La prière-devoir

 Mains en prière

par André Adoul

 

« Fais de l’Eternel tes délices et il te donnera
ce que ton coeur désire » (Ps 37.4).

 

 

 

Une fillette de 5 ans s’évertue à maintenir dans ses bras un gros poupon remuant. Un passant la regarde et s’apitoie sur elle :

 

– Ma petite, je vois que tu portes un bien lourd fardeau ! Indignée, la fillette de répliquer : – Ce n’est pas un fardeau ! C’est mon frère.

 

Belle réponse dont on devrait se souvenir. Rien n’est pesant quand on aime.

 

 

L’ordre de prier

 

Savez-vous pourquoi la prière est pour beaucoup un fardeau, une corvée accomplie sans chaleur, presque à contre-coeur, peut-être pour apaiser une conscience alertée par les nombreux impératifs bibliques : « Priez sans cesseFaites en tout temps par l’Esprit toutes sortes de prières… – Persévérez dans la prière. Veillez-y avec actions de grâcesII faut toujours prier et ne pas se lasser... » (1Tm 5.17 ; Ep 6.18 ; Col 4.2 ; Lc 18.1). Sans doute parce qu’elle est généralement présentée comme un devoir à remplir à l’égard de Dieu, une loi à observer avec rigueur, un exercice auquel je dois impérativement me livrer si je tiens à grandir spirituellement.

 

Voici comment l’auteur d’un ouvrage remarquable traitant de ce sujet introduit le premier chapitre de son livre : « L’enfant de Dieu avisé… écrit-il, est poussé à s’écrier : Je dois prier, prier, prier. Je dois mettre toute mon énergie et tout mon coeur à la prière. Quoi que je fasse d’autre, je dois prier. » Sans doute n’est-il pas inutile de tenir un tel langage car nous sommes plutôt enclins à négliger ce service, car c’en est un des plus importants ; et pourtant, si la prière n’est qu’un devoir, je ne tarderai pas à la délaisser et j’entonnerai bientôt avec tant de chrétiens le refrain qui ne change rien à rien : « Seigneur, pardonne-moi de ce que je ne prie pas comme je devrais prier. »

 

 

La fatigue de prier

 

Hélas ! Le zèle tombe vite lorsque j’agis « par devoir ». J’ai beau engager la lutte avec détermination, redoubler d’effort pour donner du temps à Dieu, je suis très vite déçu et culpabilisé en découvrant la sécheresse de mon coeur et mon manque de ferveur. Honnêtement, suis-je satisfait de ma vie de prière, même si je me discipline au point d’y consacrer de longs instants ? Est-ce que je sers le Seigneur avec joie (la prière est un service qui recevra sa récompense, Mt 6.6) ? Hélas !

 

Trop souvent et après de multiples défaites, le Seigneur peut nous apparaître tel un maître dur, exigeant, impossible à satisfaire, « qui moissonne où il n’a pas semé » (Mt 25.24). Il serait temps de se poser la question suivante en pensant à ce Dieu ainsi accusé : Quelle serait la réaction d’un fiancé s’il s’apercevait que sa bien-aimée ne le recherche que par devoir, n’éprouvant aucun plaisir à s’attarder auprès de lui, espaçant de plus en plus les rencontres et faisant la moue lorsqu’il lui propose un nouveau rendez-vous ?

 

Attristé de constater ses réticences, le jeune homme ne manquerait pas de lui poser la question que Jésus, par trois fois, lança à Simon Pierre : Oui ou non, « m’aimes-tu » ? Dieu non plus ne peut être satisfait de me voir traîner les pieds devant lui, de le prier sans joie, simplement pour prier, parce qu’il faut prier, pour obéir à un commandement que je taxe volontiers de pénible. Lui aussi est en droit de m’interroger : Oui ou non, m’aimes-tu ?

 

 

Le moteur de la prière

 

Et pourtant, son joug est aisé et son fardeau léger !

 

Vous qui êtes parents, demandez à votre enfant d’écrire une longue lettre à une vieille tante qu’on ne voit jamais. Si vous avez quelque autorité, il finira par s’exécuter mais c’est en grognant qu’il prendra la plume et le style s’en ressentira. Lorsque le fils sera devenu adulte, il ne sera pas nécessaire d’intervenir ou d’insister pour qu’il écrive à sa fiancée. Peut-être lui enverra-t-il une missive tous les jours et d’une autre facture. Alors votre rôle se bornera., à lui fournir des timbres.

 

Enfant priantLe moteur de la prière n’est-ce pas l’amour, l’amour qui rend le fardeau léger ? Non pas l’amour que « je » m’efforce de créer mais « Son » amour, le sien qu’il me donne, Lui qui pourvoit à tous mes besoins. Et celui-là en est un. Et un grand.

 

Jean ainsi que les apôtres qui observaient les faits et gestes de leur Maître étaient émerveillés de voir la façon dont le Fils s’entretenait avec son Père. Leur intimité et leurs relations étaient d’une telle qualité qu’ils allaient jusqu’à les qualifier de « glorieuses ». Que leurs prières étaient misérables comparées à celles de Jésus ! Et comme ils avaient besoin d’apprendre à prier (Luc 12.1 ) !

