Le sida sous une lumière biblique

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par Henri BLOCHER1

 

 

Le SIDA, grande peur de l’an deux mil ?

 

 

Les « sondages d’opinion » montrent que la nouvelle maladie s’impose au premier rang des préoccupations. Notre société s’est d’abord persuadée que la Science (sa principale idole) jugulerait bientôt ce fléau, comme tant d’autres. Il a fallu déchanter. Elle s’est ensuite rassurée à bon compte, par la pensée que seuls les marginaux seraient touchés. Les faits commencent à démentir ce lâche espoir. Allons-nous vers un désastre majeur ?

 

La peur ne gagne pas sans raison, ni sans déraison. On redoute à bon droit une maladie mortelle, contagieuse, et que nul encore ne sait guérir.

 

Le nombre des « séropositifs » double tous les ans : une telle progression géométrique impliquerait, si elle continuait, une multiplication par mille en dix ans ; même si un fort freinage est probable quand la propagation ne se fera plus dans des groupes à haut risque, la perspective reste effrayante, II n’y a aucun indice tangible qu’on puisse trouver dans cette même décennie à venir un traitement ou un vaccin efficaces.

 

A ces raisons sérieuses se conjuguent des facteurs d’affolement. Comme la transmission principale se fait par voie sexuelle, le SIDA émeut le plus trouble de l’inconscient, il ravive la confusion du sexe et de la mort. Il excite, débride l’imaginaire, comme la syphilis le fit autrefois. Il déclenche des fantasmes proches liés à la xénophobie. Ces causes se renforcent mutuellement.

 

Il est même difficile de savoir exactement les faits. D’un côté, la panique pousse à grossir le danger, à noircir le tableau. Ce que font aussi certains politiciens, pêcheurs en eau trouble. De l’autre les autorités en place, comme elles font toujours quand elles sentent la situation leur échapper, minimisent systématiquement. Des intérêts idéologiques très forts, dans le sens de l’humanisme permissif, poussent à gommer les risques les plus graves, à refuser les ripostes les plus énergiques.

 

 

Données

 

Le virus

 

Le rappel de quelques données fondamentales semble, quand même, possible sans grande contestation. Le Syndrome d’Immuno-Déficience Acquise, S.I.D.A., a pour cause l’action d’un (rétro) virus désigné par les initiales LAV ou HIV, découvert par l’équipe du professeur Luc MONTAGNIER de l’Institut Pasteur et dont on connaît deux, voire trois variantes, Le propre de ce virus est de prendre pour cible le système immunitaire qui assure la défense de l’organisme.

 

Le corps a des défenseurs de plusieurs sortes comme notre société a la gendarmerie, les polices, les C.R.S., les pompiers etc. Le virus HIV s’attaque aux gendarmes d’élite que sont les lymphocytes T4 ; quand il fait son œuvre, l’organisme perd les moyens de réagir aux agressions et se laisse ravager par des infections variées, des champignons, des cancers. C’est la mort, en général, avant deux ans.

 

Les étapes

 

II faut distinguer les étapes. Lorsque le virus s’introduit, ce n’est pas encore le SIDA (« syndrome » évoque la manifestation du mal). Le système immunitaire tente de produire des anticorps qu’un test permet de repérer dans le sang après 10-15 semaines : le sujet est dit séropositif. Il est alors contagieux mais ne peut rien ressentir. Les signes de la « primo-infection » qui a lieu peuvent être peu perceptibles. Certaines facultés s’émoussent-elles ? On en discute (quelques médecins voudraient interdire aux séropositifs des rôles de haute responsabilité comme le pilotage d’un avion).

 

Cet état peut durer ; on peut évoluer en paraSIDA. On ne sait pas pourquoi l’évolution n’est pas toujours la même ; la solidité plus ou moins grande du système immunitaire fait, à coup sûr, une différence. On ne sait pas non plus si tous les séropositifs finiront (sur une période de quinze ans, par exemple) par avoir le SIDA ou si certains, rares ou nombreux, y échapperont. Nombreux, en tout cas, ceux qui connaîtront l’issue fatale : on parle d’un tiers sur cinq ans.

