Il n’y a plus de jeunes dans l’Eglise
par Giuseppe Barbanotti
Ce cri, qui nous arrive d’Italie, se fait entendre aussi, quelquefois, en Grande-Bretagne, en Amérique et même en France. S’il est vrai que certaines églises – est-ce une minorité, est-ce une majorité ? – ont des jeunes, et avancent avec enthou-siasme vers l’an 2000, il y en a d’autres qui meurent – « gentiment » mais inévitablement. Pourquoi ?
Pourquoi des jeunes désertent-ils nos assemblées ? Ne réagissent-ils pas contre certaines de nos attitudes qui les rebutent ?
Il y a dix ans, Giuseppe Barbanotti a cherché à déceler quelques facteurs d’éloignement des jeunes. Ses réflexions, très pratiques, ont été présentées lors d’une rencontre générale d’Anciens, à Poggio-Ubertini. Nous pensons qu’elles peu-vent nous aider à analyser aujourd’hui la situation dans notre église, si jamais le nombre des jeunes est en diminution.
1. L’autorité oppressive ou despotique de certains parents qui imposent à leurs enfants, de façon légaliste, de participer à la vie de l’assemblée.
La préoccupation, compréhensible, des parents qui désirent la conversion de leurs enfants peut se révéler nuisible, et notre insistance peut produire l’effet contraire : « Etant donné que tu vis avec nous, tu dois venir à l’assemblée » – « C’est un brave garçon, mais il n’est pas encore converti, il ne fréquente pas l’assemblée… » ; et au fond, souvent, c’est la seule chose qu’on lui demande pour être « un bon chrétien ». Cela risque d’irriter l’adolescent, qui juge inconséquente cette façon de vivre le christianisme ; par conséquent, il s’éloigne. Saint Augustin dit : « II est bien plus important de parler de son garçon à Dieu que de parler de Dieu à son garçon. »
2. L’attitude opposée, consistant à se désintéresser presque totalement de l’éducation spirituelle des enfants (ne pas les aider dès leur plus jeune âge à lire la Bible, à fréquenter l’école du dimanche, les camps, etc.).
Nous ne devons pas tomber d’un extrême dans l’autre. Au nom d’une conception erronée du libre choix que les jeunes devront faire, nous les laissons à la merci de toutes les pressions extérieures au lieu de leur inculquer l’amour pour le Seigneur. L’Ecriture Sainte confie aux parents (et à l’assemblée) le devoir d’instruire leurs propres enfants pour qu’ils parviennent à la foi (Pr 22.6 ; Dt 6.7 ; 2 Tm 3.15). H. Blocher écrit : « II faut démasquer le mensonge humaniste d’une mentalité abstentionniste qui, derrière le prétexte de respecter l’âme de l’enfant, l’abandonne au dieu de ce siècle. » II faut corriger l’erreur diabolique selon laquelle il faut attendre que l’enfant comprenne.
3. Les interdictions et les obligations (« tu ne dois pas faire… tu dois faire… ») qui sont proposées comme « la manière de vivre » chrétienne ! Généralement ce modèle déformé sera refusé à l’âge de l’adolescence.
Les parents (ou l’assemblée) risquent d’obscurcir et de tordre l’Evangile précisément quand ils croient l’enseigner, et cela a des conséquences graves. Il est très facile de tomber dans une religion de « négociation »» : « Si tu fais le bien, tu recevras le bien » – « Si tu es gentil, tu iras au ciel. » Le légalisme empoisonne souvent l’éducation chrétienne dans la famille et dans l’assemblée. L’enfant en vient à penser que la vie chrétienne consiste en règles à suivre, en expériences à faire, et la foi apparaît comme une oeuvre supplémentaire. Un enfant disait un jour : « Le christianisme, c’est tout ce que nous ne pouvons pas faire ! » L’Ecriture déclare : « Fils, obéissez », et non : « Pères, faites obéir vos enfants. »
4. Certains choix que des parents font pour leurs enfants : genre d’études ou de métier, peuvent les pousser à s’éloigner.
Parfois, c’est en toute bonne foi que notre bonne volonté comporte un élément d’ambition pour l’avenir des enfants ; nous les poussons à suivre des études pour lesquelles ils ne sont pas doués ; nous les éloignons de la maison au moment le moins propice pour leur âge (pour leur bien, affirmons-nous), sans évaluer suffisamment quelles pourraient en être les conséquences, soit en raison du milieu nouveau, soit de leur éloignement. Puis si, dans l’orientation de nos enfants, nous avons tenu compte en premier lieu de leur bien futur du point de vue matériel (bonne profession, sécurité économique, etc.), nous ne devrons pas nous étonner ensuite si nos enfants ne sont pas intéressés par notre Dieu !
