La prière du coeur
1° volet : Découverte d’une présence1
par Claude VILAIN2
II nous arrive de temps à autre, à travers une lecture ou un témoignage, d’être confronté à une vraie dimension de prière, de découvrir dans la vie d’un frère ou d’une soeur, une réalité de prière si profonde qu’elle a réellement renversé des montagnes.
Il nous arrive de soupirer dans l’espoir de connaître cette même puissance de la prière efficace et persévérante… et de retomber bien vite, malgré nos bonnes résolutions, dans la prière routinière qui ne semble pas dépasser le plafond de notre chambre ou le toit de notre église.
Faut-il être d’une autre nature pour que vie de prière rime avec exaucement ou délivrance ?
L’apôtre Jacques nous rappelle qu’« Elie était un homme semblable à nous ; il pria avec ferveur pour qu’il ne plût pas et il ne plut pas sur la terre pendant trois ans et six mois ; puis il pria de nouveau, le ciel donna de la pluie, la terre produisit son fruit… » (Jac 5.17-18).
Toute la différence entre notre prière, si peu opérante, et celle d’Elie, résiderait-elle dans ce petit mot « ferveur » ?
Force nous est de constater que la prière nous est devenue difficile en cette fin de siècle.
Peut-être était-ce plus facile hier, mais aujourd’hui, il est difficile de prier dans le bruit et les tensions d’une société qui tourne toujours plus vite. Tellement difficile que beaucoup ont cessé de prier.
On n’oserait pas faire une enquête pour connaître nos habitudes de prière. Même ceux qui sont engagés dans un ministère ont remplacé la prière par l’action, espérant faire de leurs actes pour Dieu et pour les autres une sorte de prière permanente.
Et si prier c’était d’abord se mettre à l’écoute de Dieu, lui parler, certes, mais surtout lui donner la possibilité de se communiquer ?
Permettre à son amour de se manifester et de nous envahir ?
Pour cela, il y a des verrous qui doivent sauter.
Prier, parce qu’il faut prier, est un devoir qui incite peu à la persévérance. Il est difficile de tenir nos engagements à prier si la prière n’est qu’une obligation.
Il nous faut inverser le mouvement : il n’y a pas de vraie prière hors d’une communion vraie et intime avec Dieu. Si je recherche et vis dans Sa présence, la prière jaillira, deviendra un besoin, un privilège et non un devoir ennuyeux.
Prier , ce n’est donc pas répondre à une série de « je dois », mais rechercher une présence !
Nos difficultés à parvenir à une vraie maturité spirituelle résident dans un manque de vie de prière. Nous prions mal, ou peut-être tout simplement pas du tout…
Prier, c’est découvrir que la démarche première de Dieu est de se communiquer. Et si nous acceptions d’inverser notre mouvement naturel, arrêter de parler, pour nous mettre enfin à son écoute.
Une prière trop centrée sur nous-mêmes, nos besoins, nos questions, nos doutes… bloque cette « communication-communion » cf. Mt 6.5-8.
Il est étonnant de constater que la seule demande pratique des disciples à Jésus, concerne la prière. Cela nous rappelle que nous sommes en présence d’un chemin difficile et que nous avons besoin d’un guide pour progresser dans une vraie vie de prière.
Tant qu’il n’y aura pas de prière du cœur, il n’y aura pas de vraie prière !
La prière du cœur est une prière qui prend en compte la réalité de Dieu, qui le reconnaît comme profondément aimant et désireux de nous voir heureux en Lui.
La demande par excellence, ce ne sont pas des biens, mais l’Esprit (Luc 11.13), l’effusion d’une présence qui nous mettra au diapason de sa volonté et nous rendra capable de prier selon cette volonté.
Cette demande de la présence de Dieu se trouve exprimée dans l’A.T., par notre notion de « faim » et de « soif » de Dieu. (Ps 63.2,6)
Le thème de la joie, au centre de l’Ecriture
Toute l’Ecriture est traversée par un véritable appel à la joie de Dieu et en Dieu. Le Seigneur a un projet pour nos vies, une vie de plénitude.
S’adressant à la femme samaritaine, Jésus l’invite à découvrir ce qu’il est véritablement : « Si tu connaissais le Don de Dieu et qui est celui qui te dit : « Donne-moi à boire », c’est toi qui aurais demandé et il t’aurait donné de l’eau vive. » (Jn 4.10) Cette vie en abondance se retrouve dans l’offre faite à Jésus lors du dernier jour de la fête de Sukkah : « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et que boive celui qui croit en moi. Comme l’a dit l’Ecriture : « De son sein couleront des fleuves d’eau vive ».
Les Psaumes sont traversés, avec une extraordinaire insistance, par ce thème de la joie :
Ps 4.8 Tu mets dans mon cœur plus de joie que ces gens n’en trouvent à récolter tout leur blé et tout leur vin.
