Jésus et sa famille1
par Charles RICK
Lectures bibliques : Luc 2.41-52 ; Marc 4.31-35 ; Jean 20.25-27
Un hebdomadaire français écrivait récemment, après avoir constaté que la famille restait le lieu où ses membres se serraient les coudes pour s’entraider : « C’est un contrat souscrit par huit français sur dix, qui trouvent en son sein chahuté une garantie contre toutes les vicissitudes. Bon an, mal an, elle a donc résisté à l’outrage des ans. Certes son visage a bougé. Elle n’est plus l’alliance d’un couple et d’enfants unis pour l’éternité. Mouvante, elle se sépare, se retrouve, se déchire, mais se recompose de plus en plus vite, comme si personne ne pouvait assumer de vivre trop longtemps sans elle. »
Nous sommes bien obligés de constater combien le contenu de la notion de famille a évolué. Il vaut donc la peine de nous interroger sur ce que le Seigneur pense de la famille, comment il a assumé ses liens familiaux, comment, en tant qu’adulte, il a fait ses propres choix dans le cadre des relations avec les siens.
A. Jésus et ses liens familiaux
Toute vie humaine comporte deux facteurs complémentaires :
– un certain déterminisme
– une liberté personnelle pour nos choix propres.
Un certain déterminisme…
Chacun de nous est né dans une famille particulière qui, avant même notre naissance, avait son histoire, son caractère propre. C’est une situation indépendante de notre choix, mais qui influencera toute notre vie future. Donc un certain déterminisme nous marque.
Nous portons le nom de nos parents, le prénom choisi par eux, nos parents (qui exerceront sur nous une bonne ou mauvaise influence) ont leur histoire propre, histoire marquée, soit par des souvenirs glorieux, d’un passé prestigieux, ou bien d’événements douloureux.
Nous ne choisissons pas nos frères et sœurs, mais des liens forts nous unissent à eux. Nous ne choisissons pas notre lieu ni notre date de naissance, ni notre sexe, ni la langue que nos parents nous apprennent, ni leurs professions, leur rang social. Autant d’éléments de notre vie qui nous échappent.
Comment Jésus a-t-il assumé tous ces éléments le concernant aussi bien en tant qu’enfant qu’adulte ?
Daniel Roys, un historien, écrit : « La famille en Israël, était la cellule de base de la société, la pierre angulaire de tout l’édifice… elle n’était peut-être plus aux jours de Jésus, aussi fortement maçonnée qu’à l’époque patriarcale, où l’individu n’existait rigoureusement pas en face d’elle, mais elle demeurait très importante. Ses membres se sentaient vraiment « le même os, la même chair » ; avoir le même sang, c’était avoir la même âme. La législation… avait d’ailleurs multiplié les préceptes pour maintenir la permanence, la pureté, l’autorité de la famille. Dans la mesure – quasi universelle – où les Juifs voulaient demeurer fidèles à la loi, ils continuaient à reconnaître à la famille une place déterminante dans la société. »
Jésus né dans une famille juive telle que nous venons de la décrire, n’a pas renié ces faits. Il les a pleinement acceptés. Dans les Ecritures, nous ne voyons nulle part qu’il ait contesté sa filiation, ses parents, ses ancêtres, la pauvreté de ses parents, le métier de son père (lui-même l’a exercé), son lieu de naissance (étable).
Il connaissait très bien sa généalogie (relisez-la dans Matthieu), l’histoire heureuse ou marquée par le péché et ses ancêtres (pensons à David et à sa chute, à Salomon, à Rahab…). Il se savait partie prenante de cette longue lignée dont il était un des chaînons. C’est avec raison que les Ecritures mentionnent parfois « Jésus, fils de Marie, de la race de David, issu de la tribu de Juda ».
Application personnelle :
Comment acceptons-nous la situation de fait de notre famille parentale ?
Quelle place occupe l’histoire de notre famille dans notre propre vie ? Savez-vous un certain nombre de choses de vos ascendants, de leur histoire ?
Vous, les parents (grands-parents), racontez-vous à vos enfants, votre propre histoire, ou celle de vos grands-parents ? Marie et Joseph ont certainement relaté avec beaucoup de détails l’histoire de la naissance de Jésus, la visite des bergers et des mages, la fuite en Egypte, le massacre des enfants par Hérode. Marie avait gardé toutes ces choses dans son cœur, est-il écrit dans les Evangiles.
Sortez-vous de temps à autre l’album-photos de famille pour rafraîchir les souvenirs ou tirer des leçons des succès ou échecs de vos ascendants ?
