La Bible du Semeur
Encore une nouvelle traduction de la Bible ?
Interview de Alfred Kuen
Les Editions Sator et Emmaüs viennent de faire paraître une nouvelle traduction du Nouveau Testament.
Est-ce que cela se justifie ? N’y avait-il pas déjà suffisamment de versions de la Bible ?
A.K. : Chaque mois paraissent de nouvelles versions des grandes oeuvres musicales. Qui s’en offusque ?
– Qu’appelez-vous besoins et comment faites-vous le parallèle avec la Bible ?
Pour les voitures, vous avez le choix entre des petites et des familiales, des économiques et des rapides, des limousines, des breaks, des 4 roues motrices, etc. Pour la Bible, les exigences de quelqu’un qui l’étudié depuis des années ne sont pas les mêmes que celles d’un homme qui l’ouvre pour la première fois.
Celui qui veut faire une étude biblique approfondie attend autre chose que celui qui veut avoir un texte fluide et bien compréhensible pour la lecture cursive ou publique. La perfection est de plus en plus grande et les goûts sont divers.
– Ce nombre de versions n’est-il pas un peu déroutant ?
Le nombre de versions est un témoignage à la valeur du texte biblique. On n’a jamais vu paraître plusieurs traductions différentes d’un roman bon marché. Comme il s’agit de la Parole de Dieu, il est de la plus haute importance que l’on sache exactement ce que Dieu nous dit. Or, aucune traduction n’est parfaite. Les conceptions diverses de la fidélité en traduction expliquent la diversité des versions.
Non, certes ! Comme toute langue vivante, notre langue évolue. Pour que le texte biblique reste « à la page », les Sociétés Bibliques elles-mêmes disent qu’il faudrait une révision des versions tous les 25 ans et une retraduction tous les 50 ans. Or, n’oublions pas que notre chère version Segond a plus de 80 ans et que ses révisions – fort appréciées – ont été relativement timides.
D’autre part, les découvertes archéologiques ont permis de mieux préciser le sens de certains mots. Les études approfondies sur les manuscrits ont orienté de manière plus sûre le choix des variantes à retenir. Mais, il est certain qu’entre les différentes versions actuelles, les conceptions différentes de la fidélité dans la traduction, constituent la principale raison des divergences.
– Ce Nouveau Testament est-il une édition révisée de Parole Vivante ?
Non, c’est en fait, une toute nouvelle traduction, faite selon des principes différents. Parole Vivante était une version « amplifiée », combinant en un texte unique les différentes variantes de traduction trouvées dans plusieurs dizaines de versions. Le N.T de la Bible du Semeur est une véritable traduction, faite selon les principes de la « correspondance dynamique ».
La plupart de nos versions sont faites selon le principe de l’équivalence « formelle », c’est-à-dire qu’elles ont gardé autant que possible la forme de la phrase hébraïque ou grecque en substituant des mots français aux mots originaux.
– C’est ce qu’on appelle une traduction littérale ?
C’est ainsi que le Grand Robert définit la traduction littérale : c’est « une traduction aussi près que possible du mot à mot ».
– N’est-ce pas l’idéal pour un texte aussi important que la Bible où l’on voudrait connaître aussi exactement que possible le sens de l’original ?
C’est ce qui semble, à première vue, l’idéal. Mais est-ce que le mot à mot confère te sens de l’original ?
D’abord, aucune traduction ne fait vraiment du mot à mot. Si on voulait rendre Jean 3.16 en mot à mot, cela donnerait à peu près ceci : « Ainsi car a aimé Dieu le monde au point que le Fils, le mono-engendré, il a donné afin que chacun croyant en lui ne pas périsse mais ait la vie éternelle ». Chaque langue a sa syntaxe propre, qu’on ne peut pas simplement décalquer dans une autre langue, sinon on ne comprend plus le sens. Vous comprenez le décalque ci-dessus de Jean 3.16 parce que vous connaissez ce verset d’après d’autres traductions.
Mais prenez un passage moins connu dans une version littérale : « Car nous ne nous étendons pas nous-mêmes plus qu’il ne faut comme si nous ne parvenions pas jusqu’à vous (car nous sommes arrivés jusqu’à vous [dans la prédication de] l’Evangile du Christ), ne nous glorifiant pas dans ce qui est au-delà de notre mesure, dans les travaux d’autrui, mais ayant espérance, votre foi s’accroissant, d’être abondamment agrandis au milieu de vous, non pas pour nous glorifier dans la règle d’autrui, des choses déjà toutes préparées » (2 Co 10.14-1 6, version Darby). Et une autre version littérale ajoute : « Le fier, qu’il mette sa fierté dans l’Adôn » (v. 17, version Chouraqui).
