Joindre… la connaissance
par Frank Horton
« Faites tous vos efforts pour joindre à votre foi la vertu, à la vertu la connaissance, à la connaissance la maîtrise de soi, à la maîtrise de soi la persévérance, à la persévérance, la piété, à la piété la fraternité, à la fraternité l’amour » (2 Pi 1.5-7).
A. Refus de la connaissance
Nous reconnaissons là la septuple exhortation de Pierre, après sa déclaration que la puissance de Dieu nous a donné tout ce qui contribue à la vie et à la piété. Et cependant, comme le constate un auteur contemporain – et dont j’ai emprunté les idées1 – les chrétiens acceptent sans hésitation leur responsabilité de développer six de ces sept vertus : vertu, maîtrise de soi, persévérance, piété, fraternité et amour.
Mais devant la vertu de la connaissance, ils font preuve d’une ambivalence marquée. Dans mes conversations avec des frères dans la foi j’entends souvent parler de l’anti-intellectualisme de nos milieux évangéliques ! Pourquoi cela ? Je vous proposerai trois ou quatre raisons, avant de parler des domaines où nous avons particulièrement besoin de connaissance pour pouvoir obéir à la vocation que Dieu nous a adressée.
1. Peur de la connaissance
N’est-ce pas la séduction du fruit défendu de l’arbre de la connaissance du bien et du mal qui a conduit nos premiers parents vers la chute ? C’est pourquoi, pensent certains, la connaissance est dangereuse. Et cependant la transgression d’Adam et d’Eve fut, non pas de désirer la connaissance en tant que telle, mais le refus de se soumettre à l’autorité de Dieu et d’obéir à son commandement.
Dieu avait créé l’homme et la femme êtres rationnels, à son image. Ils devaient développer et exploiter leurs facultés intellectuelles pour nommer les animaux, cultiver le jardin, et dominer sur l’ordre créé. Adam tenta d’établir une chaîne de commande autonome à partir de lui-même au lieu de se référer à son Créateur – c’était là son erreur.
2. Le piège de l’orgueil
Quel est le texte biblique le plus souvent cité par rapport au sujet de la connaissance ?
Vous l’avez deviné : « La connaissance enorgueillit, mais l’amour édifie » (1 Co 8.1b). D’ailleurs, l’auteur de l’Ecclésiaste ne verse-t-il pas de l’huile sur le feu quand il affirme : « Car avec beaucoup de sagesse on a beaucoup de tracas, et plus on a de science, plus on a de tourment » (Ec 1.18). Ce qui me rappelle un dictum de l’époque de mes études secondaires : « Plus on étudie, plus on sait ; plus on sait, plus on oublie ; plus on oublie, moins on sait ; donc, pourquoi étudier ? »
Et pourtant, le problème auquel l’Ecriture s’adresse ici n’est pas la connaissance en tant que telle, mais la tendance qu’a l’homme déchu de séparer la connaissance de sa source première qui est Dieu, et d’en faire une chose autonome dans une relation avec lui-même. Salomon nous rappelle que « la crainte de l’Eternel est le commencement de la connaissance » (Pr 1.7). Si la connaissance divorcée d’une bonne relation avec Dieu produit l’orgueil et l’angoisse, par contre la connaissance, enracinée dans une soumission à Dieu et la dépendance de lui, produit la vie et la paix.
3. La connaissance « n’est pas spirituelle »
Pendant toute son histoire l’Eglise a dû faire la guerre contre différentes conceptions dualistes. Le dualisme gnostique, par exemple, situait le mal au niveau de ce qui avait été créé, c’est-à-dire dans le monde et le corps humain, et prétendait que le bien était à trouver auprès de l’incréé, c’est-à-dire l’Esprit. Cette ligne de pensée persiste là où, dans l’Eglise, on cultive une attitude méprisante à l’égard du corps humain et du monde matériel.
Une forme moderne de ce dualisme dans l’Eglise éloigne la pensée de l’esprit et la connaissance de l’émotion ou de l’expérience. En dépit du premier et plus grand commandement qui nous ordonne « d’aimer le Seigneur notre Dieu de tout notre coeur, de toute notre âme et de toute notre pensée » (Mt 22.37), de nombreux chrétiens croient qu’il faut se méfier de la pensée parce que le christianisme est une religion du coeur. Ils ont mal compris des textes comme : « Confie-toi en l’Eternel de tout ton coeur, et ne t’appuie pas sur ton intelligence » (Pr 3.5), car on ne leur avait jamais dit que l’intelligence est une dimension essentielle, tout comme l’émotion, la conscience et la volonté, de ce que la Bible appelle le coeur !
Loin d’être dualiste et de se limiter à la vie affective ou à la tête, la foi chrétienne s’adresse à toutes les parties constituantes de notre être ; Dieu nous voit comme un tout, et nous offre son oeuvre de grâce dans tous les domaines de notre existence.