 

La contagion

 

La contagion est à la fois galopante, selon la progression géométrique déjà indiquée et très restreinte : restreinte quant aux canaux qu’elle emprunte. Le virus se transmet en pratique par les sécrétions génitales et le sang. (En pratique : car l’accord n’est pas fait sur la possibilité, statistiquement infime, d’une transmission par d’autres sécrétions), C’est pourquoi le SIDA s’est d’abord fait connaître comme la maladie des homosexuels qui font encore aujourd’hui la forte majorité des sidatiques : leur promiscuité et les conditions physiologiques de leur pratique déviante favorisent énormément la contagion. Mais les rapports hétérosexuels comportent aussi un risque élevé (un sur trois, a-t-on dit).

 

En outre, la contamination se fait par le sang : par le sang transfusé ou qui souille l’aiguille d’une seringue utilisée en commun par des toxicomanes ou que la mère transmet au fœtus… Comme toujours avec les virus, il suffit d’une quantité très faible, invisible à l’œil nu : le cas paraît vérifié d’une infirmière qui a contracté la maladie parce qu’une gouttelette de sang a touché l’eczéma qu’elle avait au visage. Si la salive ne suffit pas pour communiquer le virus, tout baiser n’est pas sûr : il suffit d’une plaie minuscule dans la bouche, d’une gencive qui saigne, pour que s’opère l’échange irrémédiable des sangs.

 

Les aspects psychologiques et sociaux

 

Ces aspects du phénomène ne doivent pas être négligés. L’atteinte du virus bouleverse tragiquement la vie de l’individu et perturbe toutes ses relations. Au délabrement du corps, s’ajoute souvent une écrasante culpabilité. La tentation du suicide se fait pressante, à trois moments surtout de l’évolution : d’abord, à la découverte de la séropositivité quand le sujet apprend son mal (actuellement inguérissable) et, peut-être, comprend qu’il a contaminé celle qu’il aime, leur entant ; ensuite, quand le SIDA se déclare avec la perspective d’une longue lutte vaine, pénible et coûteuse ; enfin, au stade terminal quand même les espoirs les plus têtus cèdent à la douleur.

 

Le coût

 

II a été mentionné. Du point de vue social, la charge financière des soins du SIDA est extrêmement préoccupante. Le traitement d’un cas pourrait revenir en moyenne à 500.000 F, certains vont jusqu’au million ; une autre estimation donne 100 000 F par an. De quoi couler la Sécurité Sociale ! Sans compter la perte des travailleurs formés. En Afrique centrale et orientale, la catégorie la plus fortement frappée est celle des jeunes adultes urbanisés ; sur qui on fondait les espoirs du développement. Les pays de cette région sont menacés de décapitation (30 % des séropositifs dans les villes). Seule consolation : le pire n’est pas toujours sûr ; le pire n’aura peut-être pas lieu si on trouve un remède, si l’épidémie s’enraye elle-même, si…

 

 

Jugement

 

Punition divine ?

 

Le fléau porte-t-il un sens, sous le gouvernement de Dieu ? Au début, quand il touchait les seuls homosexuels, beaucoup y ont vu un châtiment qui répétait celui de Sodome. Mère Basiléa SCHLINK des Sœurs de Marie (malgré ses apparences catholicisantes, cette communauté est issue du piétisme évangélique d’Allemagne) reprend et approfondit cette interprétation : le SIDA est un jugement de notre monde corrompu, dernier avertissement avant les jugements de la fin. A l’opposé, Mgr Didier-Léon MARCHAND au nom de la Commission sociale de l’Episcopat français, qu’il préside, croit pouvoir déclarer : « Le SIDA n’est pas un châtiment divin » ; avec véhémence, il rejette cette pensée en arguant de l’amour de Dieu.

