivre et de construire notre identité ? Cela pose la question de la redéfinition d’une éthique pratique. L’évolution rapide des sciences humaines d’une part et des moyens techniques opérant sur l’homme d’autre part, la pression de la rentabilité, le désir d’être efficace amènent à définir en permanence une éthique personnalisée. On ne rai- sonne plus en termes de permis/défendu mais en possible/impossible.
Quand nous devons prendre une décision, voici un cadre nous permettant de réfléchir avant de décider. Ce cadre ressemble à un carré dont chaque côté est une vérité, l’ensemble formant un tout indivisible.
Nous avons la possibilité de naviguer entre ces quatre paramètres, des éléments constants dans la prise de décision. Si nous envisageons le problème en omettant un ou plusieurs de ces quatre angles, il se produit très souvent une distorsion.
De même, tout point de convergence au sein du carré permet une décision viable et pas seulement le point 1, au centre des quatre éléments. Le point 2, plus fortement influencé par la loi et les intentions ou le point 3, plus marqué par la situation et l’utilité sont tout aussi valables que ce point 1.
Ces éléments de réflexion sont d’autant plus importants que la plupart des choix éthiques que nous sommes amenés à faire sont sans précédent. Les générations avant nous n’étaient pas du tout confrontées aux mêmes questions. Les réponses éthiques actuelles ne sont pas toutes simples à trouver, d’où l’utilité d’un tel cadre de réflexion.
Les quatre paramètres éthiques pour prendre de bonnes décisions
1. L’éthique de la loi
Que dit la loi (juridique, biblique…) au sujet de la question que nous nous posons ? Avec cet axe nous ne nous occupons que de la loi (biblique ou de la société) sans avoir à réfléchir de façon responsable.
Cet axe est essentiel à respecter mais pas isolément des autres. Si nous ne prenons en compte que le critère de la loi pour prendre une décision, très vite nous risquons de tomber dans le légalisme, le pharisaïsme intégriste.
Ainsi, voler est réprouvé par la loi, mais voler lorsque l’on meurt de faim, est-ce toujours contre la loi ? Pour prendre un exemple tiré de la Bible, le roi David, un jour où il avait faim, mangea des pains consacrés que la loi réservait pourtant aux seuls prêtres. (1 S 21) Jésus lui-même guérit un malade un jour de sabbat après avoir déclaré : «Le sabbat a été fait pour l’homme, et non l’homme pour le sabbat». (Mc 2.27)
Si nous ne considérons que cet angle, nous agissons alors comme un enfant pour qui tout doit être blanc ou noir, bien ou mal. À aucun moment nous ne sommes responsabilisés, ni ne grandissons par les choix que nous devons faire et assumer.
En revanche, ne pas tenir compte de cette dimension, c’est la porte ouverte à la liberté sans aucun frein et à la seule loi du profit personnel.
2. L’éthique des intentions
Ici l’idée est que « la fin justifie les moyens » et que seule la motivation ou l’intention comptent. Ce concept a une grande place dans la société actuelle. Or, une bonne intention ne suffit pas à justifier nos actes et nos choix. Par exemple, par amour ou tolérance, qui sont des bonnes motivations en elles-mêmes, nous faisons parfois preuve d’une grande irresponsabilité, comme si l’amour excusait tout. Or l’amour ne justifie pas tout.
L’éthique chrétienne par exemple, ne repose pas uniquement sur l’amour qui tolère, croit, supporte tout mais aussi sur la justice et le droit énoncés par la loi, sur les situations et sur les conséquences. Certes, les motivations ont leur place, mais de pair avec les autres paramètres. Si seule la motivation compte, c’est l’anarchie, l’effondrement de la vie collective.
3. L’éthique des situations
C’est une éthique qui ne veut reconnaître aucune règle permanente, pour elle il n’y a que des situations particulières dans le temps comme avec les individus. La situation est analysée au cas par cas.
C’est l’opposé de l’éthique de la loi. Il est vrai que les questions éthiques actuelles sont des problèmes sur lesquels ni les apôtres ni le Christ ne s’expriment directement. Toutefois l’éthique chrétienne est diachronique, c’est-à-dire qu’elle traverse l’histoire, elle n’est pas influencée par elle. Il faut à la fois comprendre l’enracinement culturel, local et temporel du texte de la Bible mais aussi en dégager la portée historique du concept qui est applicable, lui, ici et maintenant.
Ne retenir que cette dimension conduit à un relativisme dangereux.
4. L’éthique utilitariste
Il s’agit ici de ne considérer que les conséquences d’un acte. L’utilité seule est le critère de morale pour juger une action, seuls comptent les résultats. C’est un pragmatisme moral considérant comme bon tout ce qui réussit. C’est ainsi que HEGEL a déclaré que « l’Histoire seule révèle la valeur effective de nos actes selon le rôle qu’ils ont joué en accélérant ou en ralentissant l’Histoire ».
Or nous ne sommes pas en droit de justifier n’importe quel acte en avançant seulement son résultat, sans tenir compte des autres paramètres.
L’éthique de responsabilité
C’est à l’intérieur de ce carré, de ces quatre concepts, que nous allons réfléchir et prendre nos décisions.
Qu’est-ce qui est écrit dans la Bible ? Quelle est la motivation de notre geste ? Quelles sont les circonstances ? Quels effets cela va-t-il avoir ?
L’éthique chrétienne veut allier ces quatre paramètres et non insister sur un seul. C’est un véritable chemin de crête entre ces quatre pentes, ces quatre travers pour analyser chaque problème.
Nous nous laisserons donc inspirer par une éthique humaine de responsabilité, qui nous aidera à trouver notre propre chemin, sans nous dicter notre comportement. Cette éthique sera fondée sur des convictions fortes construites à l’intérieur de ce carré. Notre responsabilité est de veiller à ne minimiser aucun des angles du carré.
Je conclurai avec ce texte de Jean ROSTAND, qui peut être pour nous une inspiration quand il nous arrive d’avoir à aider et entourer un chrétien confronté à une décision, un choix :
Former les esprits sans les conformer Les enrichir sans les endoctriner Les armer sans les enrôler Leur communiquer une force dont ils puissent faire leur force Les séduire par le vrai pour les amener à leur propre vérité Et leur donner le meilleur de soi Sans attendre ce salaire qu’est la ressemblance.
Jacques Poujol
NOTE
1. Pasteur, psychothérapeute, créateur du site www.relation-aide.com, formateur en relation d’aide, auteur d’ouvrages de relation d’aide chrétienne.