 

« Nous avons, s’exaltait l’apôtre Jean, contemplé sa gloire, une gloire comme la gloire du Fils unique venu du Père » (Jn1.17). En parlant de gloire (à trois reprises dans cette parole) l’apôtre ne pense nullement à l’infinie splendeur de la majesté que Jésus possédait « avant que le monde fût » (Jn 17.5) et dont il s’était volontairement dépouillé : aux yeux des hommes, « il n’avait rien pour attirer les regards »

 

Sur la montagne de la Transfiguration ainsi qu’à Patmos l’apôtre, un instant ébloui, s’était bien gardé de contempler ce qu’un regard humain ne pouvait soutenir. Saisi de terreur, il n’y songeait même pas. Ici, Jean parle – notez les mots employés – de la gloire « comme celle du Fils unique ». Jésus vivait si près de son Père et leurs relations étaient si harmonieuses, si parfaites qu’elles forçaient l’admiration de ceux qui en étaient les témoins.

 

A genoux, qu’il était grand le Fils de Dieu !

 

 

La liberté dans la prière

 

Moïse descendant du Sinaï après un long face à face avec l’Eternel avait un visage rayonnant au point que le peuple craignait de s’approcher de lui (Ex 34.30). Evoquant ce récit, Saint Paul parle de « gloire », de « la gloire pourtant passagère de son visage » (2 Co 3.7). Or, le visage du Fils était infiniment plus rayonnant, donc plus glorieux ; il reflétait tellement les perfections du Père qu’il pouvait dire sans vanité : « Celui qui m’a vu à vu le Père » (Jn14.9).

Dans leurs entretiens répétés éclataient chez le Fils la certitude joyeuse d’être aimé, une fidélité filiale sans faille, une ferveur authentique, une liberté totale devant celui qu’il invoquait. Il n’y avait aucune ombre, aucun nuage dans leurs relations (Jn 10.30). Le ciel était toujours ouvert lorsqu’il priait et il entrait d’emblée en communion parfaite avec le Père. Alors, toute la personne du Fils criait : « Gloire ! »

 

 

La soif de la prière

 

Quiconque a même une faible idée de cette gloire est humilié, il prend en dégoût ses prières sans vie et il éprouve une réelle soif, la soif de vivre pareille intimité avec le Seigneur. N’est-ce pas ce que nous devrions rechercher ? Mais est-il possible d’y parvenir ? Oui, puisque l’apôtre nous y encourage lorsqu’il écrit : « Vous avez été appelés à la communion de son Fils Jésus-Christ ». C’est-à-dire à connaître ces étroites relations que le Fils entretenait jadis avec son Père et qu’il désire vous communiquer, telle une grâce.

 

C’est pourquoi, ne nous contentons pas de la prière-obligation, d’une prière forcée, d’une prière-corvée qui offenserait le Seigneur. Dieu ne moissonne que là où il a semé. Avant de recueillir des fruits, il veut d’abord « semer », c’est-à-dire, répandre son amour pour lui dans mon coeur; je dois d’abord recevoir pour donner. Je ne pourrais prier avec amour que si je désespère de « mon » amour, accepte d’y renoncer en réclamant le sien. Je veux en finir avec mes balbutiements et mettre un terme à mes vaines redites dénuées de ferveur pour lui dire, avec l’auteur du Psaume 119 : « Elargis mon coeur… et je courrai dans la voie de tes commandements » (v. 32). Autrement dit, réchauffe-le et la prière fusera.

 

Ne voudriez-vous pas, maintenant, tenir un semblable langage devant Celui qui vous appelle à la communion de son Fils ?

 

 

La grâce de la prière

 

Je suis conscient que ces lignes peuvent devenir un piège pour ceux qui seraient tentés de conclure : « Puisque je n’éprouve aucun plaisir à prier et dois me faire tirer l’oreille pour ployer les genoux… ` j’attends’ que Dieu me saisisse et me communique l’amour qui me poussera à Le rechercher ». Halte là ! Dieu ne donne rien aux passifs qui « attendent d’être poussés ». Il répond à celui qui a soif de le rencontrer… qui vient à Lui pour recevoir la grâce de prier et qui boit, c’est-à-dire saisit par la foi cette grâce selon la parole même de Jésus (Jn 7.37)

 

Soyons pratiques :

 

  • A genouxAprès la lecture de ces lignes, sans attendre, je me mets à genoux, sans hâte, un instant silencieux devant lui. M’approcher de Lui, c’est déjà l’aimer.

 

  • Si la prière est pour moi un devoir pénible, je le reconnais et l’avoue humblement au Seigneur. En tout cas, je cesse de me culpabiliser ou d’en faire un prétexte pour rester loin de Lui.

 

  • Assuré de son pardon, je formule ma demande « qui est selon sa volonté » : Seigneur, donne-moi une envie d’être avec toi parce que tu es un Dieu incomparable.

 

  • Je Le bénis sans attendre car il a déjà répondu à ma requête. Donc, inutile de m’attarder sur ce que je ressens, ou de me laisser aller au découragement si ma prière est vraiment médiocre. Peu importe. Je détourne les yeux de moi-même et de mon service pour les fixer sur celui que j’invoque : n’est-il pas merveilleux ?

 

« Voici l’assurance que nous avons auprès de Lui : si nous demandons quelque chose selon sa volonté, il nous écoute. Et si nous savons qu’Il nous écoute, quoi que ce soit que nous demandions nous savons que nous possédons ce que nous Lui avons demandé ». (Jn 5.14-15)

 

Alléluia.

 

A.A.