La place du chrétien dans le monde :
évolution de la pensée évangélique au XXIe siècle1
Par Stéphane LAUZET2
Dès l’origine, le christianisme a développé ce que nous appellerons une action sociale et invité tout un chacun (y compris les dirigeants) à agir pour le bien et les réveils ont toujours comporté une dimension sociale.
On pense à FINNEY et à ses convertis qui lancèrent plusieurs réformes sociales (notamment la lutte contre l’esclavage). On peut évoquer aussi John BOST, le fondateur des asiles du même nom ou WESLEY, tout autant prédicateur de l’Evangile que prophète de la justice sociale. Ou bien encore, Henri DUNANT, le fondateur de La Croix-Rouge, ou la multitude de ces missionnaires qui ne se contentèrent pas d’annoncer le Salut en Jésus-Christ, mais travaillèrent à améliorer les conditions de vie des peuples vers lesquels ils étaient envoyés.
Le missiologue, R. PIERCE BEAVER, écrit : « on peut remonter le cours de l’Histoire jusqu’aux apôtres pour se rendre compte que l’action sociale a toujours accompagné l’effort missionnaire… Tout au long du XIXe siècle, ils travaillèrent à l’implantation d’écoles… et d’industries locales… Ils s’opposèrent au commerce des esclaves… Ils combattirent avec acharnement pour les droits de l’homme en Chine… Ils s’opposèrent à l’esclavage social et économique des démunis et des parias dû au système des castes, en Inde ».
On ne manquera pas de remarquer que les évangéliques ont baissé la garde au XXème siècle et abandonné ce bel élan. Quelles sont les raisons de cet abandon ? Et quelles sont les étapes décisives qui ont amené les chrétiens évangéliques à reconsidérer leur positionnement, leur présence au monde ?
1. Quatre bonnes raisons pour ne pas se soucier des questions sociales et politiques
Les quatre points suivants ont souvent amené les chrétiens, pourtant soucieux de fidélité, à négliger tel ou tel aspect du message de l’Evangile.
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La lutte contre le libéralisme théologique et la nécessité de défendre un christianisme biblique et historique, faisant porter tous ses efforts sur les points essentiels de la doctrine.
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La réaction à l’Evangile social, qui s’oppose à l’Evangile du Salut. Ses propagateurs affirment qu’il ne faut pas « conduire des individus au ciel, mais… transformer la vie sur terre pour qu’il y règne l’atmosphère céleste ». Ils identifient le Royaume de Dieu à « la reconstruction de la société sur des fondements chrétiens ».
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Le pessimisme lié aux circonstances dramatiques, guerres et autres. Ces événements tragiques tendent à montrer qu’il est décidément impossible de réformer l’homme et la société, tellement l’être humain est dépravé.
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Une vision dispensationnaliste de l’Histoire. Le monde court à sa perte et seule la seconde venue du Seigneur changera quelque chose : à quoi bon tenter quoi que ce soit puisque tout est appelé à disparaître ?
2. Quatre étapes décisives
Dans les années 60, la société entra dans une période de profondes mutations. Cette remise en cause toucha aussi l’Eglise et amena plusieurs à se questionner sur la place des chrétiens dans le monde.
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La Déclaration de Wheaton, en 1966, souligne « la priorité de la prédication de l’Evangile à toute créature et le témoignage chrétien associé à l’action sociale évangélique ». Les participants de ce congrès missionnaire appellent les évangéliques à « prendre ouvertement et fermement position pour l’égalité sociale, la liberté et toutes les formes de justice sociale de par le monde entier ».
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Le Congrès international pour l’évangélisation mondiale à Lausanne en 1974 souligne que « l’évangélisation et l’engagement sociopolitique font tous deux partie de notre devoir chrétien », tout en affirmant que « l’Eglise doit accorder la priorité à l’évangélisation ».
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La Consultation sur le rapport entre l’évangélisation et la responsabilité sociale, organisée à Grand Rapids en juin 1982, sous les auspices du Comité de Lausanne et de l’Alliance Evangélique, amène le mouvement évangélique à préciser sa compréhension de la place du chrétien dans le monde. « L’Evangile est la source dont découlent l’évangélisation et la responsabilité sociale ». L’engagement social du chrétien est à la fois une conséquence et une préparation de l’évangélisation ; tous deux doivent aller de pair.