5. Les croyants (famille et assemblée) qui sont peu conséquents avec le message qu’ils proclament.
Citons encore M. Blocher : « Bien des erreurs seront oubliées si la vie des parents (ou de l’assemblée) est une prédication vivante de l’Evangile. Ce qu’ils sont dans leur vie chrétienne, à la maison, compte beaucoup plus que ce qu’ils font pour enseigner la Bible. Même le grand Salomon, avec toute sa sagesse, n’a pas été attentif à cette vérité ; professeur de pédagogie, il a donné à ses enfants l’exemple du compromis, et cet exemple a laissé des traces plus profondes que ses sentences si bien formulées. Nous savons ce que fut Roboam. »
II semble que les enfants aient un sixième sens pour déceler toutes les incohérences des adultes.
a) Les jeunes ont besoin de voir la différence que fait l’Evangile dans nos vies.
b) Ils ont besoin de découvrir dans nos vies la présence de Dieu ! Un des plus grands obstacles sur le chemin de la foi, pour nos contemporains sécularisés, est l’impression d’irréalité qui, selon eux, est associée à la Parole de Dieu.
c) Les jeunes doivent voir que les adultes vivent du pardon de Dieu. L’autorité que Dieu confère à l’adulte (parents ou ancien) peut contenir une tentation. On risque de faire l’impossible pour paraître parfait, infaillible peut-être ! C’est précisément à cause de nos chutes que nous finissons par communiquer à nos jeunes un Evangile légaliste, qui n’est pas un Evangile… Avec le pardon se renouvelle la liberté. Les enfants savent très bien si leurs parents sont libres ou non ; les parents et les adultes doivent faire attention, et ne pas employer deux poids et deux mesures quand ils font leurs estimations : rigidité sur les questions de forme, et position floue sur les questions de fond.
6. Peu ou pas d’intérêt de la part de l’assemblée pour les événements de la vie de tous les jours (problèmes du travail, de l’école, de la vie politique), et une attitude parfois hostile à la culture qui nous environne pousse les jeunes à « essayer », à « connaître », à faire ces choses que nous estimons inutiles, alors qu’ils les estiment utiles et nécessaires.
Un exemple : des jeunes proposent à l’assemblée un programme post-scolaire : organisation du temps libre, bibliothèque ouverte au public… L’assemblée tergiverse. Tous ne sont pas d’accord, plutôt opposés. Ces jeunes, voyant la nécessité de cette activité, la mettent en route, mais hors du cadre de l’assemblée, en s’appuyant sur des organisations séculières. Ils pensaient que si ce service avait été assuré par des croyants, le témoignage aurait été beaucoup plus efficace. Maintenant, cette activité les absorbe beaucoup et certains ne fréquentent plus l’assemblée.
L’assemblée ne porte-t-elle pas une part de responsabilité ? Pourquoi est-ce qu’on insiste sur la fréquentation des réunions, tout en se désintéressant de cette activité ? Des jeunes me faisaient remarquer que, dans l’assemblée, ils ont l’impression de se trouver dans une cage. « Nous éprouvons le besoin de connaître la culture qui nous entoure… et si cela est interdit, il est clair que nous serons tentés de sauter par-dessus la barrière. » (N’oublions pas que plusieurs de ces jeunes ne sont pas encore des croyants.)
7. La monotonie et la répétition des réunions où l’on répète des messages trop abstraits, trop « consolants », mais qui, selon les jeunes, ne contiennent pas de réponses concrètes.
Voici les raisons qui reviennent le plus fréquemment : « On dit toujours la même chose… on ne nous donne pas des réponses concrètes… on n’approfondit pas les problèmes. Par exemple : aimer le prochain, qu’est-ce que cela signifie pratiquement à l’école, dans les milieux du travail, dans le quartier où l’on habite ? » Un jeune déclarait que la pauvreté des arguments, la répétition constante et l’abstraction sont imputables au fait qu’il n’existe pas de lien avec la pratique.
On n’éprouve pas, au départ, la possibilité de transformer les paroles en faits concrets importants pour l’assemblée. Devant ces critiques, assumons nos responsabilités ! Nous devons admettre que, dans certaines assemblées, l’unique « nouveauté » durant toute l’année se limite aux visites des frères venus du dehors, ou à quelque réunion régionale !
8. Absence de dialogue, imputable à une conception fausse de l’autorité : parce que les jeunes doivent apprendre, les adultes, parfois, prennent des attitudes de professeurs paternalistes. Nous devons nous rendre compte que cette façon de communiquer est refusée a priori par beaucoup de jeunes de nos jours.