 

Les pièges s’ouvrent sous les pas ! Considérer le SIDA automatiquement comme la punition d’un péché, c’est piétiner la détresse de ces pures victimes que sont l’hémophile contaminé par la transfusion, la femme contaminée par son mari, l’enfant qui naît sidatique. C’est imiter les durs amis de Job que Dieu condamne. Mais les évêques français montrent une singulière audace en excluant tout jugement divin. Ont-ils oublié Amos fustigeant, inspiré, l’aveuglement spirituel de ses contemporains parce qu’ils ne voyaient pas le châtiment du Seigneur dans les fléaux qui s’abattaient : « Arrive-t-il un malheur dans une ville sans que l’Eternel en soit l’auteur » (Amos 3.6) ? Esquivent-ils l’ironie terrible Esaïe contre ceux qui tremblent trop peu devant Dieu : « Lui aussi, cependant, il est sage (habile) pour faire venir le malheur » (Esaie31.2) ? Ou bien cherchent-ils à flatter la sensibilité des intellectuels « bien-pensants » d’aujourd’hui ? L’amour de Dieu dans sa justice et sa sainteté se change en fade sirop d’humanisme.

 

Vérités bibliques

 

Lecture de la BibleA propos du SIDA comme des autres maladies, il convient de résumer trois vérités bibliques fort nettes. Globalement, d’abord, tous les maux qui affligent l’humanité, sont la conséquence de sa chute ; la mort et la maladie , « petite monnaie » de la mort, sont le salaire du péché ; le dysfonctionnement de la nature humaine causé par le divorce d’avec Dieu nous y rend vulnérables. Mais dans les cas particuliers, cette relation ne peut plus être posée : après le livre de Job, Jésus lui-même nous en avertit en se prononçant sur la cécité de l’aveugle-né (Jean 9.3).

 

Ce qui n’empêche pas le Seigneur – troisième enseignement – d’envoyer parfois une maladie comme châtiment particulier, telle la lèpre de Guéhazi (2 Rois 5.27), tel le mal qui emporta Hérode (Actes 12.23 : au bout de cinq jours nous apprend l’historien Josèphe), tels ceux des Corinthiens scandaleux (1 Corinthiens 11,30). Ainsi, on ne peut rien dire d’avance : il faut un discernement toujours délicat, souvent impossible.

 

Soulignons aussi que le jugement de Dieu s’exerce selon deux modalités qui se combinent diversement. Il y a des interventions spéciales où Dieu use de sa liberté ; c’est l’aspect qui ressort dans les exemples bibliques que nous venons de citer. Il y a plus souvent les processus qui se développent selon la logique de la transgression et des conséquences. A violer les lois établies par le Constructeur, l’homme détraque son organisme, il moissonne, de sa conduite « charnelle », la corruption (Galates 6.8). Si l’inconduite cause une maladie, c’est aussi le jugement de Dieu qui institue et maintient les lois de la création (sans lesquelles le monde n’existerait plus). Dans l’ordre réel, le jugement se trouve dans les effets ; le châtiment est rançon, «naturellement», de l’acte.

 

Le SIDA, comme les autres maladies, illustre les effets funestes de la chute et préfigure ainsi les jugements de la fin. Mais devant tel cas de SIDA, nul n’a le droit de dire d’emblée : c’est un châtiment divin. Il y a de nombreux sidatiques – pensons à ces enfants ! – qui n’avaient pas particulièrement mérité leur mal ; et sans doute y a-t-il de nombreux non-sidatiques qui ont tout fait pour le mériter… Cependant, on ne peut nier parfois un lien particulier.

