Libraire et missionnaire
Alain KITT interviewé par Esther Buckenham
Le Havre. Centre ville. Tout près du grand magasin le Printemps, une antenne lumineuse annonce une Librairie Chrétienne. Et à deux pas de là, dans la rue Galliéni, deux grandes vitrines présentent la Bible et toutes sortes de livres et brochures chrétiens. Entrez ! Alain et Anne Kitt vous y accueilleront.
E.B. Bonjour Alain ! Voilà déjà 16 ans que vous, un écossais, avez quitté votre beau pays pour vous établir en France. Qu’est-ce qui vous a ainsi poussé à émigrer ?
Ma « passion » pour la France – le pays, sa langue, sa culture – date de plusieurs années avant ma conversion. Après celle-ci, en 1970, elle s’est élargie avec une dimension spirituelle, nourrie abondamment pendant mon année de stage qui s’est déroulée à Toulouse en 1970-71. Suite à notre mariage en 1974, Anne et moi avons consacré une partie des grandes vacances (nous étions tous deux enseignants) à des camps de jeunes et des campagnes d’évangélisation en France. Cet engagement a évolué, et notre assemblée à Paisley, en Ecosse, a été d’accord de nous soutenir dans un ministère à plein temps à Toulouse, où nous avons travaillé pendant sept ans avec les assemblées du Mirail et de l’avenue de Lombez.
Au Havre, vous continuez le travail commencé en 1966 par Colin porteous – qui lui-même venait d’Edimbourg en Ecosse … Qu’est-ce qui vous a attiré au Havre ? Et en quoi consiste votre travail ?
En 1983, Colin Porteous m’avait parlé du besoin au Havre de quelqu’un qui pourrait s’occuper de la librairie qui avait un grand potentiel, et en 1986 nous avons quitté Toulouse – où nous avons toujours de très bons amis – pour travailler avec l’assemblée du Havre, avec la responsabilité spécifique de la librairie. Depuis le départ de Colin et Rhoda pour Clermont-Ferrand, j’ai aussi plus de travail dans l’Eglise. En semaine, donc, je m’occupe huit heures par jour de la librairie en centre ville, et j’ai des responsabilités d’ancien dans l’Eglise.
Je note que vous avez beaucoup étudié avant de venir : votre épouse Anne et vous-même avez obtenu des maîtrises … En quelles disciplines ? Et où avez-vous fait vos études ?
Nous avons tous les deux fait nos études à l’Université d’Edimbourg, où j’ai obtenu une maîtrise en Français et en Linguistique, Anne en Littérature anglaise et Grec ancien. Nous avons aussi obtenu l’équivalent du CAPES, et avons enseigné avant de venir en France.
Pendant vos années de travail au Havre, avez-vous été « encouragés » (comme on dit !), et le travail a-t’il prospéré ?
Comme dans toute situation, il y a eu des hauts et des bas, avec des moments où nous nous sommes demandé si la librairie pouvait vraiment se développer. Mais le Seigneur a agi, et nous sommes comblés par ce travail, tout en souhaitant qu’il progresse encore. Nous pensons avec reconnaissance à quantité de personnes pour qui la librairie a été le premier point de contact avec l’évangile. Nous avons vu les ventes se multiplier, et la librairie devenir libre de toute subvention de la part des chrétiens. Mais elle reste dépendante soit d’un gérant à plein temps, soit d’une équipe de bénévoles.
Le travail de l’Eglise est plus lent, les progrès moins faciles à mesurer. L’acquisition d’un local en 1993 a représenté un pas en avant, et nous prions pour que le Seigneur établisse ce témoignage. L’engagement des membres de l’Eglise est une source d’encouragement, il est bon de se sentir intégré dans une équipe.
Revenons à la Librairie … ! Je peux me tromper, mais il me semble que chaque fois que ce sujet est abordé, vos yeux et votre voix s’illuminent et s’animent ! C’est un aspect du travail qui vous est exceptionnellement cher. Pourquoi ?
Oui, il est vrai que c’est un travail qui nous passionne. Nous sommes convaincus tous les deux du bien inestimable que peut faire la bonne littérature chrétienne. Nous l’avons expérimenté dans notre propre vie chrétienne, et il nous semble que la présence d’une librairie chrétienne dans une ville comme le Havre n’est pas de trop.
La vitrine de la librairie a été brisée à deux reprises au cours de ces derniers mois. Pensez-vous qu’il y ait une opposition caractérisée du public contre une librairie chrétienne ?
Non, pas vraiment. La première fois, c’était un « accident » : un jeune homme dans un moment de déprime a lancé un coup de poing, et c’est notre vitrine qui se trouvait devant lui ! Son père a pris contact avec nous pour régler les dommages. La deuxième fois, c’était la nuit du Nouvel-An, et une bande de jeunes a célébré la fête en cassant un peu partout dans la ville. Par un « juste » retour des choses, c’est le jeune homme qui avait cassé la vitrine la première fois, qui a entendu le bruit et a permis à la police d’intercepter la bande ! Il n’y a pas d’hostilité caractérisée envers la librairie ; parfois des commentaires désobligeants de la part de certains passants, mais on s’y habitue !
Vendez-vous beaucoup de Bibles ?
Oui. Combien exactement, il m’est impossible de le dire comme cela, mais c’est de loin le livre que nous vendons le plus.
Est-ce que les personnes qui achètent une Bible vous posent beaucoup de questions sur son contenu ?
Oui, parfois des questions surprenantes, comme « vous êtes sûr que les Evangiles sont dedans ? » Quelquefois les gens sont perplexes devant la multiplicité des traductions, parfois ils avouent ne pas savoir comment la lire. Autant d’occasions de partager avec eux ce que la Bible représente pour nous.
Une dernière question : Comment arrivez-vous à concilier les différents aspects de votre travail ? Prédicateur, pasteur, Librairie, mari et père de famille ?
Le plus difficile, c’est de trouver l’équilibre entre le travail exigeant de la librairie (non, on ne passe pas toute la journée à lire quand il n’y a pas de client !) et l’engagement dans l’Eglise. Heureusement les membres comprennent très bien que je ne suis pas « à plein temps » dans l’Eglise.
Quant à notre vie de couple et de famille, Anne et moi avons le privilège de partager ensemble le travail de la librairie. Il y a deux ans nous avons pu déménager dans un appartement en centre ville, près de la librairie. Cela nous facilite beaucoup la vie (avant nous avions une demi-heure de trajet). Je me souviens d’un après-midi où Anne était à la librairie pour me permettre de passer un peu de temps avec ma mère qui nous rendait visite. Elle a vu arriver un jeune homme qui par le passé, nous avait menacés dans le but d’obtenir de l’argent ; elle a pu m’avertir par téléphone avant qu’il n’entre, et cinq minutes après j’étais là ! Cette proximité nous permet aussi d’être tous en famille à midi.
Bref, nous nous sentons tout à fait à notre place ici ! Notre souci, c’est l’avenir de la librairie à long terme. Nous ne voulons pas qu’elle soit « notre » librairie, et aimerions savoir que si nous étions appelés à partir, ce ministère se poursuivrait.
Merci beaucoup Alain, pour votre témoignage. Je pense que les lecteurs de « SERVIR en L’attendant » seront heureux de faire meilleure connaissance avec vous et qu’ils seront heureux de prier pour votre travail au Havre …
E.B.