Interview de Daniel RACINE sur :
La traduction de la BIBLE
en français fondamental
SERVIR EN L’ATTENDANT : Vous venez de soutenir avec succès une thèse de Doctorat devant l’Université de Lausanne. Toutes nos félicitations. Quel est le titre exact de votre thèse ?
Daniel RACINE : « Interaction et Fidélité dans l’opération traduisante de la Bible en Français fondamental. »
Pouvez-vous nous dire, pour les lecteurs de SERVIR EN L’ATTENDANT, ce que représente « le français fondamental » ?
C’est une manière de s’exprimer simplement, en sacrifiant le style et la recherche d’originalité de l’expression à la clarté de la phrase. On peut tout dire en Français fondamental, mais sans fantaisie. Le FF exclut les idiomes, l’argot, les mots savants, les métaphores ; le FF dit les choses telles qu’elles sont, dans un vocabulaire courant plutôt que soutenu.
Je comprends, mais alors comment « faire passer » les métaphores, les termes techniques, le vocabulaire spécialisé en Français fondamental ?
Par une méthodologie assez simple, qui consiste à expliciter les termes et les expressions sans les paraphraser, en le disant d’une manière concrète ; en permettant au lecteur de la visualiser.
Par exemple, « le tabernacle », c’est « la tente de la rencontre », le « sanhédrin » c’est « le tribunal » ou « la cour supérieure ». Un « scribe », c’est un « maître de la loi ». Lorsqu’on ne peut pas trouver de termes actuels ou simples, on peut renvoyer à un glossaire par un astérisque ou introduire une note en bas de page. Ou encore « enrober » le mot pour permettre au lecteur de comprendre de quoi il s’agit. L’hysope devient « une tige d’hysope », avec renvoi au glossaire. Le mot « tige » indique déjà qu’il s’agit d’une plante, et non d’un arbre ou d’un arbuste.
Mais pourquoi ne pas « faire monter le lecteur » au niveau des traductions connues ?
Parce que ce « lecteur » ne s’y intéresse pas a priori. Et aussi parce que le texte original est souvent beaucoup plus simple que le texte traduit traditionnellement. La Bible est une parole vivante adressée aux hommes, et non une énigme. Jésus s’adresse aux gens simples, et non aux savants. Même lorsque le style est « littéraire », le message est une interpellation théologique et éthique, non un mystère. Il ne s’agit pas d’expliciter un mystère, mais de rendre clair ce qui était clair à l’origine, et que la tradition et les filtres culturels ont rendu obscur.
Il y a une question que je « brûle » de vous poser car les lecteurs de SERVIR vous la poseraient certainement : Une traduction en FF est-elle fidèle ?
Oui, si c’est le choix du traducteur. Elle est « littérale » dans le sens où on cherche à rendre le message originel aussi fidèlement que possible. Pour accomplir cet effort, on vérifie l’impact du message traduit sur le lecteur. Si cet impact est observable, cela indique que le lecteur reçoit une interpellation. S’il n’y a pas d’impact, cela signifie que le message n’a pas été transmis à ce niveau de lecture.
Est-ce que cette traduction remplace les autres versions ?
NON. Il s’agit essentiellement d’une Bible d’approche. Dans notre société sécularisée, où le vocabulaire « sacré » est perdu, où la culture disparaît, c’est une manière fidèle de présenter la Parole de Dieu, sans filtre culturel, aux enfants et aux individus qui n’ont pas de culture religieuse ou qui ne lisent habituellement pas.
Peut-on vraiment exprimer des vérités bibliques simplement ?
Elles l’étaient à l’origine. On peut même faire de la poésie avec des mots et des structures simples. De toute manière, qui peut prétendre traduire « formellement » la poésie hébraïque ?
Premièrement aux émigrés, deuxièmement aux enfants, troisièmement aux gens qui ne vont pas à l’église, quatrièmement au gens sans culture biblique, cinquièmement à tous ceux qui veulent vérifier que leur compréhension des termes bibliques n’est pas une illusion. Par exemple, qu’est-ce qu’un foulon dans le récit de la transfiguration de Jésus ? Qui « foule » encore le linge dans notre société post-industrialisée ?
Qui peut donner une bonne définition des termes grecs ou latins ? Qu’est-ce que la rédemption, la conversion, la propitiation ? Le traducteur en FF doit le découvrir pour pouvoir le dire simplement et fidèlement, sans recourir au commentaire ou à la paraphrase : rachat, changement d’idée ou d’attitude, recevoir une punition à la place d’un autre, c’est-à-dire « recevoir pour… » Qu’est-ce que la « doxa » – gloire de Dieu – sinon sa présence, sa manifestation puissante ?
Une dernière question plus pratique : Qu’est-ce qui est déjà traduit en FF ?
J’ai personnellement traduit les quatre Evangiles, la Genèse, tout ce qui concerne Moïse dans le livre de l’Exode, les 16 premiers Psaumes. D’autres traducteurs en FF, Lydie RIVIERE et Geneviève COMEAU ont traduit les lettres de Jean, l’Evangile de Luc.
L’Evangile de Jean étudié dans ma thèse va être publié par l’Université de Lausanne.
SERVIR: Daniel RACINE, merci. Nous vous souhaitons du succès dans cette entreprise et la bénédiction du Seigneur.
Interview du 24 décembre 1988 par F.B.
Exemple de traduction en Français fondamental : Le cantique de Moïse (Exode 15)
Moïse et les Israélites chantent. Ils chantent pour leur Dieu, ils chantent en son honneur :
Je chante pour mon Dieu je chante en son honneur, je chante sa victoire. Mon Dieu jette à la mer chevaux et cavaliers. Ma force, c’est mon Dieu, il vient à mon secours. C’est Dieu qui est mon Dieu, je veux chanter pour lui. C’est le Dieu de mon père je veux chanter son nom :
« Celui qui est toujours » ! Mon Dieu combat pour moi, « Celui qui est toujours » est le nom de mon Dieu.
Mon Dieu jette à la mer les chars et les armées du Pharaon d’Egypte, avec leurs capitaines. Dans la mer, ils se noient dans la mer des Roseaux. Ils coulent au fond de l’eau comme une pierre ils coulent. La mer s’est refermée.
Que ta main droite est forte – Elle brise l’ennemi. Mon Dieu, que tu es grand! Tes ennemis s’écroulent. Quand tu es en colère, tu es comme le feu. Voilà tes ennemis, qui se mettent à brûler comme la paille au feu ! |