 

En raison du mode de contagion de cette maladie, elle est souvent le risque encouru par un comportement immoral (d’où la culpabilité associée). C’est vrai d’autres affections et nous faisons simplement le constat : il est scientifiquement assuré que si les humains s’en étaient tenus à la règle fixée par Dieu, à l’union sexuelle dans le seul cadre du mariage, on n’aurait jamais entendu parler du SIDA. Oui, la loi du Seigneur est bonne, source de vie !

 

 

Vocation

 

Une active compassion

 

Pour les chrétiens, une chose est aussi claire qu’est horrible le SIDA : l’appel que Dieu leur adresse à une active compassion. Qu’un sidatique ait provoqué son SIDA par sa conduite mauvaise (au sens particulier) ou non, il est une victime dans la détresse et nous avons envers lui une dette d’amour. Nous n’avons pas à nous ériger en juges : nous avons tous mérité pire, éternellement. Nous avons à témoigner d’un Père de miséricorde qui n’afflige pas volontiers les enfants des hommes (Lamentations 3.30) et leur porte secours.

 

Il importe, à l’heure où le monde se détourne, pris de panique, où, du moins, il n’a plus rien à offrir, que les chrétiens fassent preuve d’une sollicitude surnaturelle, qu’ils nomment Celui qui seul enlève la culpabilité, qu’ils rendent compte d’une espérance qui triomphe de la destruction du corps.

 

Prévention

 

II n’y a pas que les relations « courtes » avec le prochain, celles du témoignage directement apporté en parole et en acte ; il y a les relations « longues », selon le détour d’une action menée dans la société. On hésite davantage sur le tracé de cette voie car, en un sens, il s’agit toujours du moindre mal. Faut-il appuyer la propagande pour l’usage des préservatifs ? Elle permettra d’éviter des milliers de cas de SIDA et c’est un avantage énorme ; d’un autre côté, telle qu’on la formule (autrement, elle ne passerait pas), elle banalise encore les relations sexuelles hors du mariage et contre nature, elle suggère l’approbation implicite de la société ; elle contribuera ainsi à la dégradation des mœurs qui engendrera de nouveaux malheurs.

 

Pressés par l’urgence, nous pensons qu’il faut quand même accepter ces campagnes « choquantes » en luttant simultanément contre leurs effets d’immoralité. Faut-il organiser le dépistage systématique obligatoire, au moins pour les groupes à risque, faire un grand fichier, refouler les séropositifs aux frontières, leur interdire certaines professions (celle de prostituée pour commencer) ? Il est normal de protéger l’individu contre une hystérie collective mais, protéger la société, c’est aussi protéger les individus, plus nombreux.

 

De tout temps, lors des épidémies, des malades ont eu à subir des inconvénients en plus de leur mal. Certains « libéraux » semblent l’oublier, à propos de mesures prises ou envisagées pour endiguer le SIDA. Jamais, nous semble-t-il, les protestations qu’ils font entendre n’auraient eu d’audience sans la puissance du lobby homosexuel. Dans la Bible, la compassion divine pour les lépreux n’empêche pas des lois divines prophylactiques contre la lèpre.

 

Pour nous, la perspective qui commande reste celle des réalités dernières. La crainte de la maladie restaure, dit-on, le crédit de la morale ? Plusieurs des malades atteints par le SIDA, s’ouvrent, paraît-il, aux questions spirituelles? Ce sont des faits d’importance essentielle. Si le SIDA entraîne un coup de frein à la démoralisation de notre société, s’il est l’occasion pour quelques-uns d’échapper à un sort pire que le SIDA (Jean 5.14) et de connaître le Sauveur qui sauve parfaitement (Hébreux 7.25), alors notre Dieu, une fois de plus, aura su vaincre le mal par un plus grand bien, aura su plier le mal même au service de la vraie vie. Notre vocation est d’être là, fidèles, là où il le fera.

 

H.B.


Note

 

1. : Avec l’aide d’un dossier réuni par Joël RICHERD (Le Bon Combat)