Avez-vous déjà montré à vos enfants les lieux où vous-mêmes avez vécu ou travaillé ? Leur avez-vous raconté votre découverte de Dieu, votre engagement chrétien, les épreuves et les joies de votre vie ?
Vous, les enfants, questionnez-vous vos parents pour mieux connaître la chaîne qui vous a précédés ? En Israël, c’était la coutume que les pères instruisent ainsi leurs enfants (cf. Dt 6.20).
Toutes ces démarches renforcent nos liens avec notre famille terrestre et nous aident à nous accepter pleinement nous-mêmes. Nous avons besoin de nous savoir intégrés dans une chaîne humaine.
Je pense que Jésus ne s’est pas interrogé pour savoir si le contexte humain, social et religieux de son humanité était vraiment le bon. Il savait que son père céleste avait tout prévu à merveille. Quelle sérénité et quelle force cela lui donnait pour son ministère !
Nous aussi nous avons été choisis, bien avant la fondation du monde ; nous savons que Dieu nous a aimés et nous a destinés d’avance à être ses enfants. « C’est en Christ que nous avons été choisis pour lui appartenir » (Ep 1.4-5-11). Ces faits se rapportent avant tout à notre condition spirituelle, mais comment ne pas croire que le Seigneur ait veillé sur toute notre histoire humaine ?
B. Jésus et ses choix personnels
Jésus ne s’est pas marié humainement parce qu’il s’est pleinement réservé pour l’Eglise, son épouse glorieuse (Ap 19.6-8). Connaissant la Mission que Dieu lui confiait, Jésus a donc choisi volontairement le célibat. La Parole ne nous livre pas ses sentiments à cet égard. Mais comme il était pleinement homme, tout étant pleinement Dieu, il est fort possible qu’il en ait souffert l’une ou l’autre fois. Il est donc parfaitement à même de comprendre ceux qui souffrent du célibat, que ce soit par choix ou par nécessité.
Son attitude, sa conduite durant sa vie terrestre, ont inspiré à l’apôtre Paul ces paroles sublimes de Eph 5.25-27 « Christ a aimé l’Eglise, il a donné sa vie pour elle… »
Ce texte nous montre que si Jésus avait été marié, son amour pour son épouse n’aurait pas été moindre que celui qu’il a témoigné à son épouse céleste, l’Eglise ; une relation de pureté, de dignité, de beauté, d’amour. Ce sont de telles relations qu’il entretient avec son Epouse, l’Eglise.
Jésus a donc usé de sa propre liberté dans le choix personnel qu’il a fait du célibat. Cela voulait-il dire qu’il reniait sa propre famille, sa mère, ses frères et sœurs ? Pas du tout, même si, comme nous le verrons plus loin, il a encore usé de sa liberté pour prendre des distances à certains moments avec eux.
C. Jésus face à l’institution du mariage et de la famille en général
Jésus et le mariage
Jésus avait une haute estime pour l’institution du mariage. Ne connaissait-il pas l’intention première de Dieu, son Père, ordonnée par Lui dès la Création de l’homme sur terre ? Elle concernait l’humanité en général et non seulement Israël.
Dans le Sermon sur la montagne et à une autre occasion, Jésus rappelle et renforce les commandements de l’Ancien Testament sur l’adultère et le divorce, tout en admettant, (dans Matthieu 19) la possibilité d’un divorce à cause de la dureté de nos cœurs. Pour lui, le mariage était une image de l’alliance de Dieu avec son peuple, alliance caractérisée par l’exclusivité du lieu (pas de polygamie ou d’adultère), par la durée pour la vie (le lien peut malheureusement être rompu, mais il ne le doit pas), marquée enfin par des relations d’amour non seulement physiques, mais une recherche constante et réelle du bien-être de l’autre.
La scène des noces de Cana auxquelles Jésus participait, où se mêlent joies terrestres et bonheur spirituel, a valorisé cette institution du mariage. Rappelons aussi que le Seigneur a utilisé la réalité du mariage comme cadre de quelques para-boles.
Quelle valeur attribuons-nous au mariage ?
L’honorons-nous à sa juste valeur ou bien le sous-estimons-nous (en pensant qu’il est démodé, que d’autres formes de vie commune doivent le remplacer) ou bien le surestimons-nous en croyant que le mariage résoudra tous nos problèmes ?
