Quand la vie s’effiloche
Norma Young interrogée par Esther Buckenha1
Norma, c’est très gentil d’accepter de partager avec nous tes expériences douloureuses. Pour ceux qui n’ont pas la joie de te connaître, je précise que tu es en France depuis 22 ans (après 8 années passées en Guadeloupe). Avec ton mari tu as un ministère d’évangélisation et de formation d’églises. Tu as deux grands enfants et trois petits-enfants et… tu as une foule d’amis.
Esther Buckenham : Et voilà, il y a 5 ans, dans cet univers d’activités, de mouvement et de joie, subitement tu es tombée gravement malade. Quelles ont été tes réactions ?
Norma Young : J’ai été atterrée d’apprendre que j’allais perdre petit à petit l’usage de mon corps. Au début l’avenir me faisait très peur, mais je n’ai jamais perdu de vue le fait que Dieu contrôle tout, et que Lui ne fait jamais d’erreur !
E.B. : On dit souvent : « Cela n’arrive qu’aux autres ! » As-tu eu du mal à réaliser que c’était bien toi que cette maladie épouvantable atteignait ?
Non, pas vraiment. Déjà dans ma vie j’avais appris que même à travers des expériences très diverses, la volonté de Dieu est « bonne, agréable et parfaite » (Romains 12.2).
E.B. : On dit aussi : « Ça isole ». Dans les moments pénibles de ta maladie as-tu ressenti la solitude ? Cette sensation de vivre à un autre niveau, là où « les autres » même les amis intimes, n’arrivaient pas à pénétrer ?
Pour la plupart du temps je peux répondre « Non ». Dans la communion avec Dieu, et grâce à une famille formidable, qui m’a soutenue merveilleusement bien, j’ai eu la paix. Cette paix a été constante même quand j’ai appris que j’avais le syndrome de Guillain et Barré2, et pendant tout le temps que j’étais dans le service des soins intensifs. Cette même paix m’a soutenue deux ans plus tard quand j’ai appris qu’il me fallait deux interventions chirurgicales pour lutter contre le cancer. Esaïe 30.15 semblait avoir été écrit pour moi personnellement :
E.B. : Je pense que tu es une femme plutôt réservée, et que tu n’aimes pas trop être sous les projecteurs de la publicité. Est-ce que ce côté de la maladie – les salles d’opération, d’hôpital, les visites, les questions et même les « faux-pas » – t’ont beaucoup pesé ?
Non, je ne crois pas avoir été sous tension. J’étais si heureuse, si reconnaissante pour les soins compétents que je recevais. Ayant déjà eu treize interventions chirurgicales importantes, j’étais bien placée pour savoir leur valeur.
E.B. : Avais-tu peur de la souffrance ?
Non, je n’avais pas peur, mais il fallait « repenser » mes activités – et ce que je ne pouvais plus faire. Il fallait redéfinir mes buts, car aucune visite chez le spécialiste, aucun médicament ne pouvait changer ce que je ressentais. Repos, repos et encore du repos, voilà ce qu’il me fallait !
E.B. : Avec ton mari, à partir de « rien » vous avez eu la grande joie de voir s’édifier une église de 72 membres. Ici on ne peut parler du travail intensif, des visites, des réunions, des soucis et des joies. Nous avons du mal à imaginer, au milieu de tout cela, l’effet d’être obligée – mentalement aussi bien que physiquement – d’arrêter tout ! de voir son mari anxieux et affligé ; de voir tout ce qui ne se faisait plus ! Est-ce que Dieu a été vraiment présent, avec toi, dans ces moments-là ?
Oui, Dieu était avec moi à chaque instant. Sa paix est si profonde que l’anxiété disparaît ! Dieu est si « vrai » qu’au lieu de demander « Pourquoi moi ? » on demande « Pourquoi pas moi ? » Comme je vis dans un monde de souffrance je ne dois pas m’attendre à en être exemptée. Accepter cela, me remettre à Lui, m’a beaucoup aidée et apaisée, dans l’impossibilité que j’étais d’aider activement mon mari dans son travail de pasteur.
E.B. : Les souffrances, l’isolement, le renoncement – tout cela a été très pénible – et la mort ? Est-ce que tu y as pensé ?
