Envoyez de l’argent, s’il vous plaît !₁

 

par Philip Yancey

 

Depuis un mois, j’envoie à la poubelle chaque lettre qui réclame de l’argent.  Aujourd’hui, je l’ai vidée par terre : soixante-deux demandes d’argent — un total de  presque deux kilos de papier.

D’abord, je lis les lettres politiques… ensuite les demandes écologiques. Celles qui restent (soit les deux tiers du total) viennent de groupes « religieux ». Il y a plusieurs organisations juives, et  quelques ordres catholiques qui m’écrivent, mais de loin les plus nombreuses sont celles dont  l’adresse est « évangélique » Or, je suis frappé par la similitude de ces demandes. Toutes sont  frappées de la mention « urgent » en gros caractères rouges. Toutes comportent les mêmes « postscriptum  » soulignés en bleu et la même invitation à répondre dans les dix jours si je désire que ma  contribution double de valeur. J’en conclus que tous ces gens assistent aux mêmes séminaires de  formation ! 

Après quelques recherches, je découvre que chaque lettre — port payé, coûte environ 26 cents (soit  environ 1 F 25). Si la lettre est personnalisée, c’est plus cher. Quand une organisation loue des  « listings » pour avoir de nouvelles adresses, il arrive qu’une seule personne sur cent réponde.  Ainsi, pour avoir un seul don de 25 dollars, l’organisation doit en dépenser 26. 

J’essaie de ne pas être cynique. J’ai beaucoup de sympathie pour les organisations qui ont besoin de  communiquer avec leurs donateurs. A la limite, si je reçois tant de lettres, c’est bien parce que je  réponds positivement à quelques-unes d’entre elles ! Il y a tout de même des limites ! 

En lisant, les uns après les autres, soixante-deux appels pour de l’argent, ce qui m’impressionne le  plus, c’est la technique employée. Un groupe qui demande de l’argent pour acheter des Bibles pour  la Russie porte un tampon rouge « approuvé par le gouvernement de l’U.R.S.S. ». Une station de  télévision me promet un miracle si je fais don d’un multiple de 7 ! ($ 7,77 ou $ 77,77 ou $  777,77…) ; une de ces organisations m’a même envoyé généreusement un chèque de $ 1 500 ! En  regardant de plus près, je trouve que le bénéficiaire n’est pas moi-même, mais leur mission ; et qu’il  n’est valable qu’accompagné d’un chèque de valeur égale, ou supérieure, de ma part. 

Dans ma confusion, je me tourne vers la Bible, et je relis le plus long appel pour de l’argent que je  puis y trouver. Il s’agit des chapitres 8 et 9 de la 2e épître de Paul aux Corinthiens. C’est un chef-d’oeuvre  de diplomatie. L’apôtre Paul comble de ses louanges les Macédoniens (absents) dans  l’espoir de remuer les instincts de compétitivité des Corinthiens. Il évoque l’exemple ultime de  Jésus, qui pour vous s’est fait pauvre, de riche qu’il était, afin que par sa pauvreté vous fussiez  enrichis 2 Co 8.9-10. Il « flatte » par avance les Corinthiens pour leur don anticipé. 

Mais voilà une chose étrange. Je recherche en vain dans ces chapitres un indice quant à la  destination de ce don ! Paul y dirige l’attention non pas sur les Juifs près de Jérusalem que menace  la famine (Rm 15.25) mais sur les donateurs eux-mêmes. Il ne fait pas le portrait des enfants juifs,  mourant de faim, mais il parle plutôt des donateurs, des croyants, spirituellement enrichis, à  Corinthe. 

Paul parle de la générosité comme d’une discipline spirituelle qui démontre la réalité de l’amour  chrétien, qui suit l’exemple du Christ, et qui l’honore ! Donner, dit Paul, offre au monde un  témoignage exceptionnel — « Les hommes vont louer Dieu pour votre obéissance, votre  générosité » 

Dieu aime ceux qui donnent avec joie et non pas avec réticence. Paul le déclare dans ce passage. Ce  n’est pas étonnant… Donner, comme aimer, ne peut jamais nous diminuer. Des bénédictions  innombrables retombent sur le donateur heureux. Pour reprendre les paroles de Paul, donner élargit  la moisson de votre justice. 

Après la lecture de la lettre de Paul, j’ai repris les 62 demandes pour mon argent. Pas une seule ne  fait référence à mon besoin de chrétien d’honorer Dieu par mon obéissance ! Les bienfaits promis  sont plus matériels : — un album de photos, mon nom sur une liste d’or, un livre gratuit (valeur : $  14,95). 

Qui a raison ? Les experts qui estiment que les Américains sont trop égocentriques pour répondre à  des demandes trop spirituelles ; ou l’Apôtre Paul, qui ne se conforme à aucune règle, pour avoir de  l’argent ? 

Si seulement nous avions les archives des donateurs à Corinthe ! 

P.Y.

---

NOTE
 

1. Extraits d’un article paru dans Interest, avec l’aimable permission de la rédaction.