Jésus et les enfants :
Une autre preuve de la valorisation du mariage par Jésus : Son amour pour les enfants. Alors que les disciples voulaient les chasser, II les a invités à venir à Lui. Il les a même pris comme modèles d’humilité, car le Royaume des Cieux appartient à ceux qui leur ressemblent. Accueillir un de ces plus petits, c’est accueillir le Seigneur en personne (Mt 18.5).
Jésus a toujours eu à leur égard une attitude de respect et de confiance. En disant « Laissez venir à moi les petits enfants », il a transformé le foyer familial en une Eglise où les parents doivent être les prêtres. Que d’exemples pourrait-on citer où la rencontre d’un enfant et de Jésus, peut-être au sein de sa famille, a marqué toute sa vie et son engagement pour Christ. Durant les persécutions, le foyer familial domestique, fut souvent le refuge de la piété et du culte.
Une autre marque de l’intérêt de Jésus pour la famille se voit dans les miracles pour reconstituer des foyers en deuil : Je pense à l’enfant épileptique, à la guérison du fils d’un officier du roi, à celle de la belle-mère de Pierre, de l’aveugle-né, à la résurrection de la fille de Jaïrus, de Lazare qu’il a rendu au cercle de famille des deux sœurs de Béthanie.
La parabole du Fils Prodigue souligne combien Jésus estimait la valeur d’une famille où règne un climat d’amour, une famille où le père se préoccupait d’enseigner ses enfants dans les voies de Dieu, exerçait la discipline et usait à l’image du Père Céleste d’une compassion très grande facilitant la réintégration de l’enfant prodigue dans le foyer.
Jésus et sa mère :
Le terme de la vie de Jésus est marqué par un acte qui jette une grande lumière sur les sentiments profonds qu’il éprouvait envers sa mère. Lorsqu’il est cloué sur la croix, malgré les douleurs physiques atroces et le poids moral du péché du monde, il songe à l’avenir terrestre de sa mère, en demandant à l’un de ses disciples, Jean, de la prendre avec lui et de lui servir de fils. Non, l’avenir terrestre de sa mère ne lui était pas indifférent. Il s’acquittait d’un devoir filial essentiel : se préoccuper du sort des siens.
Que Dieu nous donne d’avoir le même souci pour nos parents, surtout lorsqu’ils sont en âge avancé.
Jésus et la loi du Corban :
Je voudrais encore rappeler avec quelle vigueur Jésus a dénoncé le procédé répréhensible de certains Juifs interprétant égoïstement la loi du Corban (Mc 7.10-13).
De quoi s’agissait-il ? La loi de Moïse « Honore ton père et ta mère, afin de vivre longtemps » était connue de chaque israélite. Or certains mauvais fils, pour ne pas aider leurs vieux parents de leurs deniers, déclaraient qu’ils avaient fait offrande de leurs biens au Temple, même s’ils n’avaient effectivement pas versé l’argent. « Je ne peux pas vous secourir, puisque mon argent est corban, c’est-à-dire consacré sous serment. »
Dans sa Première épître à Timothée (5.8), Paul déclare : « Si quelqu’un ne prend soin des siens, en particulier des membres de sa famille, il a renié la foi et il est pire qu’un incroyant ».
Jésus reste pour nous un exemple dans son attitude vis-à-vis de la famille et du mariage.
D. Jésus et ses tensions avec sa propre famille
Sur deux plans au moins, Jésus a connu des souffrances dans ce domaine.
Avec sa mère :
Jésus enfant croissait en sagesse, en stature et en grâce. A 12 ans, lors du voyage au Temple de Jérusalem, il avait échappé à la surveillance des parents pour rester avec les docteurs de la Loi. Lorsqu’on le retrouva on dit de lui « il leur était soumis (obéissant) » ce qui parait normal à cet âge (Lc 2.51).
Or Marie aurait bien voulu prolonger jusque dans l’âge adulte cette situation d’obéissance de son enfant et elle tente d’intervenir plusieurs fois dans son ministère : par exemple aux noces de Cana ou encore lorsqu’elle et ses autres fils s’inquiètent de lui, le croyant hors de sens (Mc 3.21),
Marie commit l’erreur de bien des parents de croire que l’obéissance de leurs enfants doit se prolonger jusque dans l’âge adulte. Le but d’une bonne éducation est de les former pour devenir indépendants. Les parents doivent reconnaître qu’il est un moment où leur autorité cesse, où l’enfant choisit et agit par lui-même. C’est bien sûr un moment que les parents craignent, de peur que les enfants fassent de mauvais choix.