4. Influence du milieu ambiant
Permettez-moi d’évoquer une quatrième cause de notre anti-intellectualisme, liée d’ailleurs à tout ce qui précède : la mondanité ou, si vous préférez, l’influence qu’exerce sur nous la culture occidentale dans laquelle nous baignons. Car nous sommes les enfants de notre époque dans la mesure où nous faisons nôtres les traits de caractère et les préoccupations de nos contemporains : révolte contre la tradition, anti-intellectualisme, émotionnalisme romantique, recherche d’expériences intenses, préoccupation narcissique avec la santé physique et le bien-être psychique, etc. Qui serait prêt aujourd’hui à prendre le temps, à fournir l’effort et à payer le prix nécessaire pour acquérir la connaissance, alors que tout dans notre société nous incite à la facilité et la paresse ?
B. Besoin de la connaissance
II y a quatre domaines importants dans lesquels nous avons besoin de joindre la connaissance à la foi et à la vertu :
1. Le Seigneur
« La vie éternelle, dit Jésus au début de sa prière sacerdotale, c’est qu’ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ » (Jn 17.3). Dans son épître aux Colossiens, Paul prie que ses lecteurs croissent dans la connaissance de Dieu (Col 1.10).
Cette connaissance de Dieu, pour aussi incomplète et imparfaite qu’elle soit encore de notre vivant sur la terre, doit pourtant rester l’objectif ultime en faveur duquel nous renoncerions à toute autre chose. Ce Dieu qui a dit : « Mes pensées ne sont pas vos pensées, et vos voies ne sont pas mes voies » (Es 55.8), nous a, dans sa grâce, fait don de sa Parole, afin que nous apprenions à connaître ses voies, ses desseins, ses désirs et ses pensées. Il nous incombe, par conséquent, de l’étudier, de la méditer, et d’y obéir au fur et à mesure que nous avançons dans la connaissance de son Auteur.
2. Les voies du Seigneur
Les Ecritures nous révèlent, non seulement la personne et les actes salvateurs de Dieu, mais aussi ses prescriptions pour ceux qui peuplent sa terre. Sans être un manuel académique, la Bible nous enseigne les lois et les principes qui s’appliquent à tous les domaines de l’existence humaine, tant créationnel et moral que spirituel. Le caractère compréhensif de la Parole de Dieu place sur nous la responsabilité d’en comprendre l’application à tous les niveaux de la vie.
3. Notre vocation
L’instruction que nous donnons ici à Emmaüs, de par sa nature même, prédispose et prépare nos étudiants à servir le Seigneur « à plein temps », plus particulièrement dans l’Eglise et sur le champ missionnaire. Mais je comprends la vocation chrétienne dans un sens plus large que cela, pour englober tous les métiers et toutes les professions vers lesquels Dieu pourrait nous conduire.
Et qu’on soit appelé à devenir pasteur, ou évangéliste, ou artisan missionnaire, ou infirmière, ou enseignant, ou homme d’affaires, ou secrétaire, ou agriculteur, ou père, ou mère, ou mari ou femme – une connaissance accrue devient nécessaire. Le peuple de Dieu manque cruellement de têtes pensantes, et cela dans des domaines toujours plus nombreux et plus complexes.
Qui d’entre nous, par exemple, serait capable de conduire les évangéliques dans une réflexion valable, parce que foncièrement biblique, sur les défis que pose la recherche de la justice, la paix, et la sauvegarde de la création ? Dieu avait son Joseph en Egypte, et son Daniel à Babylone… vous voyez ce que je voudrais dire ?
4. Théologie, histoire et actualité
Il faudrait développer ce quatrième point en détail. Mais je constate que l’un des secrets de l’efficacité de Daniel et de ses trois compagnons dans la culture païenne de leur époque se livre déjà dans les tout premiers versets : ils étaient « doués de sagesse dans tous les domaines, d’intelligence et d’instruction, capables de servir dans le palais du roi… » (Da 1.4). Quant à nous, une connaissance de la théologie est indispensable car elle détermine ce que nous croyons… et tout le reste en découle : l’histoire est essentielle en ce qu’elle nous donne des modèles qui nous préparent pour l’avenir ; l’actualité nous aide à discerner notre place dans la société d’aujourd’hui.
Les six autres vertus détaillées dans 2 Pierre 2.5-7 mériteraient chacune une étude semblable. Mais mon but a été simplement de réhabiliter la connaissance et de lui reconnaître la place d’honneur que l’Ecriture lui réserve. Que Dieu nous donne la grâce de cultiver cette vertu avec zèle et assiduité.
F.H.
NOTES
1. Joseph Mc Auliffe, Rational Labor, (dans Dominion Work, janvier 1987, Chalcedon, Vallecito, CA, USA).