Oui j’ai pensé à la mort. Je croyais pouvoir comprendre les paroles de Paul : « Pour moi, la vie c’est le Christ, et la mort est un gain » (Philippiens 1.21 ). Ce verset a été un vrai baume pour moi. La mort ne m’était pas inconnue. Déjà dans le cercle de notre famille intime, neuf personnes (parents, frères et soeurs) ont quitté la terre pour entrer dans l’éternité. Chaque fois j’étais consciente de la présence de Dieu, de son aide. Chaque fois le Psaume 23 a été une force. Ceci ne veut pas dire qu’il n’y avait pas de larmes – mais avec les larmes il y a toujours l’espoir en Jésus-Christ, mon Sauveur et mon ami.
E.B. : Tu peux donc affirmer que même sous la menace de la mort, la présence de Dieu est douce et vraie ?
Oui, la présence de Dieu était et est toujours si vraie ! Combien j’étais heureuse pendant toute cette période, quand j’étais incapable de tenir même un évangile de Jean, d’avoir pris le temps de mémoriser la Parole de Dieu. Les passages que je connaissais par coeur m’ont aidée pendant les longues journées et les nuits encore plus longues quand rien ne pouvait atténuer la douleur. La paix de Dieu n’a jamais fait défaut. Sa joie a gardé en repos mon esprit et mon coeur. Tôt dans ma vie chrétienne, Dieu m’a donné le verset 12 du Psaume 66 : « Nous avons passé par le feu, et par l’eau. Mais tu nous en as tirés, pour nous donner l’abondance. » Dans ces maladies, Dieu m’a aidée à garder mes yeux fixés sur Lui, sur l’abondance qu’il voulait me donner, et pas sur ma souffrance.
E.B. : Dans ces expériences tu as beaucoup appris. Ta vie a été enrichie, approfondie. As-tu repensé certaines choses ? Changé certaines priorités ?
D’abord, j’ai appris que je n’étais pas indispensable ! Dans l’espace de quatre jours je me suis trouvée complètement paralysée – incapable de fonctionner du tout dans un monde actif. Dieu a suscité d’autres personnes, et le ministère a été encore plus béni et plus efficace. Ensuite, j’ai appris que je ne pouvais pas changer les circonstances – ni même mon état d’esprit. Un choix cependant me restait – je pouvais choisir d’être paisible.
Je voulais que les personnes qui venaient me voir sortent encouragées de ma chambre – pas vidées par les plaintes d’une malade dépressive. Pour ma famille c’était un moment très dur – et je ne voulais pas ajouter à leur fardeau. Pour mes priorités – oui, Dieu m’a aidée et m’aide encore à réaliser l’importance de la prière, et de l’étude de Sa Parole. J’ai maintenant beaucoup plus de temps pour cela.
Tu sais, la maladie ne « casse » pas, ne change pas une personne ! Elle ne fait que la révéler !
La priorité que Dieu me confie maintenant c’est d’être fidèle – fidèle avec beaucoup ou avec peu de force physique – comme II me la donne.
E.B. : Et l’avenir, Norma ? comment l’envisages-tu ?
Tout ce que Dieu nous demande est possible et raisonnable. Je voudrais qu’il dirige toute ma vie. Je sais qu’il ne se trompe jamais. La douleur et la souffrance sont toujours avec moi – cependant je me fixe des buts – à long terme, aussi bien qu’à moyen terme. Si je peux accomplir ce que je me suis fixé, tant mieux, j’en suis heureuse. Si, par contre, je dois me coucher, rester immobile, je suis encore heureuse et reconnaissante pour l’amour de Dieu et pour une famille aimante et attentionnée.
Je le laisse à Paul, dans Philippiens 4.11 -13 : « J’ai appris à être content de l’état où je me trouve… Je puis tout par Celui qui me fortifie. »
E.B. : Merci, merci beaucoup !
NOTES
1. Avec son mari Russel Young, pasteur, Norma est missionnaire de la Mission Evangélique Baptiste dans la banlieue est de Paris.
2. Pour mieux comprendre ce qu’est cette maladie, lire « Mon corps est devenu une prison » dans Sélection du Readers’ Digest d’avril 1989, de Sue Baier.