Mais le cordon parental doit être coupé à un moment donné. Cela ne diminuera pas l’amour réciproque. Le respect ne devrait pas disparaître, mais l’autorité prend fin. Un dialogue d’adulte à adulte doit s’instaurer dans lequel les opinions et les points de vue peuvent être écoutés comme éléments de réflexion.
A quelle heure intervient cette crise dans la vie de l’enfant ? Malheur à celui qui s’émancipe trop tôt, car il marche au-devant de sa ruine. On a parfois comparé le rôle des parents aux deux parapets d’un pont sur lequel l’enfant avance sur le chemin de la vie : enlevez-les trop tôt, l’enfant se sentira désécurisé et risquera la chute. Ses pas ont besoin de s’affermir avant qu’il soit lâché seul.
Jésus, tout en étant fils de Dieu, a très bien senti le besoin d’obéir à ses parents dans ses premières années. Mais parvenu à l’âge adulte et conscient de sa mission, il a réalisé que, s’il avait satisfait par amour pour eux, à leurs désirs et appels, il se serait détourné de sa mission et de sa vocation.
C’est pourquoi il a dû repousser à plusieurs reprises les demandes de sa mère et de ses frères : « Qui est ma mère et qui sont mes frères ? »
Jésus a voulu apprendre à Marie qu’il y a des droits plus légitimes que ceux de la famille. « Si quelqu’un vient à moi et n’est pas prêt à renoncer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs et jusqu’à lui-même, il ne peut être mon disciple » (Lc 14.26). Au service de Dieu, il ne pouvait reconnaître d’autre autorité que celle de Dieu. Il a considéré comme sacrée sa propre conscience et il voulait en rester maître. Personne ne peut forcer notre propre conscience. C’est notre jardin privé.
Tel n’était pas seulement le cas pour Jésus. Lorsqu’il a dit dans Matthieu 10.34-37 : « Je suis venu opposer le fils à son père, la fille à sa mère, la belle-fille à sa belle-mère ; on aura pour ennemis les membres de sa propre famille » « vous serez même livrés par vos parents, vos frères… » (Lc 21.16), il entrevoyait déjà, qu’au cours des âges, le devoir d’obéir à sa conscience sépare parfois les membres d’une même famille.
Je pense à tel garçon juif qui, pour avoir accepté Jésus comme Messie, fut renié par ses parents, à telle croyante d’origine musulmane, qui pour rester fidèle au Seigneur, fut persécutée et rejetée par les siens, ou à tel jeune qui ayant reçu un appel missionnaire, connut l’opposition de ses parents.
Je me souviens aussi de plusieurs frères et sœurs dans la foi, qui à la veille d’affirmer leur foi dans le baptême, se trouvaient devant la tentation d’y renoncer à cause de la pression familiale sur leur conscience.
Tous ces cas sont délicats et demandent patience et sagesse. Mais une fois les conséquences claires à l’esprit et à la conscience, il n’y a pas à hésiter quant à la volonté de Dieu. Nous devons obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes.
Avec ses frères
Jésus a aussi souffert par le fait que ses frères ne crurent pas en lui (Jn 7.5)
Ils se sont parfois associés à leur mère pour intervenir dans la vie de Jésus de façon inopportune. Ils vont jusqu’à lui demander de faire des miracles pour croire en lui.
Combien d’hommes de Dieu ont connu des souffrances analogues à celles de Jésus ; ils ont été les seuls dans leur famille à témoigner tout en subissant un véritable martyre journalier. « Un prophète n’est méprisé que dans sa propre patrie… »
Comment Jésus a-t-il agi envers eux ? Leur a-t-il parlé ? A-t-il gardé le silence ? Sûrement il a prié pour eux, prières qui n’ont été exaucées qu’après sa mort. Durant sa vie terrestre, Jésus n’a pas connu le bonheur de voir ses frères croire en Lui. Mais à la résurrection, Jésus apparaît à Jacques, qui en a parlé à d’autres, dont Jude.
Ainsi Jésus, parce qu’il était aussi homme, a connu les contraintes douloureuses de ses rapports avec sa propre famille. Mais il a su les vaincre victorieusement.
Conclusion
« Christ vous a laissé un exemple, pour que vous suiviez ses traces. » (1 Pi 2.21)
Dans les responsabilités qui nous incombent envers les membres de notre famille terrestre et dans les choix personnels qui en découlent, que nous puissions trouver en Jésus un exemple pour nous guider !
Ch.R.
NOTE
1. Message donné à la Bonne Nouvelle de Strasbourg le 26 juin 1994, paru dans Partage, n° 52. Nous sommes reconnaissants de pouvoir vous le proposer dans Servir.