Voici une critique à laquelle nous devons donner des réponses bibliques satisfaisantes : « On a parfois l’impression que, dans l’assemblée aussi, existe le magistère de l’Eglise parce qu’on ne nous donne pas une lecture libre de l’Ecriture, mais cette lecture et son interprétation doivent correspondre aux règles de l’assemblée… En fait, souvent, la présence de l’adulte dans le groupe est vue justement en fonction de ce contrôle. De tels comportements expriment le manque de confiance. »
9. L’esprit de jugement et le peu de tact devant le comportement des jeunes peuvent être la cause de l’éloignement. Le jeune, surtout lorsqu’il se trompe, a besoin d’aide ; parfois au contraire, il se sent jugé.
Il y a de très nombreux témoignages de jeunes qui, attirés par mille choses, ont « essayé ». Ensuite, au lieu de se sentir aidés affectueusement, ils se sont sentis plutôt jugés. Une jeune fille avait des amies appartenant à des familles non-évangéliques et fréquentait leur compagnie. Elle ne voyait aucun mal à cultiver cette amitié. Mais, dans l’assemblée, on a exprimé des jugements peu fraternels sur son compte. Elle s’est sentie blessée et s’en est allée.
Parfois, au lieu de faire un effort pour comprendre, on s’abandonne facilement à juger les jeunes, pour leurs idées, pour leurs extravagances, et on les prend même en pitié. Ceci aggrave les choses : nous impliquons dans notre jugement les familles, en les rendant responsables avec leurs enfants. Le jeune ne supporte pas cela. « Je me suis trompé, moi… et non mes parents ! » II conclut que cette ambiance ne lui va plus. Il manque de maturité, et nous pouvons comprendre sa réaction, même si nous ne l’approuvons pas.
N’oublions pas que, sous l’écorce apparemment dure de l’adolescent, se cache une personne manquant de sécurité, en pleine recherche. Sa sensibilité est grande. Je voudrais que nous – les adultes – nous réalisions que beaucoup de jeunes que nous croyons « dehors » ne le sont pas du tout ; ils restent en marge à cause d’un sentiment profond de culpabilité, et attendent qu’une main secourable les aide.
10. Le peu d’amour mutuel des croyants.
Les disputes, les médisances, les luttes entre « clans de famille » sont mortelles pour beaucoup de jeunes.
11. Une certaine pression psychologique exercée sur des enfants ou des adolescents « pour les aider à se convertir » peut parfois se révéler plus tard être la cause de leur éloignement.
Cette pression peut être exercée de diverses manières. Par exemple, certaines façons de diriger un camp, une école du dimanche, ou un groupe de jeunes peuvent créer une ambiance « artificielle » mettant en condition les jeunes au point qu’ils se sentent « contraints » à se conformer à l’ambiance. Les jeunes s’adaptent, mais se rendent compte, après être sortis de cette ambiance, qu’ils ont été induits à ne pas être vraiment « eux-mêmes » pendant cette période.
II arrive aussi que ce que quelques moniteurs osent appeler « des fruits » n’est en fait que du vent. Quand les jeunes s’en aperçoivent, ils s’en vont ! Il ne serait pas honnête de se réfugier derrière la phrase habituelle : « Ils n’étaient pas nés de nouveau ». Demandons-nous plutôt s’il n’y a pas eu de notre part des responsabilités ou des erreurs qui ont favorisé leur éloignement. Demandons-nous si nous ne leur avons pas arraché – en toute bonne foi, je le veux bien – telle ou telle profession de foi, manipulant leurs sentiments, ou peut-être les épouvantant par l’annonce d’un message pas complètement évangélique.
12. Le manque de disponibilité.
Nous ne sommes pas toujours suffisamment disponibles pour écouter les opinions, les idées et les doutes des jeunes. Parfois ces derniers, spécialement s’ils sont portés à la spéculation intellectuelle, s’adressent ailleurs parce qu’ils craignent d’être soupçonnés d’hérésie s’ils expriment librement leur pensée.
13. Parfois, l’éloignement est imputable à des raisons sentimentales : le choix du conjoint l’attire hors de son milieu d’origine.
Dans les milieux minoritaires comme les nôtres, les jeunes ne trouvent pas toujours facilement « l’âme soeur » qu’ils recherchent. Ils sont donc attirés ailleurs et abandonnent leur assemblée d’origine.
Mais j’ai constaté que cet abandon les peine quelquefois – et qu’après un certain temps, ils reviennent, malgré les difficultés d’un tel retour. Ces difficultés sont liées, soit aux conditions de leur départ, soit au problème d’insertion du conjoint dans un foyer mixte.
14. Parfois, par contre, l’éloignement de certains jeunes ne repose sur aucune motivation apparente, si ce n’est leur simple choix.
Il reste la prière, ne les oublions pas.
G.B.