Ps 16.9 J’ai le cœur plein de joie, j’ai l’âme en fête.
Ps 16.11 On trouve une joie pleine en ta présence, un plaisir éternel près de toi.
Ps 27.4 Je ne demande qu’une chose au Seigneur, mais je la désire vraiment : c’est de rester toute ma vie chez lui, pour jouir de son amitié.
Ps 30.12 Tu as changé ma plainte en danse de joie, et tu m’as ôté mon vêtement de deuil, tu l’as remplacé par un habit de fête.
Ps 32.1 Heureux celui que Dieu décharge de sa faute… Heureux l’homme que le Seigneur ne traite pas en coupable…
Ps 35.9 Mais moi je serai plein de joie grâce au Seigneur, je pourrai me réjouir de son secours.
Ps 36.10 C’est chez toi qu’est la source de la vie, c’est la lumière qui éclaire notre vie.
Ps 51.10 Annonce-moi ton pardon il m’inondera de joie.
Ps 63.6 Je serai comblé, comme rassasié des meilleurs morceaux. Je laisserai exploser ma joie, je te glorifierai.
Ps 63.8 A l’abri de tes ailes je crie ma joie.
Ps 79.13 Nous chanterons toujours tes louanges, de siècle en siècle nous célébrerons ta gloire.
Ps 84.3 Tout mon être crie sa joie au Dieu vivant.
Ps 90.14 Dès le matin, comble-nous de ta bonté ; alors toute notre vie nous crierons notre joie.
Ps 92.2-5 Comme on fait bien de te louer Seigneur… Ce que tu as fait m’a rempli de joie…
Ps 96.1 Chantez en l’honneur du Seigneur un chant nouveau…
Ps 100.4 En entrant dam son temple acclamez-le ; dans la cour intérieure exprimez vos louanges.
Ps 103.4-5 Il me comble de tendresse et de bonté. Il remplit ma vie de bonheur.
Ps 106.5 Nous ressentirons le bonheur… nous participerons à la joie… nous partagerons la fierté de ceux qui t’appartiennent.
Ps 108.2 Je veux chanter et te célébrer de tout mon cœur.
Ps 116.12 Que puis-je rendre au Seigneur pour tout le bien qu’il m’a fait ? Je lèverai la coupe des délivrances, et je crierai le nom du Seigneur.
La surabondance de ces textes ne peut pas nous laisser indifférents. Il y a un appel à entrer dans une vie de louange. C’est dans la prière et par la prière que s’exprime notre joie. Peut-on dire que l’absence de prière chez les chrétiens entraîne l’absence de joie ? « Jusqu’à présent vous n’avez rien demandé : Demandez et vous recevrez, afin que votre joie soit complète » (Jn 16,24).
Ce qu’est la prière chrétienne
a) Prière relationnelle : Dieu est une personne qui désire entrer en relation avec nous, par sa Parole mais aussi surtout par la prière.
b) Prière communication : Dieu désire que la prière devienne un réel dialogue. Il faut donc nous mettre à son écoute.
c) Prière de communion : c’est probablement l’aspect le plus mal compris et le plus mal vécu de la prière chrétienne.
Nous devons permettre à sa présence qui est tout amour, de nous pénétrer, de nous envahir. Dieu désire vraiment « être connu » de nous. Pas seulement de manière intellectuelle ou théologique, mais il désire une connaissance du cœur (Ep 1.17).
Avons-nous déjà goûté à « toute la plénitude de Dieu » ? (Ep. 3.19)
La prière est ce lieu et ce temps où ce face à face devient possible. C’est à travers cette présence ineffable que Dieu travaille nos cœurs et nos vies.
Dieu nous parle en termes d’amour. Savons-nous ce que signifie « aimer et se savoir aimé de toute la profondeur de notre être » ?
d) Une expérience qui engage : la vraie rencontre avec Dieu ne peut me laisser stérile. On ne peut rencontrer Dieu et rester ce que l’on est !
Une vie de victoire et de sanctification trouve sa source et sa force dans une relation de profonde intimité avec Dieu (Ga 5.16 ; Ph 2.13).
Aimer Dieu de tout son coeur, son âme, sa force et sa pensée me conduit à m’ouvrir aux autres et à les aimer à mon tour de l’amour même de Dieu.
La « Lectio divina » ou « L’Ecole de la Parole »,
pour lire et prier la Bible :
On peut se réjouir du regain d’intérêt pour de nouvelles formes de prières plus orientées vers la recherche d’une communion intime avec Dieu.
Dans cette recherche, la redécouverte de la « Lectio divina » mérite d’être mentionnée.
Cette forme de méditation priée de l’Ecriture a nourri toute l’histoire d’Israël mais aussi la spiritualité de l’Eglise d’Occident jusqu’au XIIIe siècle.