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La déclaration de Queretaro – Mondialisation et Pauvreté – 2003
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185 dirigeants d’ONG chrétiennes, membres du Réseau Michée, originaires d’une cinquantaine de pays, affirment qu’ « en tant que disciples de Christ, nous devons remettre en cause ce qui est au cœur de la mondialisation économique contemporaine, à savoir l’idolâtrie de Mammon. La résistance aux pressions de la société de consommation – une société construite sur de fausses suppositions et des valeurs biaisées – n’est pas facultative. Les problèmes que pose le capitalisme global ne sont pas simplement, et même d’abord, économiques ou techniques mais moraux et spirituels ». Ils invitent les Eglises à « manifester [leur] préoccupation pour la justice et une gestion responsable des ressources ». La déclaration manifeste la conviction des participants d’être « appelés à la tâche prophétique d’insister pour que les dirigeants du monde remplissent le mandat que Dieu leur a donné de se soucier des pauvres ».
Ces rapports et déclarations témoignent d’une prise de conscience et d’un souci de cohérence. Leur lecture n’est pas sans soulever quelques questions qui tournent autour de la notion même de politique et du rôle que l’on entend faire jouer à l’Eglise en la matière. Cela conduit à préciser les points suivants :
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Jésus ne s’est jamais engagé politiquement au sens restreint du terme. Il n’a pas créé de parti ni tenté d’infléchir la politique de César ou d’Hérode. Pourtant, son ministère a eu une dimension politique dans la mesure où les valeurs et les normes qu’il a mises en avant modifiaient la vie de ceux qui les ont suivies.
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Certaines situations personnelles ne peuvent être résolues que si le système change. Aider les personnes en difficulté, sans chercher à intervenir sur ce qui est la cause de leurs problèmes, n’est pas très réaliste (s’il y a beaucoup d’accidents à un carrefour, faut-il multiplier les ambulances ou installer des feux tricolores ?}.
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L’enseignement de l’Ecriture a des répercussions d’ordre social mais il existe un risque bien réel de politiser le christianisme et de réinterpréter la foi selon des schémas d’actions sociale et politique. La foi chrétienne ne peut être réduite ou identifiée à un programme politique.
3. Quatre bémols
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L’Eglise ne doit pas négliger, ou oublier même, sa mission première, à savoir l’invitation lancée à chaque individu d’être réconcilié avec Dieu en vue de sa rédemption personnelle.
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La couleur politique de l’Eglise peut, quelquefois, n’être qu’un écho de « l’idéalisme moral et politique de la culture environnante ». Si le discours de l’Eglise n’est qu’une déclinaison religieuse des idées du monde, à quoi cela rime-t-il ? (thermomètre ou thermostat).
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L’Eglise, en tant que telle, est-elle vraiment compétente ?
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On ne doit pas mésestimer la réalité du péché, la corruption et la dépravation de l’homme.
En quelques décennies, nous avons pris la mesure de l’extrême fragilité du monde que nous habitons. Nous avons découvert que les autres humains et les autres peuples ne sont pas les seuls à être menacés par nos entreprises et nos projets. La planète elle-même est devenue vulnérable.
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Bien sûr que nous attendons de ne veaux cieux et une nouvelle terre où la justice habitera !
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Bien sûr que nous savons que rien peut vraiment changer si le coeur de l’homme n’est pas changé !
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Bien sûr que nous savons que le monde privilégie le plus fort au détriment du plus faible, la rentabilité et le profit au détriment du bien-être de l’homme !
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Nous n’avons pas le pouvoir, mais nous pouvons avoir de l’influence.
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Nous n’avons pas forcément les solutions à tous les problèmes, mais nous avons une petite idée de ce qui est bien et mal, de ce qui est juste et injuste.
Témoigner de Jésus-Christ, c’est aussi cela !
C’est inviter chacun à lever les yeux, à regarder au Créateur, à se situer dans une juste relation avec lui, à accepter prendre sa place de créature et à aimer la dépendance dans laquelle il nous place.
S.L.
NOTES
1. Extraits, reproduits avec autorisation, d’un article disponible en intégralité sur le site du Défi Michée : www.defimichee.fr/lMG/pdf/La_place_du_chretien-2.pdf
2. Secrétaire Général de l’Alliance Evangélique Française