Le testament de ma mère
par René Peterschmitt1
Je me souviens de cette après-midi comme si c’était hier. Une bonne douzaine de visiteurs de dernière heure se pressent dans la chambre claire. La malade, blême et sans force, gît au fond de son lit. Le silence est oppressant. Que dire et que faire quand on sent déjà rôder le spectre de la mort ?
Les secondes n’ont plus la même durée ; les paroles plus la même valeur ; les réflexions ont pris un autre cours… Soudain, la malade se redresse, s’adosse au haut du lit, promenant un regard paisible sur cette extraordinaire assemblée qui vient faire ses adieux. D’une voix ferme et très distincte, avec naturel et simplicité, elle s’adresse aux visiteurs un peu interdits : « Vous êtes venus me voir, mais pour moi tout est bien. Je suis prête à partir et à paraître devant Dieu ; non point à cause de mes mérites propres, mais à cause des seuls mérites de Jésus-Christ. Oui, ‘j’ai le désir de m’en aller et d’être avec le Seigneur, ce qui est de beaucoup le meilleur’. Je verrai alors celui en qui j’ai cru. » Puis, sur un ton plus solennel encore, elle poursuit : « Mais vous ! Etes-vous réconciliés avec Dieu ? seriez-vous prêts à le rencontrer ? A quoi vous servirait-il de gagner tout le reste ? Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point, a dit Jésus. »
Toutes les têtes se sont inclinées, les yeux se sont mouillés, quelques larmes débordent. Il est impossible de rendre l’émotion qui étreint les coeurs, l’authentique et l’ultime réalité qu’on appréhende, le surnaturel qu’on frôle au passage !
Le sermon d’un homme bien portant est une chose ; la prédication d’une mourante en est une autre. En un raccourci saisissant et avec une intensité incomparable s’est révélé encore une fois ce que fut tout le contenu de sa vie : Jésus-Christ, expérimenté, vécu et témoigné journellement tout au long d’une humble condition de paysanne. Joies, épreuves, souffrances ont constitué la trame des jours, mais rien n’a pu ternir le rayonnement de sa foi limpide au Dieu vivant.
Tout le monde est parti. Malgré l’effort de l’après-midi, la malade se sent un peu mieux et goûte à nouveau quelques aliments. Quand survient le médecin, un peu plus tard, il est littéralement abasourdi par l’accueil qu’il reçoit : « N’est-ce pas, docteur, lorsque le malade est sur le point de mourir, il se manifeste chez lui comme un dernier soubresaut de vie ? » La phrase tombe dans un profond silence ; le médecin a les yeux rivés à terre ; tout comme moi qui me tiens debout à côté de lui.
Le lendemain, je suis obligé de prendre congé pour de bon. Les dernières paroles de ma mère se gravent dans mon esprit. Je suis en tête-à-tête avec elle, mais son testament spirituel s’adresse à toute la famille : « Quand vous apprendrez que je ne suis plus ici-bas, alors réjouissez-vous, tombez à genoux, et rendez grâces à Dieu, car je serai auprès de mon Sauveur. » Elle allait s’éteindre paisiblement au cours de la nuit suivante.
A la lettre s’accomplirent les paroles de l’Ecriture Sainte (1 Corinthiens 15.55-57) :
« La mort a été engloutie dans la victoire.
O mort, où est ta victoire ?
O mort, où est ton aiguillon ?
L’aiguillon de la mort, c’est le péché,
et la puissance du péché c’est la loi.
Mais grâces soient rendues à Dieu,
qui nous donne la victoire par notre
Seigneur Jésus-Christ. »
Jésus-Christ, en effet, est le Prince de la vie. Il proclame en face d’une tombe : « Je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi vivra, quand même il serait mort » (Jean 2.25). Sa vie sainte et juste a été offerte à la croix, en rançon pour la nôtre, injuste et souillée. Par la foi en lui, sa vie devient la nôtre, dès lors éternelle, comme la sienne.
« Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle » (Jean 3.16).
R.P.
NOTE
1. : René et Gaby Peterschmitt font partie des fondateurs de l’Eglise de la Bonne-Nouvelle de Strasbourg puis de celle de Vendenheim. Leur ministère pastoral et d’enseignement est bien connu de beaucoup, et a marqué de nombreuses oeuvres et Eglises. Notre frère nous offre ici un témoignage qu’il a écrit il y a des années au départ de sa mère. Ce texte est resté dans un tiroir ; nous le remercions de nous permettre de le publier. Il illustre magnifiquement ce que Samuel Gerber exhorte à préparer dans son livre « Mourir s’apprend ».