La « Lectio divina » s’articule autour de quatre temps : se préparer – lire – méditer – contempler. On ajoute parfois un cinquième temps, qui n’est qu’une conséquence logique de ce qui a été vécu dans l’intimité de la Parole : l’action. Ce qui est au centre de cette démarche d’étude et de méditation de l’Ecriture, c’est la volonté de permettre à cette Parole de nous travailler, non pour acquérir des connaissances théologiques nouvelles, mais une connaissance du cœur.
a) Se préparer : « Demander l’Esprit »
Avant d’ouvrir la Bible, il nous est demandé de nous placer dans une attitude d’ouverture et d’attente de l’Esprit, pour que Dieu vienne illuminer notre être afin que soit possible la rencontre avec le Seigneur. L’Esprit est créateur de la Parole, c’est encore l’Esprit qui ouvre notre intelligence pour recevoir et comprendre cette Parole. Cette action de l’Esprit rend notre âme docile, soumise, réceptive, perméable à ce que Dieu veut nous dire.
Il vient à nous comme une colombe qui se pose sur notre épaule, il faut l’accueillir dans le calme et le silence pour ne pas l’effrayer. L’Esprit est une présence discrète qui ne se rend sensible que si nous lui faisons place ouverte, disponible, accueillante. Pour cela il nous faut limiter l’impact des bruits extérieurs, les sources de distraction, les parasites que nous impose notre société de publicité et d’images qui sans cesse aiguisent nos désirs.
« Nous ne pouvons prêter attention à la Parole si nous ne faisons pas taire notre être profond3 ».
b) Lire la Parole
Une prière authentiquement chré-tienne ne peut être nourrie que de l’Ecriture. C’est d’abord à travers sa Parole que Dieu nous parle et se communique. Elle est le lieu par excellence où il nous est dit qui il est, qui nous sommes et à quoi il nous engage.
Ce temps peut être marqué par la conscience claire que Dieu nous parle, mais il peut aussi être un temps de sécheresse. Le texte ne nous dit rien. « De tels silences sont souvent salutaires, même s’ils portent de l’aridité et de la sécheresse spirituelle, car il nous aident à fixer les regards sur Dieu seul, à l’attendre dans la lecture de la Parole et à le louer avec ce silence qui seul peut nous faire prendre conscience de notre incapacité à prier4 ». Mais il nous faut garder confiance : Dieu est présent au milieu de ce silence et de cette sécheresse apparente.
c) Entrer en méditation:
Pour que la Parole puisse faire son chemin jusqu’à notre cœur, il est nécessaire de faire silence, lui permettre de nous travailler en profondeur. On parlera de rumination de l’Ecriture, à l’image de Marie qui « retenait tous ces événements et les méditait dans son cœur » (Luc 2.19). Cela souligne indirectement toute l’importance de la mémorisation de l’Ecriture. La Parole n’est plus seulement présente devant nos yeux, elle vient faire sa demeure en nous pour se graver en nos coeurs.
d) La prière du coeur
La prière peut nous conduire à une expérience profonde de Dieu.
Prier, c’est prendre conscience que nous sommes aimés de Dieu et qu’il nous invite à répondre à cet amour. C’est l’entendre nous dire, comme à Pierre, « M’aimes-tu ? (Jn 21.15). Si le Seigneur a posé cette question à Pierre, il nous la pose aussi. Sommes-nous prêts à l’entendre et à y répondre ?
C.V.
QUESTIONS POUR LA REFLEXION
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Quelle est la place de la prière dans votre vie ?
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Pouvez-vous déterminer avec précision le temps que vous y consacrez ?
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Y a-t-il des moments où prier est plus facile ? (lieu, circonstances, groupe/solitude…)
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Analysez vos difficultés à prier. Indiquez les obstacles majeurs que vous rencontrez. Qu’est-ce qui vous empêche de les surmonter ?
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La prière est-elle un moyen d’agir sur Dieu ou plutôt que Dieu utilise pour nous transformer ? En quoi nos prières peuvent-elles devenir « un acte magique » ?
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Qu’évoque pour vous le texte « priez sans cesse » ?
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Pourquoi est-ce si difficile de prier ainsi ?
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Qu’évoque pour vous la notion de « faim » et de « soif » de Dieu ?
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Comment l’exprimez-vous dans votre vie de prière ?
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Comment vous situez-vous face à la question posée par Jésus à Pierre : « M’aimes-tu ? » (Jn 21.15)
NOTES
1. Cet article est le 1e volet de l’étude de Claude Vilain sur la prière. Il sera suivi de « Prier, entrer dans l’adoration ». (Servir n° 6/97) et « La prière, aspects pratiques » (Servir n°3/98).
2. Claude Vilain est ancien de l’assemblée de Ransbèche (Belgique), diplômé de la faculté de Vaux-sur-Seine.
3. Enzo BIANCHI, « Prier la Parole » Une introduction à la « Lectio divina » (Vie monastique n°15, Abbaye de Bellefontaine, 1983) p.44.
4. Ibid., p.50.