Vous avez bien dit que le lecteur de la Bible voudrait « connaître aussi exactement que possible le sens de l’original ». Malheureusement, souvent, « la traduction mot à mot détruit le sens de l’original et ruine la beauté de l’expression » comme le dit le grand spécialiste américain de la traduction, Eugène Nida.
– Quelle est alors la solution, à votre avis ?
Au mot à mot, il faut substituer le « sens à sens ». Donc la première condition, pour le traducteur, est de comprendre le sens de l’original. Déjà Jérôme, le traducteur de la Bible en latin disait : « Je pouvais seulement traduire ce que je comprenais ». L’exégèse doit donc précéder la traduction. Une traduction littérale est relativement facile à faire : il suffit de remplacer les mots grecs ou hébreux par des mots français en laissant au lecteur le soin de deviner le sens de ce que le traducteur lui-même n’a pas compris. Mais le résultat n’est pas du français, c’est « du grec déguisé en français ».
Que signifie, par exemple : « sage selon la chair », ou : « ceignez les reins de votre entendement » (1 Pi 1.13) ? Cette dernière expression avait un sens pour les contemporains de l’apôtre Pierre, car avant de se mettre au travail, on nouait sa ceinture autour des hanches. Se ceindre les reins signifiait donc se préparer à agir.
Pour être comprise par l’homme moderne, cette expression doit être expliquée, le mot vieilli d’« entendement » doit être remplacé par un équivalent actuel. « Tenez votre esprit en éveil » correspond à peu près à ce qu’entendait un contemporain de l’apôtre Paul. « Amasser des charbons sur la tête » de quelqu’un (Rm 12.20) nous semble de la plus extrême cruauté.
Mais si l’on sait qu’en Palestine, lorsque le feu s’était éteint au foyer, on allait demander des braises à une voisine et que l’on portait ces braises dans un pot de terre sur la tête, on comprend qu’il s’agit d’un acte d’amabilité envers son ennemi – qui le fera peut-être rougir de honte.
– Une fois qu’on a compris le texte, comment le rendre ?
Comme s’il avait été écrit par un auteur francophone, en oubliant la structure de la phrase grecque. Luther se demandait toujours : « Comment un Allemand dirait-il cela ? » Pour trouver la bonne formulation, « il faut interroger la mère de famille, les enfants dans la rue, l’homme du peuple au marché, écouter comment ils parlent et traduire dans leur langue.
Pour cela, il faut souvent restructurer complètement la phrase pour la rendre conforme à l’ordre normal des mots du français, il faut couper les longues tirades en phrases courtes.
– Est-ce que cela n’altère pas le sens ?
Non, au contraire, cela permet de comprendre le sens qu’une version littérale voile souvent. Le lecteur actuel, habitué au style journalistique, n’arrive plus à superviser les différentes connexions logiques existant dans une longue phrase. Pour qu’il puisse comprendre la pensée de l’apôtre, il est nécessaire de marquer des arrêts et de substituer aux pour, qui, que et aux participes présents des ainsi, en effet, car, c’est pourquoi qui marquent tout aussi bien les liens logiques entre les différentes pensées.
– Donc le style lui-même a son importance dans une bonne traduction ?
Sans aucun doute. Et c’est un élément d’une traduction fidèle. « On peut se demander, écrit C. Taber, s’il est légitime d’appeler fidèle une traduction qui remplace un texte original, clair, simple, parfois élégant, par un texte lourd, obscur, maladroit. » Ce n’est en tout cas pas fait pour donner envie de lire la Bible.
Actuellement, une nouvelle génération se tourne vers Dieu : des jeunes qui n’ont plus, derrière eux, des années d’initiation aux vérités de la foi, des adultes déçus par le matérialisme et les idéologies qui ont fait faillite. Ils cherchent dans le Livre de Dieu la réponse à leurs problèmes. Ceux qui ouvrent la Bible pour la première fois ne doivent pas être rebutés par des termes archaïques ou ésotériques, par des phrases longues et complexes.
D’autre part, n’oublions pas que la Bible reste le livre le plus utilisé pour la lecture publique et la mémorisation. Pour ces usages, on a besoin d’un texte fluide, bien adapté au génie de notre langue et à son état actuel. E. Nida et De Waard disaient même que « l’acceptation d’une traduction semble dépendre plus du style que du contenu parce que les lecteurs ne sont pas attirés vers le message si les mots sont choisis et arrangés d’une manière non satisfaisante.
– Quelles sont donc les caractéristiques d’une bonne traduction ?
Elles ont été bien définies par Max-Alain Chevalier : « L’idéal du traducteur est de percevoir, puis de rendre en français, les quatre valeurs que les linguistes reconnaissent au langage : valeur de communication de base ou d’information, valeur logique, valeur affective et valeur esthétique » (L’exégèse du Nouveau Testament, Genève, 1984, p. 37).
– C’est au fond ce qu’on appelle une traduction à « équivalence dynamique »?
Oui, ou à équivalence naturelle ou celle « qui donne l’équivalent le plus proche quant au sens ». Le bon traducteur cherche, non seulement à transmettre le sens du texte, mais à susciter, chez le lecteur moderne, les mêmes réactions affectives et esthétiques que le texte primitif suscitait chez ses lecteurs.
En traduisant : « Femme, qu’y a-t-il entre toi et moi »(Jn 2.4), on fausse certainement la connotation affective de cette question dans la bouche de Jésus.
La valeur esthétique du texte est sans doute celle que la plupart des traductions formelles ont eu le plus de mal à respecter, à cause de leur souci de littéralisme.
Le Dieu qui a revêtu de beauté la plus humble fleur des champs a aussi voulu que sa Parole reflète quelque peu sa splendeur infiniment variée. Cette dimension esthétique du texte est particulièrement importante pour la lecture à haute voix.
D’autre part, il y a dans la Bible quantité de textes poétiques qui devraient se traduire comme des poèmes. Certes, on ne peut pas introduire des rimes sans tomber dans la paraphrase, mais il est possible de rendre ces textes par des vers libres à rythme égal.
– Ce sont donc ces principes qui vous ont guidés pour cette nouvelle traduction. Comment avez-vous procédé ?
Le point de départ était le texte de Parole Vivante, qui avait été élaboré sur la base de près d’une centaines de versions françaises, allemandes et anglaises. Dans les épîtres, j’avais souvent juxtaposé différentes compréhensions possibles d’un même terme et d’un membre de phrase.
La première étape consistait à éliminer tous les doublets pour ne garder qu’une formulation par pensée. Ce texte a ensuite été revu et comparé avec le texte grec par deux, parfois trois théologiens et hellénistes.
Puis un comité de trois personnes (dont un théologien et un professeur de grec) a relu à haute voix tout le texte, Nouveau Testament grec en mains. A chaque difficulté, on s’arrêtait pour consulter lexiques, dictionnaires, commentaires, afin de vérifier le sens des mots et l’exégèse du texte. Parfois, on avançait à raison de cinq heures par chapitre. Si l’on pouvait comprendre l’original de deux ou trois manières différentes, on mettait le sens le plus plausible dans le texte et les autres compréhensions en note.
Après mise au point, ce nouveau texte était soumis à une dizaine de personnes représentant tout l’éventail des futurs utilisateurs : théologiens, professeurs de faculté, cadres supérieurs, mères de famille, personnes extérieures à la foi… Puis le texte était retravaillé en fonction de leurs remarques.
– Tout cela représente des centaines d’heures de travail. Qui est-ce qui a financé ces travaux ?
C’est exact. Une partie du travail a été fait bénévolement par des gens convaincus de la nécessité d’avoir une traduction répondant aux caractéristiques définies tout à l’heure. Une autre partie a été réalisée par des personnes travaillant à mi-temps ou à trois quarts de temps sur ce projet.
La charge financière la plus importante a été portée par la Société Biblique internationale, désireuse d’avoir un texte français bien compréhensible qu’elle puisse diffuser à grande échelle dans les pays francophones du Tiers-Monde.
En même temps, les Editions Sator et Emmaüs désirent offrir au public francophone européen un texte adapté à la fois à l’évangélisation et à l’étude biblique en alliant, dans la mesure du possible, les avantages de l’équivalence dynamique à ceux de l’équivalence formelle, ou, si l’on préfère, ceux de la Colombe et de la Bible en français courant.
Nous en avons bien conscience, mais l’importance du texte biblique valait l’essai. Des traducteurs expérimentés de la Bible – comme J.-M. Nicole et A. Chouraqui – disent que plus on multipliera les traductions, mieux cela vaudra.
Chaque nouvelle version permet d’atteindre une nouvelle couche de la population et de renouveler la lecture des textes familiers pour les chrétiens de longue date.
Pour certains passages difficiles (1 Co7.14 ; 15.29 ; 1Ti 2.14-15), cette version leur propose des solutions nouvelles qui, nous le pensons, s’accordent mieux avec l’analogie de la foi que celles de nos versions habituelles.
A vous de les découvrir et de dire si cette nouvelle version vous permet de mieux comprendre la pensée que Dieu voulait nous communiquer dans sa Parole.